L’Éthiopie est « un marché à fort potentiel, un pays qui doit devenir un partenaire de premier plan de la France en Afrique », a déclaré d’entrée, en ouvrant l’atelier d’information sur le géant de la Corne de l’Afrique, organisé le 21 juin par Business France, son directeur général délégué Export Frédéric Rossi.
Et, pour cause. Plusieurs voyants sont au vert dans cette nation de 105 millions d’habitants où la croissance du PIB avoisine les 8 % depuis ces quatre dernières années. Le pays, où le président Emmanuel Macron s’est rendu en mars dernier, est une des priorités africaines de la diplomatie économique française. Surtout, un changement majeur s’est opéré au niveau de la gouvernance avec l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed au poste de Premier ministre le 2 avril 2018.
À plusieurs égards son élection a bouleversé la deuxième population du Continent. C’est en effet la première fois qu’un Oromo, ethnie majoritaire en Éthiopie, accède à la primature depuis 1991. Depuis l’élection de son nouveau chef de gouvernement, réformiste revendiqué, successeur du Premier ministre démissionnaire Haïlemariam Desalegn, le pays s’est résolument engagé dans la voie d’une libéralisation politique et économique.
Un nouvel agenda réformateur
Sur le plan politique, les réformes progressent. Ainsi, comme l’a confirmé l’ambassadeur de France en poste à Addis-Abeba, Frédéric Bontems, en visioconférence avec Paris, « depuis dix-huit mois, on assiste à une transformation politique d’ampleur ». L’agenda réformateur du nouveau Premier ministre s’illustre par des réformes pour diversifier l’économie, essentiellement agricole, et relancer l’investissement privé dans les secteurs exportateurs.
« Sur le plan économique, on a une profonde réorientation », a exposé encore l’ambassadeur. Le gouvernement éthiopien a amorcé la mise en œuvre d’un ambitieux programme de réformes pour ouvrir l’économie aux investissements privés en engageant des libéralisations d’entreprises publiques dans des secteurs clés comme les télécommunications et le transport aérien. À cet égard, le gouvernement envisage la privatisation partielle de la compagnie nationale Ethiopian Airlines et d’Ethio Telecom.
Le premier excédent commercial de la France en Afrique subsaharienne
Enfin, « sur le plan bilatéral », comme l’a fait encore remarquer Frédéric Bontems, les relations entre la France et le champion africain de la croissance « se sont très fortement intensifiées », comme en témoigne le bilan de la dernière visite d’État en Éthiopie les 12 et 13 mars derniers d’Emmanuel Macron effectuée à l’invitation du nouveau Premier ministre éthiopien.
Conformément aux engagements conjoints pris lors de la visite d’Abiy Ahmed en France, le 19 octobre 2018, les deux gouvernements ont réitéré leur volonté d’établir un partenariat privilégié.
Pour l’heure, les échanges commerciaux bilatéraux sont très déséquilibrés. « L’Éthiopie achète pour quelque 800 millions d’euros [à la France] et ne lui vend que pour quelque 40 millions d’euros », a rappelé pour sa part Henok Teferra, ambassadeur d’Éthiopie en France, s’exprimant dans un parfait français. Un tel déséquilibre s’explique en partie par la vente d’Airbus A350 à Ethiopian Airlines. « Il y a donc un fort excédent commercial en faveur de la France », a insisté le diplomate éthiopien. Ce surplus commercial fait de l’Éthiopie le premier excédent commercial de la France en Afrique subsaharienne.
Par ailleurs, « les perspectives de croissance demeurent bonnes sur 2018-2019 », selon l’ambassadeur de France en poste à Addis-Abeba. La croissance devrait ainsi se maintenir autour de 8 %. De plus, le PIB par habitant a doublé en dix ans, contribuant à un recul significatif de la pauvreté. L’Éthiopie, qui n’a toujours pas adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), envisage par ailleurs de rejoindre le groupe des pays à revenu intermédiaire d’ici 2025.
Une situation politique encore fragile
« L’Éthiopie demeure plus que jamais une terre d’opportunités compte tenu des réformes politiques et des perspectives de croissance », a conclu Frédéric Bontems. « Néanmoins, a-t-il tempéré, les difficultés demeurent : la lisibilité de l’économie, des tensions politiques… ».
Dans ce pays enclavé, voisin de l’Érythrée, les fortes tensions ethno-politiques persistent entre les Oromo et les Amhara, les deux principales ethnies locales, et la minorité des Tigréens. Ces tensions demeurent au sein du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), la coalition politique au pouvoir.
La situation politique et sécuritaire demeure fragile, en témoigne la tentative de coup d’État régional survenue le 22 juin, au lendemain de l’atelier organisé par Business France. Quatre personnes sont décédées, dont le chef d’état-major des armées et le président de l’État-région Amhara, dans le nord-ouest du pays lors de cette tentative de coup d’État.
Reste que ce marché à la main-d’œuvre abondante – 54 millions de travailleurs – en plein boom économique offre des opportunités multiples.
