La fermeture de l’économie de la Chine et les distorsions de concurrence qu’elle impose à ses partenaires commerciaux inquiètent aussi bien les milieux d’affaires que les responsables politiques du Vieux Continent. Le Conseil d’analyse économique (CAE), qui conseille le Premier ministre, vient de publier ses recommandations pour « renforcer la stratégie économique de l’Europe vis-à-vis de la Chine ».
Trop naïve l’Europe ? C’est en tout cas un reproche fréquemment formulé au sujet de sa politique commerciale vis-à-vis de la Chine. En particulier quand cette dernière subventionne abondamment ses entreprises pour aller remporter des marchés publics ou procéder à des acquisitions à l’étranger. En outre, les politiques industrielles volontaristes, assorties d’une volonté croissante d’indépendance, voire d’autosuffisance de la part de Pékin, accentuent les distorsions de concurrence massives et font douter les entreprises de la pertinence d’investir dans le pays.
Selon les auteurs de cette note, elles se trouvent aujourd’hui dans trois cas de figure. Soit elles opèrent dans des secteurs de haute technologie dont l’économie chinoise a besoin pour se développer comme les semi-conducteurs, la chimie ou la pharmacie, auquel cas on leur déroule le tapis rouge. Soit elles produisent des biens de consommation appréciés des consommateurs locaux, comme les voitures. Soit elles sont présentes dans des secteurs dont Pékin estime qu’ils peuvent se passer des étrangers, à l’instar du numérique.
Le déficit commercial de l’Europe avec la Chine se creuse de manière spectaculaire
Bref, qu’il s’agisse de la conjoncture, bousculée par la vague Omicron et les conséquences de la guerre en Ukraine, ou des mesures prises par la Chine pour ouvrir certains secteurs et en fermer d’autres en fonction de ses besoins, la sacro-sainte stabilité, pierre angulaire de la politique chinoise, a du plomb dans l’aile. Ce qui laisse les entreprises européennes dans l’expectative.
Parmi elles, toutes n’ont pas les mêmes intérêts en Chine, mais, globalement, le déficit commercial de la zone euro vis-à-vis de la Chine s’est grandement détérioré ces derniers mois. Il a en effet doublé depuis cet automne en raison d’une augmentation de la demande européenne (en particulier dans les secteurs de l’électronique et de la santé) et de l’effet prix (celui des importations chinoises ayant augmenté plus vite que celui des exportations européennes).
Dans une note parue le 6 juillet, les économistes proposent de renforcer la stratégie de l’UE vis-à-vis de la Chine dans trois domaines : celui, traditionnel, de la politique commerciale, les « nouveaux sujets » tels que la défense des droits de l’Homme, la lutte contre le changement climatique et la réglementation des données, et, enfin, la sécurité et la souveraineté économiques.
Privilégier le multilatéralisme et les instruments de la politique commerciale de l’UE
La tendance au repli sur soi ou à relocaliser entièrement les chaînes de valeur technologiques étrangères dans un contexte chinois marqué par des subventions industrielles sans équivalent dans le monde, sous des formes variées dresse des obstacles supplémentaires et oppose une concurrence faussée.
En sus des instruments de défense commerciale déjà existants, l’Union s’est dotée d’instruments autonomes (instrument relatif aux marchés publics, régulation sur les subventions étrangères, nouveau règlement d’exécution…), qui devraient permettre « une réponse plus efficace, proportionnée et durable », estiment les auteurs. En revanche, les conditions politiques actuelles ne permettent pas une mise en œuvre sereine de l’accord global sur les investissements entre l’UE et la Chine (ou CAI), jusque-là mis en avant pour structurer la relation bilatérale avec la Chine.
Dans ce contexte, le CAE conseille de continuer à pousser la réforme de l’OMC et d’utiliser les instruments de défense commerciale dans les situations de concurrence déloyale, même s’ils demeurent insuffisants dans les services et sur les marchés tiers.
De « nouveaux » sujets jouent un rôle croissant dans la politique économique de l’UE
Même si, selon le CAE, l’exposition directe aux productions du travail forcé demeure limitée, l’exposition indirecte est potentiellement plus large mais également plus difficile à déterminer en raison de la difficulté à tracer les chaînes d’approvisionnement à l’intérieur du pays. Le travail forcé dans le Xinjiang mais aussi dans d’autres régions concernerait 20 % des produits en coton et 97 % des panneaux photovoltaïques en polysilicium.
Autre sujet d’inquiétude : la lutte contre le changement climatique. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est effet perçu négativement par les Chinois qui l’associent à une taxe au frontière alors que le CAE souhaite en faire une incitation à accélérer la transition. A court terme, la taxe carbone ne concerne que 2 % des importations chinoises. A long terme, ce mécanisme pourrait provoquer une chute de 20 % des importations de métaux et de produits chimiques en provenance de Chine selon les projections des économistes Cecilia Bellora et Lionel Fontagné.
Autre sujet majeur, la réglementation sur le commerce électronique et les échanges de données, que la Chine tente de façonner à l’échelle internationale selon ses pratiques, fondamentalement restrictives et intrusives. Malgré des approches irréconciliables sur les données personnelles, l’UE doit soutenir ses entreprises pour réclamer l’interopérabilité pour les usages industriels, en utilisant les conditions de réciprocité comme levier.
Sur ces « nouveaux » sujets, le CAE recommande de s’appuyer sur la coordination internationale pour lutter contre le travail forcé, engager un dialogue sur la prise en compte des politiques climatiques chinoises dans un cadre plurilatéral et faire des conditions de réciprocité un levier pour aider les entreprises européennes à transférer des données industrielles depuis et vers la Chine, sous réserve de sécurité et de confidentialité.
Garantir la souveraineté et la sécurité économiques de l’UE
Alors que la dépendance économique de l’Europe à la Russie a récemment fait couler beaucoup d’encre, elle est sans commune mesure avec celle à la Chine. La part de la Chine dans les importations de l’UE était en 2021 de 22,3 % contre 7,7 % pour la Russie. L’empire du Milieu constitue par ailleurs un débouché sans commune mesure avec la Russie pour les exportations européennes (10,2 % versus 4,1 %).
Les relations économiques de l’UE avec la Chine apparaissent désormais exposées à des risques de perturbations majeures, avec des enjeux économiques bien plus élevés que ceux vis-à-vis de la Russie.
00000Pour y faire, il faut, selon le CAE, renforcer la capacité d’analyse de l’UE sur les vulnérabilités, et privilégier une approche intégrée des défis de la sécurité économique et de la souveraineté vis-à-vis de la Chine. A cet égard, le CAE propose de renforcer la capacité institutionnelle de l’UE en créant un poste de vice-président exécutif de la Commission européenne, chargé des relations économiques extérieures.
Pour le CAE, mettre fin à l’interdépendance économique de l’UE et de la Chine n’est pas une solution réaliste. D’une part, parce que le coût en serait trop lourd et, d’autre part, parce que des intérêts économiques communs constituent un socle sur des relations sûres et durables.
Sophie Creusillet
Pour consulter la note du Conseil d’analyse économique, cliquez ci-dessous.