A Niort, Eno fabrique depuis vingt ans des cuisinières et des fours pour bateaux ainsi que des planchas. Après une première mésaventure au Canada il y a 15 ans, cette PME d’une centaine de salariés a su remonter la pente et revenir sur le marché nord-américain où elle réalise désormais 15 % de son chiffre d’affaires.
C’est jour de fête à l’usine d’Eno. A l’occasion de la signature d’un partenariat entre Origine France Garantie (OFG) et les Entreprises du patrimoine vivants (EPV), la PME niortaise accueille des élus, la presse et des entreprises des deux réseaux pour une visite du site de production et un moment de convivialité autour d’une plancha, spécialité d’Eno aux côtés des appareils de cuisson pour le nautisme. Laurent Colas, le directeur général, est administrateur de l’association nationale des EPV et vice-président de l’association OFG, dont l’entreprise fut une des premières à recevoir la certification en 2011.
Les produits fabriqués et conditionnés par la centaine de salariés revendiquent en effet un taux d’intégration de « fabriqué en France » oscillant entre 70 % et 80 %, une part élevée pour une activité industrielle. « Quand nous avons lancé notre gamme de planchas et que nous démarchions la grande distribution en France, on nous demandait de revenir quand nous produirions en Chine. Aujourd’hui, ce sont les mêmes qui nous contactent quand ils font des catalogues de produits Made in France », sourit son associé et président de l’entreprise, Antoine Thomas.
Un « fabriqué en France » revendiqué à l’international
Pour le dirigeant, cette certification est également un atout à l’international, où Eno réalise 30 % de son chiffre d’affaires, tous produits confondus. « A l’export, le fait de pouvoir affirmer une origine est important car les Français ont bonne réputation dans le nautisme et le matériel de cuisson. C’est aussi une façon de dire qu’un produit n’est pas fabriqué n’importe où et n’importe comment. »
Le label EPV, également obtenu en 2011, est gage de qualité et très répandu dans le segment haut de gamme de l’univers de la cuisine et des arts de la table. Il garantit l’utilisation de savoir-faire particuliers, en l’occurrence l’émaillage de planchas garanties à vie que l’entreprise réalise sur place grâce à un procédé « à sec » unique au monde et mis au point par son directeur général, ingénieur des Arts et Métiers de formation.
« Nous sommes très fiers d’avoir continué l’émaillage quand nous avons repris l’entreprise il y a vingt ans, renchérit Antoine Thomas. Ne pas poursuivre aurait été un gâchis. » Les deux associés, qui se sont rencontrés en classe de cinquième, se sont retrouvés lors de leur service militaire chez les chasseurs alpins. Diplômé d’une école de commerce, le président d’Eno, a travaillé pendant 10 ans chez Coca Cola France. Laurent Colas dispose quant à lui d’une expérience de consultant en organisation industrielle et de directeur industriel dans le secteur du meuble.
Les comparses lancent une start-up. Echec. Ils cherchent alors à reprendre une entreprise.
« C’était le début des années 2000, la loi sur les 35 heures venait de passer et nous visions le marché des loisirs, se souvient Laurent Colas. Et nous avons trouvé cette belle endormie qui était en suffisamment mauvais état pour que nous puissions la racheter sur nos fonds propres. »
Créée en 1909 à Revin, dans les Ardennes, Haineaux, qui deviendra Eno en 1927, fabrique des appareils de cuisson et de chauffage en fonte et se relocalise en 1916 à Niort sur un premier site avant de s’installer sur celui d’une ancienne fonderie, qu’elle occupe toujours actuellement. Avant son déclin, à la fin des années 70, elle fabriquera successivement des grenades à main (pendant la Première guerre mondiale), des chauffages au gaz (exportés au Maghreb, en Syrie, en Libye, en Jordanie et au Liban), des appareils électroménagers d’appoint et… des tondeuses à gazon solaire.
Un premier échec américain
Après trois dépôts de bilan à compter de la fin des années 1980, l’entreprise est à genoux. Ses nouveaux propriétaires, rejoints par leurs femmes Lorine Colas et Christine Thomas au marketing et à la communication, développent les équipements de cuisson pour les bateaux de plaisance, une activité BtoB. Eno expédie ses cuisinières sur cardan sur les chantiers des grands noms du nautisme français (Béneteau, Fountaine-Pajot, Dufour…), mais aussi au fabricant de catamarans sud-africain Robertson and Caine ou à l’allemand Bavaria. Cette activité de première monte est complétée par la fourniture ponctuelle d’appareils dans la cadre de rénovations de bateaux.
