Sans surprise, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a revu à la baisse ses prévisions de croissance du commerce mondiale en 2022, la guerre en Ukraine ayant ruiné les espoirs de reprise. Dans un contexte d’incertitude sur l’évolution des chaînes d’approvisionnement, elle prévoit un effondrement du commerce de la zone CEI et craint à présent la constitution de « blocs » commerciaux nuisibles aux échanges, notamment pour les pays les plus fragiles.
La croissance du commerce mondiale de marchandises en volume ne dépassera pas les 3 % en 2022, soit 1,7 point de moins que les prévisions initiales de l’OMC publiées avant le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie. Une légère accélération est anticipée en 2023, à 3,4 %. Les services devraient également être affectés à cause des sanctions sur la Russie, important acteur à l’export (55 Md USD en 2021) comme à l’import (74 Md USD en 2021), mais l’OMC ne donne pas de prévision précise.
C’est un véritable coup de frein après une année 2021 marquée par une forte reprise, malgré les goulots d’étranglement des transports et la pénurie de composants électronique : le commerce mondial de marchandises avait bondi de + 9,8 % en 2021, atteignant 22 400 milliards de dollars (USD), et celui des services de 15 %, à 5 700 Md USD, tirés par la forte demande de services de transport (+ 33 %)..
Et la prévision pour 2022 pourrait être remise en cause dans l’hypothèse d’une escalade du conflit : la marge de variation en fonction de différents scénarios varie entre 0,5 et 5,5 % prévient l’OMC dans son communiqué du 12 avril.
Les importations de la CEI vont chuter de 12 %
D’autant plus qu’outre le conflit et l’avalanche de sanctions occidentales sur la Russie qui s’en sont suivie, d’autres facteurs d’incertitudes pèsent sur la conjoncture. Le principal cité par l’OMC est la résurgence de la Covid-19 en Chine et les mesures de confinements qui s’en suivent (Shanghai en ce moment), paralysant à nouveau des pans entiers de la production et perturbant le transport maritime international « à un moment où les pressions dans les chaînes d’approvisionnement semblaient s’atténuer ».
La croissance économique mondiale, elle, sera également ralentie : l’OMC table sur une croissance du PIB mondial en dollars au taux de change du marché d’à peine 2,8 % cette année, soit 1,3 point de moins qu’initialement prévu, et de 3,2 % en 2023.
La première zone impactée par la guerre en Ukraine est logiquement la CEI (Communauté des Etats indépendants)* à l’est de l’Europe, sans compter l’Ukraine elle-même (qui ne fait pas partie de la CEI), dont une partie des infrastructures et de la production est à l’arrêt et endommagé. D’après les prévisions de l’OMC, cette année, la production dans la CEI devrait chuter de -7,9 % et ses importations pourraient s’effondrer de -12 %.
Résurgence d’une logique de « blocs » commerciaux
Mais indirectement, notamment par l’intermédiaire de la hausse des prix de l’énergie et d’un certain nombre de matières premières alimentaires -dont la Russie et l’Ukraine sont d’importants fournisseurs- et non alimentaires, cette guerre intervenue alors que la planète se remettait à peine de la crise sanitaire a aussi « endommagé l’économie mondiale à un moment critique », comme l’a indiqué Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC, le 12 avril (notre photo). « Son impact va se faire sentir dans le monde entier, en particulier les pays à faible revenu, où les produits alimentaires représentent une large proportion des dépenses des ménages ».
D’après les estimations de l’OMC, le prix du baril de Brent a atteint 118 UDS/b en mars, soit une hausse de 81 % sur un an (et + 38 % sur janvier). Les prix du gaz naturel en Europe ont pour leur part progressé de 45 % au 1er trimestre 2022, à 41 USD / million de BTU. Ils sont demeurés très bas aux Etats-Unis (4,9 USD)
Surtout, c’est l’émergence d’une logique de « blocs » commerciaux que craint l’OMC. On peut relever que cette logique était déjà en germe dans les tensions économiques et commerciales entre les États-Unis (et l’Union européenne dans une moindre mesure) et la Chine. Elle est désormais favorisée par les sanctions occidentales massives sur la Russie, que n’ont pas suivi les autres BRICS (Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud…).
« L’histoire nous enseigne que le fait de diviser l’économie mondiale en blocs rivaux et de tourner le dos aux pays les plus pauvres ne conduit ni à la prospérité, ni à la paix, estime encore Ngozi Okonjo-Iweala. L’OMC peut jouer un rôle central en offrant une enceinte où les pays peuvent débattre de leurs divergences sans avoir recours à la force, et l’Organisation mérite d’être soutenue dans cette mission ». Et d’appeler les grandes puissances à prendre des mesures pour faciliter les échanges, notamment avec les pays les plus pauvres.
En attendant, mauvaise nouvelle pour les exportateurs du monde entier, les marchés d’importations vont marquer le pas dans la plupart des zones géographiques en 2022 et 2023. Seule exception, les marchés du Moyen Orient, où les pays producteurs de pétrole et de gaz voient leurs revenus grimper grâce à la hausse des prix des hydrocarbures. Une manne qui profitera à quelques autres producteurs en Afrique, notamment.
Les prévisions d’importations par grandes zones
Par grandes zones géographiques, voici les prévisions de l’OMC concernant l’évolution des importations en 2022, avec rappel de l’évolution 2021 :
–Amérique du Nord : + 3,9 % (+ 12,6 % en 2021)
–Amérique du Sud : + 4,8 % (+ 25,8 % en 2021)
–Europe : + 3,7 % (+ 8,1 % en 2021)
– CEI : – 12 % (+ 10,7 % en 2021)
– Afrique : + 2,5 % (+ 4,6 % en 2021)
–Moyen-Orient : + 11,7 % (+ 5,3 % en 2021)
– Asie : + 2 % (+ 11,1 % en 2021°)
L’évolution de l’indice mondial des directeurs d’achat d’IHS-Markit, un indicateur qu’utilise l’OMC pour anticiper les évolutions à court terme, confirme cette tendance : les nouvelles commandes à l’exportation sont tombées à 48,2, un niveau inférieur à l’indice moyen de référence établi à 50 et, surtout, le point le plus bas atteint depuis juillet 2020, en pleine pandémie. Cela indique un ralentissement, voire une contraction du commerce mondial.
Christine Gilguy
*Membres de la CEI : Russie (État fondateur), Biélorussie, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Tadjikistan, Arménie, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan
Le communiqué détaillé de l’OMC sur ses prévisions 2022 sont dans le document téléchargeable ci-après.