Le plan de soutien aux industries vertes lancé par le gouvernement américain dans le cadre de l’IRA (Inflation Reduction Act) a suscité l’ire des Européens qui craignent des détournements d’investissement au détriment du Vieux Continent. Pourtant, selon une récente note du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), l’IRA pourrait paradoxalement augmenter significativement les coûts de production locaux. Dans ce contexte, l’Union européenne dispose d’atout et à tout intérêt à poursuivre son dialogue transatlantique.
« L’IRA aurait dû être bien accueillie en Europe : c’est la première fois que l’État fédéral américain adopte une loi ambitieuse sur le changement climatique », estime le directeur du Cepii Antoine Bouët dans un Policy Brief dédié à ce vaste plan de soutien à la décarbonation de l’économie américaine.
Votée au Congrès en août 2022, l’Inflation Reduction Act (IRA) est une loi qui, loin d’avoir pour priorité l’inflation, met en place des incitation fiscales à la production et à la consommation d’énergies propres ainsi qu’une programmation des financements pour les dix prochaines années.
A l’origine du courroux européen : ces incitations sont réservés aux entreprises de droit américain et les clauses de contenu local qu’ils comportent enfreignent les règles de l’OMC. Mais que recouvrent exactement ces financements ? Les principaux sont :
(I) – un crédit d’impôt de 7 500 dollars au profit des ménages pour l’achat d’un véhicule électrique neuf, 4 000 dollars pour des véhicules électriques d’occasion avec des conditions de revenus et de taille du véhicule ;
(II) – un crédit d’impôt au profit des ménages de 2 000 dollars pour l’achat d’une pompe à chaleur, poêle à biomasse… ;
(III) – un crédit d’impôt pour la rénovation thermique d’une maison jusqu’à 30 % du coût total de la rénovation, plafonné à 1 200 dollars par an ;
(IV) – un crédit d’impôt à la production pouvant monter jusqu’à 15 dollars par MWh pour les entreprises produisant de l’électricité générée selon un processus décarboné ;
(V) – un crédit d’impôt pour la production d’électricité nucléaire décarbonée de 15 dollars par MWh ;
(VI) – un crédit d’impôt pouvant monter jusqu’à 3 dollars par kg pour la production d’hydrogène vert ;
(VII) – un crédit d’impôt pouvant monter jusqu’à 1,75 dollar par gallon pour la production de carburant renouvelable pour l’aviation ;
(VIII) – une subvention aux investissements dans les énergies renouvelables, à hauteur de 70 % de son montant.
Des clauses de contenu local exigeantes
Au total, le paquet « climat et énergie » de l’IRA est doté de 391 milliards de dollars (Md USD), une somme régulièrement présentée comme astronomique mais bien en deçà des 1200 Md EUR de la Bipartisan Infrastructure Law (BIL) qui ambitionne de rénover les infrastructures. Mais ces dépenses sont exprimées sur 10 ans et ne représentent que 0,17 % du PIB américain.
En outre, sur la dizaine de crédits impôts prévus, sept comportent une clause de contenu local. A titre d’exemple, Antoine Bouët détaille le mécanisme de la mesure la plus emblématique de cette loi. « Les ménages américains bénéficient d’un crédit d’impôt de 7 500 US$ pour l’achat d’un véhicule électrique neuf si : (I) ce véhicule a été assemblé en Amérique du Nord ; (II) un certain pourcentage des minerais critiques nécessaires à sa fabrication (40 % en 2023…, 80 % en 2027) vient des États-Unis ou d’un pays ayant un accord de libre-échange avec les États-Unis ou a été recyclé aux États-Unis – cette clause conditionne l’octroi de 50 % du crédit d’impôt ; (III) un certain pourcentage des composants rentrant dans la fabrication des batteries (50 % en 2023…, 100 % en 2029) doit avoir été fabriqué ou assemblé au sein de l’USMCA (accord régional United States Mexico Canada) – cette clause conditionne l’octroi des autres 50 % du crédit d’impôt. »
Si ces mesures sont simples à mettre en place et prédictibles, elles n’en sont pas moins exigeantes pour les entreprises. « Ford s’est par exemple plaint que ces clauses de contenu local sont trop restrictives », souligne Antoine Bouët. En effet, alors que l’IRA doit donner un coup de fouet à l’investissement, il pourrait paradoxalement les ralentir en raison de l’augmentation des coups de production.