Des opportunités dans le développement agricole
Des opportunités commerciales existent dans le secteur agricole où le savoir-faire français dans les biens d’équipement contribuerait à moderniser l’appareil productif agricole éthiopien.
L’agriculture, pilier de l’économie, premier poste d’exportations, est vulnérable aux aléas climatiques –en 2015, le pays subissait sa pire sécheresse depuis une cinquantaine d’années– et à l’évolution des cours mondiaux des produits de base. Le pays exporte essentiellement des commodités : café, thé, graines oléagineuses, orge…
L’Éthiopie est le plus important producteur d’orge d’Afrique. Le groupe familial français Soufflet a d’ailleurs posé en mars dernier la première pierre de sa première malterie en Éthiopie. La construction de cette malterie, dont la mise en service est prévue en 2020, est l’aboutissement d’un véritable projet de filière lancé en 2017 par le groupe français dans ce pays qui est le plus gros producteur d’orge alimentaire et fourragère en Afrique. Située dans la banlieue d’Addis-Abeba, la malterie Soufflet bénéficiera d’un emplacement stratégique, au plus près des cultures d’orge.
Des secteurs industriels en quête de rattrapage
L’expertise française dans les équipements est également la bienvenue pour développer l’industrie agroalimentaire locale. « Dans l’agroalimentaire, l’Éthiopie a un retard considérable », a déploré l’ambassadeur Henok Teferra. Selon lui il n’y a qu’à se rendre dans un supermarché à Addis-Abeba pour le voir : « tout est importé », a regretté le diplomate. Le pays, estime-t-il, a besoin du savoir-faire français réputé dans ce domaine.
Des opportunités existent également dans l’industrie manufacturière. « La politique industrielle éthiopienne est assez ambitieuse », a affirmé Henok Teferra. En effet, le géant de la Corne de l’Afrique se développe par l’intermédiaire de plans quinquennaux, les Growth Transformation Plans (GTP), qui font la part belle à l’industrialisation.
Le second volet est en cours (2016-2020). À travers ce plan quinquennal, le gouvernement « s’est donné pour objectif de développer les industries légères en Éthiopie : le textile, la pharmacie, le traitement des peaux…
Un besoin flagrant d’infrastructures
« Quand on étudie l’Éthiopie, on étudie un pays qui se construit », a indiqué d’emblée Stéphane Colliac, économiste Senior Afrique et France chez Euler Hermes lors de son exposé. « C’est un pays qui se construit rapidement », a-t-il précisé.
L’économiste a pointé les besoins en infrastructures (Internet, eau, électricité, lignes ferroviaires, routes…). Pour accéder à un niveau de vie supérieur, un investissement en infrastructures, routières en priorité, de 35 milliards de dollars par an sera nécessaire d’ici à 2030 selon Euler Hermes. L’amélioration des infrastructures et transports est d’ailleurs une des priorités du second volet du GTP, qui prévoit l’extension à 220 000 km du réseau routier.
Dans l’énergie, « la feuille de route gouvernementale est assez ambitieuse », a dévoilé pour sa part l’ambassadeur d’Éthiopie. Le deuxième plan quinquennal s’est fixé comme objectif de passer de 4,2 à 17 gigawatts de puissance installée. Avec un marché dont la taille augmente, notamment en zone urbaine, l’Éthiopie fait actuellement face à une offre en termes d’énergie en deçà de la demande, à la fois des ménages et de l’industrie.
L’Éthiopie tire 90 % de son énergie de barrages hydroélectriques. Selon Euler Hermes, 45 milliards de dollars devront être trouvés en Éthiopie d’ici à 2030 (2ème potentiel à exploiter en Afrique), pour financer un programme de barrages hydroélectriques, mais également l’ensemble des outils nécessaires pour acheminer l’électricité vers la population.
Des freins : un environnement des affaires instable
Reste que si des opportunités sectorielles s’ouvrent aux investisseurs internationaux, l’environnement des affaires éthiopien est difficile. L’Éthiopie occupe le 159ème rang sur 190 pays classés par la Banque mondiale dans son dernier rapport pour la facilité à faire des affaires (Doing Business 2019). Le gouvernement en est conscient et a amorcé des réformes.
« Une nouvelle loi vient de sortir qui permet de faciliter les enregistrements et les licences pour les PME et TPE en Éthiopie », a prévenu ainsi Olivier Poujade, vice-président du Club d’affaires franco-éthiopien. Cette loi vise à faciliter les démarches administratives autant pour les entreprises locales que les sociétés étrangères.
Autre frein, le manque de devises qui fragilise l’économie. « Nous manquons cruellement de devises », a admis Henok Teferra. L’accès limité aux devises étrangères restreint les possibilités d’importation. De plus, le faible niveau des réserves de change pousse les autorités à limiter les importations.
Néanmoins le pays doit être approché avec une vision à long terme car malgré ces difficultés, son taux de croissance ne faiblit pas. Les prochaines élections générales, prévues en 2020, vont constituer un enjeu majeur pour l’avenir du pays où Business France a ouvert en février 2016 une antenne à Addis-Abeba.
Venice Affre