Les Règles Incoterms® 2020 sont sur les rails pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2020, et des rumeurs parfois saugrenues circulent sur Internet concernant la disparition de certaines règles ou la création de nouvelles. Quelles sont les principales nouveautés à attendre ? Elles touchent le fond et la forme.
(Cet article a fait l’objet d’une alerte diffusée auprès des abonnés de la newsletter du Moci le 24 juin.)
Le Moci a fait le point en exclusivité avec Christoph Radtke, l’un des meilleurs experts français sur ce sujet : avocat associé de Fiducial Legal by Lamy et président de la commission Droit et pratiques du commerce international d’ICC France -le comité français de la Chambre de commerce internationale (ICC pour International Chamber of Commerce)-, il est également co-président du comité de rédaction international des Incoterms® 2020. À ce dernier titre, il fait partie du groupe de huit experts internationaux qui ont coordonné durant trois ans les consultations et mené les travaux pour ces Incoterms® 2020.
Et pour commencer, un petit rappel sur l’importance de ces règles pour les opérateurs du commerce international.
Une révision tous les dix ans
Élaborées par l’ICC, les règles Incoterms® (pour International Commercial Terms) font partie de ces règles de base à connaître par tout opérateur du commerce international. Intégrées dans les contrats de vente internationale, elles permettent en effet de déterminer le moment du transfert des risques et des charges entre un vendeur et un acheteur au cours d’une livraison. Exportateur, commissionnaires de transport, banquier, assureur, transporteur, acheteur, tous sont concernés.
Leur révision, qui mobilise les comités nationaux de l’ICC dans le monde entier, a lieu tous les dix ans afin de les adapter aux évolutions des pratiques du commerce international. Les dernières, au nombre de onze, dataient de 2010 (après les précédentes qui dataient de 2000), les nouvelles, également au nombre de onze, sont sur le point d’arriver et prendront tout naturellement le relais sous le nom d’Incoterms® 2020.
Autant dire que l’écosystème du commerce international attend avec impatience de connaître cette nouvelle version.
« Sur le fond, il n’y a pas de changement aussi radical qu’en 2010 »
D’entrée Christoph Radtke prévient : « sur le fond, il n’y a pas de changement aussi radical qu’en 2010 : il n’y a pas de suppression ni de création », souligne l’expert.
« On peut dire qu’il y a une certaine continuité : est maintenue la séparation entre les Incoterms pour le maritime, adaptés aux marchandises en vrac, et les Incoterms multimodaux, recommandés pour les conteneurs ». De même, l’ouverture à un usage domestique de certains Incoterms® –une demande américaine- a été maintenue.
Reste que des modifications importantes ou des précisions ont été apportées à leur signification.
Le DAT redéfini en DPU
Si les Incoterms® 2020 seront toujours au nombre de 11, 10 conserveront le même nom, mais un changera de nom : le DAT (Delivered at Terminal ou rendu terminal).
Ce dernier, qui fait partie des Incoterms® adaptés au transport multimodal, subit une transformation importante pour devenir DPU (Delivred at Place Unloaded ou Livré déchargé à un endroit convenu). « La marchandise ne reste pas à l’entrée du terminal, le vendeur décharge à un endroit convenu avec son client, ce qui ouvre cet Incoterm à toute destination » explique Christoph Radtke.
Ce changement satisfait notamment les industriels qui vendent des machines ou des équipements clés en main et préfèrent maîtriser jusqu’au bout la phase délicate de l’expédition.
10 autres Incoterms® conservent leur nom
Les 10 autres Incoterms® conservent leur nom soit, pour rappel* :
– Tout mode de transport (multimodal)
- EXW… Ex Works / À l’usine (… lieu)
- FCA… Free Carrier / Franco transporteur (.. lieu)
- CPT… Carriage Paid To / Port payé jusqu’à (lieu de destination convenu)
- CIP… Carriage and Insurance Paid to / Port payé, assurance comprise jusqu’à (lieu de destination convenu)
- DAP… Delivered at Place / Rendu à (lieu de destination convenu)
- DDP… Delivered Duty Paid / Rendu droits acquittés (lieu de destination convenu)
– Transport Maritime et voies navigables intérieures
- FAS… Free Alongside Ship / Franco le long du navire (port d’embarquement convenu)
- FOB… Free On Board / Franco à bord (port d’embarquement convenu)
- CFR… Cost and Freight / Coût et fret (port de destination convenu)
- CIF… Cost Insurance and Freight / Coût assurance et fret (port de destination convenu)
Des modifications importantes pour certaines
Si ces Incoterms® conservent leur nom, des modifications importantes ont été introduites pour certains, selon Christoph Radtke.
Pour les Incoterm® CIP et CIF, la couverture d’assurance par défaut était jusqu’à présent minimale. Or, pour le CIP, qui s’applique au multimodal, donc au conteneur, des produits très divers peuvent être concernés, contrairement au vrac. D’où la décision de rendre obligatoire une assurance tout risques. « Dans le CIP, on passe à une assurance tout risque par défaut, ce qui correspond mieux aux besoins » indique l’expert.