En 2006, les deux associés passent à la vitesse supérieure en rachetant leur principal concurrent, le Canadien Force 10. A Vancouver (Colombie Britannique), le site de production compte une vingtaine d’employés, fabrique la même gamme de produits et doit permettre à Eno de prendre pied sur le marché nord-américain. Mauvais timing : la crise financière de 2007-2008 sinistre le secteur mondial du nautisme et laisse Force 10 exsangue. « La crise a été plus rapide et plus brutale au Canada et aux États-Unis qu’en Europe et nous avons dût agir très vite, se souvient Antoine Thomas. Il a fallu relocaliser à Niort les machines et certains composants, intégrer les savoir-faire, refaire les plans des appareils de cuisson qui étaient en mesure impériale et adapter les produits à nos gammes. Revenir au même niveau de production de Force 10 avant la crise nous a pris deux ans. »
La PME des Deux-Sèvres s’accroche à son gouvernail (deux permanents gèrent sur place les affaires courantes pendant 5 ans) et passe le cap. Eno finit par créer un établissement secondaire et ne conserve que 200 m² de locaux pour ses activités commerciales avec les chantiers de construction navale de Vancouver mais aussi la Floride, autre haut lieu de nautisme en Amérique du Nord.
Aujourd’hui, l’export absorbe 30 % du chiffre d’affaires total d’Eno (nautisme et planchas, 18 millions d’euros en 2022) : 15 % outre-Atlantique et 15 % en Europe.
Retour au Canada par la côte Est
Pour passer la crise du nautisme, l’entreprise a pu s’appuyer sur son autre spécialité, la fabrication de planchas qui représente aujourd’hui les deux tiers de l’activité. Lorsqu’ils reprennent Eno en 2003, pour ne pas laisser péricliter le savoir-faire de l’émaillage et élargir leur gamme, les deux dirigeants ont l’idée de développer une ligne de production de cet appareil de cuisson populaire en Europe, mais quasi inconnu en Amérique du Nord où le barbecue au gaz est roi.
En 2010 cette activité décolle et en 2012 le nom La Plancha® est déposé aux États-Unis. Mais c’est depuis Montréal, à l’autre bout du Canada, que la PME ambitionne de convertir les Américains à l’utilisation de cette plaque chauffante. On y parle la même langue et le décalage horaire avec la France est moins important qu’avec la côte Ouest des États-Unis.
En 2012, un V.I.E (volontaire international en entreprise) part défricher le terrain et faire connaître la marque. Un commercial est plus tard embauché en Ontario pour le marché anglophone. « Nous pensons que le marché va se développer, s’enthousiasme Antoine Thomas. De grands noms du barbecue comme Weber sont en train de lancer des planchas, ce qui aide à faire connaître le produit auprès du public. »
Et pourquoi pas produire sur place ? Le marché américain est en effet connu pour son protectionnisme et la carte Made in USA y fait florès. « Nous avons encore quelques années devant nous, 4 ou 5 ans. Pour l’instant on expédie par conteneurs et nous utilisons l’acticité américaine pour consolider l’activité du groupe en France, explique le président d’Eno. La priorité c’est d’absorber les commandes et de maîtriser la production. »
Cap sur l’Allemagne et le Royaume-Uni
Comme toutes les industries particulièrement énergivore, l’entreprise fait actuellement face à la flambée des prix de l’énergie. En 2022, la facture a été multipliée par quatre, passant de 280 000 euros à 1,2 million d’euros. Un surcoût qui a été répercuté sur les prix de vente, en hausse de 26 % en moyenne. Comme dans beaucoup d’entreprises industrielles, elle doit également composer avec des difficultés de recrutement, privilégie la formation en interne, travaille en partenariat avec un Esat local et ne manque pas de vanter la situation en centre-ville de l’usine à ses futurs employés.
Ces vicissitudes ne l’empêchent pas de continuer à prospecter de nouveaux marchés. Elle songe au marché australien, mais le coût de la certification (environ 40 000 dollars US) est pour l’instant un frein. Eno cherche actuellement un distributeur en Allemagne et un importateur au Royaume-Uni.
Elle développe aussi ses gammes : aux appareils de cuisson et aux planchas se sont ajoutées des cuisines d’été. L’an dernier, autre innovation : Laurent Colas a équipé les opérateurs de 40 tablettes numériques connectées au système de gestion de la production et les données en temps réel permettent de fluidifier le travail.
A l’heure où la réindustrialisation et le « fabriqué en France » font couler beaucoup d’encre, le parcours d’Eno ces 20 dernières années montre qu’il est possible pour une PME industrielle de produire sur le sol national, d’allier savoir-faire traditionnels et innovation, de rayonner à l’international et de mettre en avant des valeurs qui correspondent aux tendances de consommation. En décembre dernier, Eno a ainsi obtenu le label européen Longtime qui garantit des produits contre l’obsolescence prématurée et favorise le développement de l’économie circulaire.
Sophie Creusillet