Alors que les crises se succèdent depuis la pandémie de Covid-19 et perturbent fortement les échanges commerciaux internationaux, les observateurs du commerce international n’en finissent pas de gloser sur la fin de la mondialisation. Qu’en est-il concrètement ? Sans disparaître, elle est en cours de reconfiguration répond une récente étude du cabinet McKinsey intitulée : « Quels nouveaux visages pour la mondialisation ? ».
Malgré son ampleur et ses conséquences sur la supply chain mondiale, la crise sanitaire de 2020 et celles qui ont suivi (Ukraine, Gaza, mer Rouge…) ne sont pas venues à bout du modèle qui régit les échanges internationaux depuis plus de 30 ans. « Bien au contraire, les flux de marchandises comme de capitaux ont progressé plus rapidement depuis la pandémie de Covid qu’au cours des cinq années précédentes, respectivement de + 8,8 % et + 6,2 % en moyenne annuelle », constate l’étude de McKinsey.
En outre, il semble que les grands blocs économiques dépendent toujours les uns des autres pour se développer : tous importent au moins 25 % de ce qu’ils consomment d’une ou plusieurs ressources critiques (énergie, céréales, minéraux, équipements électroniques…).
Pour les auteurs de l’étude McKinsey, cette continuité s’explique également par « l’inertie des flux commerciaux ». Depuis 1995, en effet, aucun pays n’a vu ses parts d’une catégorie de marchandises varier de plus de 2 points en rythme annuel. Les économies sont tellement imbriquées les unes aux autres que quatre ans et demi de crises n’ont pas suffi à détricoter ces interdépendances.
Les États-Unis et la Chine ont réorienté leurs échanges
Ceci étant, des signes montrent que ce statu quo n’est pas éternel et si la mondialisation n’est pas appelée à disparaître, elle subit néanmoins de profonds changements. A commencer par une montée en force du protectionnisme.
Les restrictions au commerce dans le monde sont ainsi passées de 650 en 2017 à plus de 3 000 en 2023, selon Global Trade Alert. Par ailleurs, l’observation des destinations des investissements directs étrangers (IDE) laissent entrevoir une recomposition géographique du commerce international. Ainsi, entre 2022 et 2023, les IDE en Chine ont décroché de 67 % et de 98 % en Russie. En revanche, ils ont doublé vers l’Asean par rapport à la moyenne de 2015 à 219.
Les grands blocs économiques réorientent leurs échanges. Ainsi les États-Unis se sont détournés de la Chine au profit du Vietnam et du Mexique au nom du nearshoring privilégiant l’approvisionnement au plus proche des frontières. La Chine a elle aussi réorienté ses échanges, vers les pays de l’Asean, du Moyen-Orient ou d’Amérique latine.
A contrario, les économies européennes n’ont pas connu ce phénomène et restent globalement très ouvertes avec un taux d’ouverture de 40 % en moyenne (et jusqu’à 73 % en France).
L’Europe à la marge
Si l’Europe est exportatrice net, elle dépend toujours de l’extérieur pour son approvisionnement énergétique. Elle demeure également, selon McKinsey, en retrait des « grandes chaînes de valeur technologiques : semi-conducteurs, batteries, numérique ou biotechnologies, par exemple ». Pour les analystes de McKinsey, il en résulte « une vulnérabilité, tant ces technologies irriguent de manière croissante des secteurs où l’Europe avait acquis des positions de force (automobile, aéronautique, industrie pharmaceutique…) ». De quoi faire écho au récent Rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne.
Bref, ce nouveau contexte produit beaucoup d’incertitudes pour les grandes entreprises internationalisées, de plus en plus tributaires de considérations géopolitiques. Ces dernières constituent la principale source d’inquiétude des dirigeants régulièrement interrogés par le cabinet d’études et de conseil américain. Pour ce dernier « les grandes entreprises devront toutes s’adapter à un contexte où l’avantage comparatif ne découle plus seulement de la qualité, des coûts et de l’efficacité, mais également de la gestion avisée d’un portefeuille d’options géographiques et géopolitiques ».
Sophie Creusillet