De 26e partenaire commercial de la France en 2021, la Russie a rétrogradé au 37e rang en 2023, sous l’effet des sanctions occidentales mises en place à la suite de la guerre en Ukraine. Depuis le début de l’invasion russe, il y a deux ans et demi, la France en a profité pour trouver de nouveaux débouchés à l’export et de nouveaux fournisseurs.
Sans être totalement négligeable, la part de la Russie dans les exportations tricolores de biens demeurait somme toute relativement modeste avant le début le début du conflit, de l’ordre de 1,3 %. Deux ans et demi ainsi que 14 trains de sanctions européens plus tard, cette part est tombée à 0,3 %, soit quatre fois moins, détaillent les Douanes dans une note récente. Ce recul s’est accentué dès 2014, à l’heure des premières mesures prises par l’Union européenne (UE) afin de sanctionner l’invasion de la Crimée.
En 2023, la France a importé 3,6 milliards d’euros (Md EUR) de biens (contre 12,9 Md EUR en 2021) et a exporté 2 Md EUR de biens à destination de la Russie (contre 6,4 Md EUR en 2021). Alors que ce pays représentait 1,8 % de l’ensemble des échanges e la France en 2021, cette part n’était plus que de 0,4 % en 2023. Le déficit commercial français vis-à-vis de la Russie s’est considérablement résorbé, passant de – 6,5 Md EUR à – 1,6 Md EUR en l’espace de deux ans.
L’industrie pharmaceutique, seule exception
Avant la mise en place des sanctions, les exportations françaises en Russie se composaient essentiellement de produits manufacturés, de moyenne et haute technologies des secteurs de l’aéronautique, la chimie, les machines, la pharmacie, l’informatique et l’électronique ainsi que de l’automobile.
Le secteur ayant dévissé de manière la plus brutale est l’aéronautique. Désormais interdites (et nulles en 2023), ses livraisons s’élevaient à 1,7 Md EUR en 2021. En forte baisse également, les exportations de machines ont été divisées par plus de cinq en valeur (0,1 Md contre 0,7 Md en 2021) et celles de produits chimiques par plus de deux à 0,4 Md EUR, après 0,8 Md EUR.
Enfin, les produits informatiques, électroniques et optiques, les produits automobiles et les équipements électriques et ménagers s’inscrivent aussi en forte baisse. Finalement, un seul secteur (qui n’est pas concerné par les sanctions de l’UE), a augmenté ses livraisons entre 2021 et 2023 : la pharmacie (+ 4 % en valeur).
Le GNL russe réexporté depuis la France
Du côté des importations, celles d’hydrocarbures (85 % des importations totales en 2021) a considérablement diminué, de l’ordre de 25 %. Dans le détail, les importations de gaz naturel liquéfié, qui n’est pas concerné par les sanctions de Bruxelles, n’ont reculé que de 5 % en volume (mais ont augmenté de 15 % en valeur). Le GNL est d’ailleurs, et de très loin, le principal produit que la France achète encore à la Russie. Alors que la Russie fournissait 26 % du GNL importé en 2021, cette part est tombée à 10 % en 2023.
A cet égard, le 14e train de sanctions adopté par l’UE en juin dernier, prévoit l’interdiction, pour les navires transportant du GNL russe, d’accéder aux ports européens et à leurs prestations de service. Bruxelles souhaite ainsi tarir une importante source de revenus pour Moscou et faire obstacle au ré-export de GNL vers des pays tiers.
En hiver, le GNL russe est transporté jusqu’en France, aux Pays-Bas et en Espagne où une large partie est transbordée et part pour l’Asie, essentiellement en Chine où la demande a explosé l’an dernier. Les transbordements russes s’effectuent principalement dans les terminaux GNL de Zeebrugge en Belgique et de Montoir en France. La route maritime Nord (RMN) permet en effet à des méthaniers brise-glace d’accéder aux terminaux de GNL produit par Novatek à Yamal, dans l’Arctique, et de repartir en direction de l’Europe et de la Chine.
Marchés et fournisseurs de substitution
Cette problématique des réexportations, touche d’autres secteurs comme le luxe (les exportations sont limitées à des articles valant moins de 300 euros) ou le pétrole. Une étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) montrait en 2023 l’ampleur du phénomène : en 2022, l’Inde a multiplié par dix ses importations de pétrole brut en provenance de Russie. Raffiné sur place, il est ensuite revendu à l’international. Cette même année 2022, les exportations indiennes de pétrole ont doublé à destination de l’Union européenne tandis que celles vers les États-Unis ont grimpé de 38 %.
Reste que pour continuer à s’approvisionner en pétrole brut, la France a fait appel à ses partenaires habituels (États-Unis, le Nigeria, le Kazakhstan, la Norvège et l’Irak) et de nouveaux fournisseurs sont apparus tels que l’Angola, le Brésil, le Guyana et les Émirats arabes unis.
A l’export cette fois, dans d’autres secteurs, les entreprises françaises ont su trouver d’autres débouchés. Ainsi, dans l’aéronautique, les ventes d’avions et de turboréacteurs en Inde, au Royaume-Uni et en Italie ont compensé la perte du marché russe. Idem pour les instruments de mesure : les ventes à l’Allemagne ont compensé la perte du marché russe.
Si ces sanctions ont considérablement ralenti les flux commerciaux entre la France et la Russie, elles n’ont apparemment pas entamé la croissance de cette dernière. Le FMI anticipe en effet une croissance de 3,2 % de l’économie russe en 2024, soit plus qu’en France ou en Allemagne, et la Banque mondiale vient requalifier la Russie de pays à « revenu intermédiaire supérieur » en pays à « revenu élevé ». Bref, les mesures prises par l’UE n’ont pour l’instant pas conduit à « l’effondrement de l’économie russe » promis par Bruno Le Maire au lendemain du vote des premières mesures par Bruxelles en 2022.
Sophie Creusillet