Une possible augmentation des coûts de production
En effet, pour respecter les critères des clauses de contenu local, les constructeurs peuvent être amenés à revoir la structure de leurs biens d’équipement et intermédiaires. Et c’est là que le bât blesse selon Antoine Bouët : « Soit ces critères ne modifient pas le processus de production d’une entreprise bénéficiant de cette fiscalité – et donc la clause de contenu local n’a aucun impact –, soit ils le modifient, et ce ne peut jouer que dans le sens d’une hausse des coûts de production, sans quoi l’investisseur aurait adopté ce processus de production ».
Selon une enquête conduite par l’OCDE en 2014, trois quarts des investisseurs dans l’éolien et le solaire estime qu’une clause de contenu local est une barrière aux investissements directs étrangers.
En outre une étude américaine de 2022 (Head, K., Mayer, T.& Melitz, M. (2022). The Laffer Curve for Rules of Origin), qui étudie un problème proche (les règles de contenu local permettant d’obtenir des exemptions de droits de douane) démontre qu’il existe un effet de seuil. Ainsi de l’accord de libre échange USMA (USA-Mexico-Canada) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.
Le dialogue transatlantique se poursuit
« Ils concluent à une » courbe de Laffer « , souligne Antoine Bouët. Des obligations de contenu local de plus en plus contraignantes génèrent au départ un accroissement de la localisation des activités de production dans la zone, mais passé un certain niveau d’exigence, l’effet devient négatif. Ils calibrent leur modèle sur les données sectorielles de l’automobile dans l’USMCA et concluent que le passage d’une obligation de contenu local de 62,5 % à 75 % augmente l’emploi, mais accroît le prix des automobiles. Le passage à un niveau de 85 % augmente les prix et baisse l’emploi. »
Enfin, seulement 20 % des véhicules produits aux États-Unis respectent les critères pour être éligibles au crédit d’impôt de 7500 USD. La loi prévoyant une augmentation des pourcentages-seuils de contenu local, il sera de plus en plus difficile aux constructeurs de les respecter, laissant augurer des augmentations de prix.
L’Europe ne manque pas d’atouts
Dans ce contexte, et malgré l’indignation qu’a provoqué l’IRA parmi les dirigeants politiques et dans les milieux d’affaires européens, le chercheur au Cepii estime que l’Europe ne manque pas d’atouts pour continuer à attirer les IDE dans ses industries vertes : « taille du marché unique, qualité des institutions, qualité des infrastructures, capital humain disponible ».
Du reste, depuis le vote de cette loi à l’été 2022, le dialogue transatlantique est constant et peut se targuer d’une avancée : l’achat d’un véhicule électrique fabriqué dans l’UE et exporté pour des raisons commerciales en leasing devrait bénéficier du même crédit d’impôt accordé pour l’achat d’un véhicule électrique produit aux États-Unis, sans considération pour le respect des clauses de contenu local et/ou le lieu de l’assemblage.
« Une bilatérale États-Unis-UE sur des biens environnementaux, « vendue » comme un accord de libre-échange permettant d’accéder aux conditions restrictives des clauses de contenu local de l’IRA pourrait apparaître comme un renouveau du dialogue transatlantique », espère Antoine Bouët. Alors que l’UE vient d’adopter son propre plan de soutien à l’industrie verte, C’est tout l’enjeu des discussions qui se poursuivent actuellement entre Bruxelles et Washington.
Sophie Creusillet