Le Moci a publié par erreur, dans le dossier Industrie paru le 31 mars (Moci N° 1887), une version non définitive de l´entretien accordé par Frédéric Sanchez, président de la Commission internationale du Medef, président du directoire de Fives. Voici la bonne version, avec toutes nos excuses à l´intéressé et à nos lecteurs.
Le Moci. Est-ce que la France a raison de développer une politique industrielle ?
Frédéric Sanchez. Oui, c´est fondamental. Les États-Unis, le Japon, la Chine l´ont compris depuis longtemps. En France, après la période gaullienne, l´industrie est progressivement tombée dans les oubliettes, et on ne peut que se féliciter de la prise de conscience récente de son importance dans le développement économique de notre pays. Elle représente 80 % de nos exportations, et si la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB est d´un peu moins de 15 %, elle contribue fortement au développement des activités de services. Compte tenu de l´émergence de nouveaux acteurs aux ambitions mondiales dans les zones géographiques en forte croissance (Chine, Inde, Brésil et sans doute demain Indonésie), il est essentiel d´avoir des champions français et européens capables d´affronter la compétition internationale. La suppression de la taxe professionnelle a été une mesure très positive.
De même, le CIR [crédit d´impôt recherche] constitue un atout et une opportunité d´investir dans le futur, et particulièrement dans l´innovation, facteur clé de succès dans la compétition internationale. Les pôles de compétitivité sont également très utiles. Enfin, le Programme d´investissements d´avenir, présidé par René Ricol, va dans le bons sens en offrant aux industriels une orientation précise sur les grands secteurs et les technologies dans lesquels la France veut investir dans le futur.
Le Moci. Quelles mesures de soutien à l´industrie souhaitent les patrons français ?
F. S. Les entreprises françaises, petites et grandes, ont un problème de compétitivité. Les coûts salariaux, du fait du niveau élevé des charges sociales, sont supérieurs de 10 % à ceux de l´Allemagne, alors qu´en 2000, le coût du travail en France était inférieur à celui de nos voisins d´outre-Rhin. Et la différence est encore plus forte avec les États-Unis, où les charges sociales et fiscales sont encore plus basses. Il faut donc rendre plus compétitif le coût du travail dans notre pays. Cela implique de trouver de nouvelles ressources, pas forcément en créant de nouveaux impôts, mais certainement en réduisant les dépenses publiques et en repensant le financement de notre protection sociale.
La mise en œuvre des 35 heures s´est également accompagnée d´une inflexion de notre compétitivité-prix. Sans doute faudrait-il réfléchir à la mise en place, de façon pragmatique et concertée, d´une durée conventionnelle du travail négociée branche par branche, à l´instar de ce qui est fait en Allemagne (apportant ainsi souplesse et adaptation aux enjeux du terrain), plutôt que d´une durée légale. Enfin, il faut travailler sur d´autres facteurs de compétitivité : l´adéquation des formations dispensées dans le système éducatif aux besoins des entreprises, l´apprentissage des langues étrangères (qui doit encore progresser) et, bien sûr,
l´innovation sous toutes ses formes.
Le Moci. Le gouvernement français veut favoriser la création d´entreprises de taille intermédiaire (ETI). Qu´en pensez-vous ?
F. S. Oui, il faut aider nos PME à grandir pour devenir des ETI, capables de prendre le chemin de l´export. À titre de comparaison, 17 % des PME exportatrices allemandes sont implantées à l´étranger, contre seulement 3 % des PME françaises (étude réalisée pour Natexis par l´université Paris Dauphine). Les marges de manœuvre financières sont supérieures outre-Rhin, du fait d´une rentabilité opérationnelle plus forte et de structures de bilan plus solides. Cela facilite leur développement à l´international. Ce n´est pas le cas en France, où nos PME peinent à grandir. Un bureau commercial à l´étranger représente un coût d´environ 1 à 1,5 million d´euros par an, ce qui est à la portée de très peu d´entre elles.
En outre, malgré les améliorations et aménagements apportés à son mode de calcul, l´ISF demeure pénalisant, tout comme la fiscalité du patrimoine, qui taxe les titres sur l´ensemble de la chaîne, de la détention à la transmission. Ceci a sans doute pour effet de pousser les actionnaires familiaux n´exerçant aucune activité dans l´entreprise à en céder les titres, notamment lorsque la valorisation augmente parce que l´entreprise est précisément en phase de développement. Ainsi, les PME en croissance sont souvent absorbées par de plus grosses entreprises. Enfin, même si, depuis la crise, cet atout a montré quelques limites, les entreprises allemandes bénéficient de systèmes de financement favorables et décentralisés, à travers de fortes relations entre tissu industriel et banques, notamment avec le relais des Landesbanken.
Propos recueillis par François Pargny