Cet article, qui a fait l’objet d’une alerte diffusée dès le 6 mars, a été actualisé le 7 mars à 18H. Les passages concernés sont en italique.
« Nous ne mettrons pas la tête dans le sable », a assuré Jean-Claude Juncker, dans la soirée du vendredi 2 mars, à des journalistes allemands qui l’interrogeaient sur la riposte que concoctait l’Union européenne (UE) face à la nouvelle offensive protectionniste de Donald Trump, déclenchée la veille. La décision du président américain d’introduire des taxes douanières de 25 % sur les importations américaines d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium, mérite une « réponse musclée et coordonnée », se justifiait-on dans les couloirs de la Commission à Bruxelles.
Depuis, ses experts travaillent d’arrache-pied pour établir une liste de produits américains susceptibles d’être lourdement taxés en cas de mise en application des taxes américaines. Objectif ? Taper là ou ça fait mal sans contrevenir pour autant aux règles dictées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Si les Américains imposent des taxes sur l’acier et l’aluminium, nous devons traiter les produits américains de la même façon », a indiqué le président de l’exécutif européen.
Des produits politiquement sensibles pour les Républicains
Les jeans Levi’s, le Bourbon ou les Harley Davidson font partie des produits envisagés, mais ce ne sont pas les seuls. Autres cibles potentielles : les fromages importés du Wisconsin et les jus d’orange, produit d’exportation clé pour la Floride. Un choix qui ne laisse rien au hasard et répond évidemment à des raisons d’ordre stratégique. De fait, il s’agit de produits sensibles pour les Républicains.
Le whisky Bourbon, par exemple, est le produit phare du Kentucky, l’État du chef de la majorité au Sénat américain, Mitch McConnell. Les motos Harley Davidson sont quant à elles un des emblèmes du Wisconsin, l’Etat de Paul Ryan, le président républicain de la Chambre des représentants.
Coïncidence ou pas, ce dernier a appelé, le lundi 5 mars, le président américain Donald Trump à revenir sur son projet. « Nous sommes extrêmement préoccupés par rapport aux conséquences d’une guerre commerciale et appelons la Maison blanche à ne pas poursuivre ce projet », a déclaré Paul Ryan, dans un communiqué de presse. Des déclarations d’autant plus surprenantes qu’il avait jusqu’ici affiché un soutien sans faille pour le locataire de la Maison Blanche.
L’UE veut rester dans les clous fixés par l’OMC
La liste définitive devait être validée mercredi 7 mars par le collège des Commissaires mais l’exécutif a finalement préféré attendre et jouer la prudence. Rien n’a encore été annoncé officiellement par Washington, la Commission espère donc encore que l’Europe sera exemptée. « Une liste provisoire est en discussion » et sera « bientôt rendue publique » a confirmé Cecilia Malström, la Commissaire au Commerce devant la presse, ajoutant quelques exemples à ceux déjà annoncés par Jean-Claude Juncker. « Il y a sur cette liste des produits en acier, industriels et agricoles. Certains types de Bourbon en font partie ainsi que d’autres articles comme le beurre de cacahuète, les airelles et le jus d’orange ».
Selon des informations révélées par Le Monde, elle concernerait un volume d’exportations américaines vers l’Europe de 2,8 milliards d’euros, soit bien moins que le milliard d’euros d’aluminium et les 5 milliards d’euros d’acier européens susceptibles d’être pénalisées par la mesure américaine.
Mais l’UE met un point d’honneur à rester dans les clous fixés par le gendarme mondiale du commerce. Ses responsables espèrent que la menace d’une telle mesure suffira à convaincre Washington de modérer ses intentions.
Car faute de faire plier Donald Trump, elle pourrait au moins attiser les divisions au sein de sa majorité. Paul Ryan n’est en effet pas le seul à s’être désolidarisé de la décision du président américain. Le 6 mars, Gary Cohn, son principal conseiller économique, a lui aussi claqué la porte de la Maison Blanche pour marquer sa désapprobation. Les Républicains seraient d’ailleurs en train d’examiner les démarches possibles au Congrès pour empêcher l’adoption de ces taxes.
Mesures de sauvegarde et action collective à l’étude
La Commission envisage néanmoins d’autres actions pour atténuer l’impact des mesures américaines. Outre les produits visés par la liste, des mesures de sauvegarde sont également à l’étude afin d’éviter que le marché européen ne soit inondé par de l’acier ou de l’aluminium, destinés initialement aux Etats-Unis mais en recherche de nouveaux débouchés.
Si les responsables à Bruxelles ont bien affirmé que l’UE était prête à avancer seule, dans un premier temps, le recours à une action collective auprès de l’OMC figure aussi dans les options de riposte possibles. L’exécutif aurait ainsi pris des contacts avec d’autres pays, également affectés par la mesure américaine, comme le Canada, le Brésil, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Turquie.
Le précédent de George W. Bush en 2002
Autant d’actions qui ont démontré leur effet par le passé, rappelle-t-on à Bruxelles. En 2002, George W Bush avait lui aussi imposé, un an après son arrivée au pouvoir, des surtaxes allant de 8 % à 30 % sur dix catégories de produits importés tels que l’acier plat laminé, les fils pour machines ou les tubes soudés, entre autres. L’UE avait immédiatement répliqué en déposant plainte auprès de l’OMC. Deux mois après la décision du président américain, les Européens avaient aussi publié une liste de produits américains frappés de droits de douane pouvant aller jusqu’à 100 %, dont les jus de fruit, les T-shirts ou encore les slips.
Finalement, après avoir perdu devant l’OMC – qui avait donné raison aux quinze pays de l’UE et à sept autres de ses alliés (Japon, Chine, Brésil, Nouvelle-Zélande, Norvège, Corée du Sud, Suisse) – Georges Bush s’était résolu à supprimer ses taxes en décembre 2003, soit quinze mois avant leur échéance théorique. La menace de nouveaux droits de douane, sur les fruits et légumes, les textiles, les chaussures ou les motos, dont le coût était estimé à 2,2 milliards de dollars, aurait également pesé dans la décision. Certains de ces produits avaient, une fois encore, été choisi en fonction de leur région d’origine, généralement des Etats dont le soutien était nécessaire au Président américain en vue de la campagne pour sa réélection en 2004…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–Etats-Unis / Commerce : l’Europe vent debout contre les surtaxes sur l’acier et l’aluminium
– Lire dans notre dernier dossier spécial « Où exporter en 2018 » : Protectionnisme, une menace qui entretient l’incertitude
Et aussi :
–Etats-Unis / Protectionnisme : le projet de réforme fiscale américain inquiète les Européens
–Export / Commerce : le protectionnisme facteur d’aggravation des risques pays, selon Credendo
–Commerce / International : le Medef sonne la mobilisation contre le protectionnisme
–États-Unis / Protectionnisme : vers un « hard Trump » ou un « soft Trump » ?