Mais le changement le plus important concerne l’Incoterm® multimodal FCA, le favori des exportateurs qui expédient leurs produits par conteneurs, et le plus utilisé par les opérateurs. Dans la version 2020, est en effet introduite une option « on board bill of lading », autrement dit « une option pour la présentation d’un connaissement de mise à bord ».
Pourquoi ce changement ? « Cette règle FCA est à privilégier pour les conteneurs, souligne Christoph Radtke. Mais il prévoit la livraison au terminal. Or, pour les crédits documentaires, les banques continuent à demander un connaissement de mise à bord, comme pour le FOB maritime. On a voulu combiner ces deux réalités. Avec ce changement, le FCA signifie toujours la livraison au terminal, mais une fois le conteneur à bord, l’acheteur remet au transporteur un connaissement à bord ».
A côté de ces changements –les plus importants sur le fond selon l’expert- des précisions ou clarifications ont été apportées à certaines règles. Nous en donnons deux exemples.
Nouvelles précisions et recommandations pour certaines règles
Ainsi, l’Incoterm® multimodal EXW, que la rumeur annonçait comme supprimé, est conservé dans la version 2020. Mais l’ICC en recommande l’usage uniquement sur le territoire domestique, considérant qu’il est inadapté au commerce international puisque le vendeur se dispense de toute obligation en matière de transport, assurance et formalités export, ce que les acheteurs refuseront la plupart du temps.
De même pour l’Incoterm® multimodal DDP, qui prévoit exactement l’inverse du précédent puisque le vendeur doit s’occuper des formalités d’importation dans le pays de destination, ce qui présente certains dangers s’il ne maîtrise pas le contexte administratif et réglementaire local. « Les avertissements concernant son utilisation ont été renforcés, souligne Peter Radtke. On considère que cet Incoterm est adapté au opérateurs qui disposent de filiales dans le pays de destination ».
Le guide disponible en français en septembre
Le guide complet des règles Incoterms® 2020 commencera à être diffusé en septembre par l’ICC afin de lui permettre ainsi qu’aux comités nationaux de lancer une campagne d’information et de formation des opérateurs. Le comité français ICC France, qui a noué un partenariat avec CCI France pour déployer avec le réseau consulaire tout un programme de formation autour des nouvelles règles, a commencé à former des formateurs agréés : une vingtaine au total doit être formée d’ici à mi-juillet.
Pour cette version, l’ICC a aussi décidé de redoubler d’effort pour mieux tenir compte des besoins de toutes les zones géographiques et de toutes les catégories d’opérateurs, et d’assurer la plus large diffusion possible des nouvelles règles.
Traditionnellement dominé par les opérateurs d’Europe du nord et les juristes, le groupe international de huit experts qui a coordonné les travaux sous l’égide de l’ICC affiche une composition plus équilibrée : trois viennent d’Asie, deux d’Amérique et trois d’Europe. Par métiers, la moitié est composée d’avocats d’affaires -dont Christoph Radtke-, l’autre moitié de praticiens. Et pour mieux prendre en compte les pratiques asiatiques, deux consultations ont été organisées en Chine.
Des efforts de vulgarisation ont également été faits : « il y avait une forte demande pour une approche plus pédagogique, précise Christoph Radtke. L’introduction est plus détaillée, expliquant le rôle des règles Incoterms® multimodal et comment les utiliser. De même, les notes de conseil qui accompagnaient la description des règles ont été réécrites et transformées en notes explicatives. Même si elles ne font pas partie des règles, ces notes sont importantes car elles fournissent une interprétation de chaque règle. »
Pour plus de lisibilité, l’ordre de présentation a aussi été revu pour « suivre l’ordre d’une opération de vente, de la livraison jusqu’aux formalités ». Les coûts sont également mieux présentés.
Une version numérique moins coûteuse, une application gratuite
Autre nouveauté : un effort conséquent sur le prix. « On a fait le constat que tous les utilisateurs ne connaissent pas les règles l’Incoterms® à cause du prix trop élevé de la publication » souligne Christoph Radtke.
La version papiers du guide Incoterm® 2010 était proposée aux alentours de 70 euros à sa sortie. Aujourd’hui, des versions existent toujours entre 40 et 60 euros sur le site de l’ICC. Des sommes qui rebutaient les acheteurs, notamment dans les pays en développement. Résultat : en Chine ou en Afrique, les règles Incoterm® étaient mal diffusées, donc peu connues et mal comprises. Un frein à leur diffusion dans les pratiques internationales.
D’où la décision de proposer d’entrée une version numérique « à un prix abordable ». Selon Christoph Radtke, le prix n’est pas définitivement arrêté mais il se situera entre 10 et 15 dollars. De même, un programme spécial sera déployé pour les pays en développement et une application gratuite pour smartphones, en cours de développement, sera mise à disposition. « Beaucoup de progrès ont été faits pour accroître la diffusion de ces règles » se réjouit Christoph Radtke.
The last but not the least, de nombreuses traductions sont en cours : « Il y aura 28 versions différentes, la française est déjà prête » assure Christoph Radtke. La sortie de l’édition bilingue anglais-français est promise pour septembre. Les opérateurs n’ont plus que quelques semaines à patienter.
Christine Gilguy
*Pour plus de détails, nous renvoyons au Guide Moci Incoterms 2010.