Eviter le pire. C’est, de l’avis général, la seule carte qui reste à jouer alors que l’échéance pour sceller un « deal » entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni sur leur relation post-Brexit, arrive à grand pas. Mais depuis le sommet des 15 et 16 octobre, rien ne va plus entre Londres et Bruxelles, chaque camp faisant peser sur l’autre la responsabilité de ces négociations, aujourd’hui dans l’impasse. Simple jeu tactique ?
Une partie de ping-pong
Une partie de ping-pong, comme l’ont décrit certains, mais qui ressemble davantage à un dialogue de sourds. Boris Johnson, qui a d’abord feint de jeter l’éponge après le message de fermeté adressé par les Vingt-Sept la semaine passée, a finalement fait volte-face mais réclame d’abord « un changement fondamental d’approche de l’UE ».
Concrètement, le Premier ministre britannique souhaite obtenir la garantie que les Européens sont eux aussi prêts à faire des concessions pour voir les pourparlers aboutir d’ici à la fin de l’année, la fin de la période de transition ayant été fixée au 31 décembre prochain.
« Nous n’aurons pas de nouvelle approche », a répliqué Clément Beaune, le secrétaire d’État français chargé des Affaires européennes. « Nos priorités sont claires. Elles n’ont pas de raison de changer. Elles ont été communiquées de manière transparente, en toute bonne foi à nos partenaires de négociation », s’est-il ensuite justifié.
Face au Parlement européen, où il présentait les conclusions du dernier sommet, Charles Michel, le Président du Conseil, a lui aussi marqué son impatience. « Le Royaume-Uni a maintenant un choix important à faire concernant son propre avenir. Il ne s’agit pas de choisir une tactique de négociation. Il s’agit de choisir le modèle de société et le modèle d’économie pour leur propre avenir ».
Disposé à poursuivre les discussions
Sur le fond, pourtant, chaque camp reste bien disposé à poursuivre les discussions. Lundi 19 octobre, Michel Barnier, le négociateur en chef côté européen, rappelait, sur Twitter, la disponibilité de l’Union pour « intensifier les discussions sur tous les sujets, sur la base de textes juridiques ». Un signe de bonne volonté pour montrer que les Européens sont prêts à faire des concessions ?
« Le geste est symbolique mais il vise à montrer que nous sommes disposés à prendre en compte certaines de leurs exigences », confirme un membre européen de l’équipe de négociations. Les Britanniques ont en effet demandé, à plusieurs reprises, d’avancer plus rapidement sur les textes juridiques. Une requête jusqu’ici rejetée par la Commission qui préférait, d’abord, aboutir à un accord sur les points clés de l’accord.
Les trois sujets bloqués
Mais cette main tendue ne suffira pas à occulter les divergences persistantes entre les deux camps.
Si des « perspectives de solutions » apparaîtraient, selon le négociateur européen, sur le commerce des biens, des services, sur l’énergie ou sur la coordination de la sécurité sociale, les discussions butent toujours sur trois sujets : l’accès des Européens aux poissonneuses eaux britanniques, les garanties réclamées à Londres en matière de concurrence, et la manière de régler les différends dans le futur accord.
« On s’attend à des négociations au finish », pronostique un responsable à Bruxelles.
Lors des précédents pourparlers, visant à fixer les termes de l’accord de retrait, le compromis a également été trouvé en bout de course après une longue phase de dramatisation. Et s’ils ont toujours conditionnés la conclusion d’un accord global à la résolution du conflit sur la pêche, les Européens envisageraient désormais de lâcher du lest sur ce secteur qui ne représente que 1% du PIB européen.
De quoi fissurer le front uni affiché depuis de ces négociations par les Vingt-sept. Certains Etats membres, peu concernés par la problématique « commencent à faire pression sur les autres pour qu’ils assouplissent leur position », déplore un diplomate français à Bruxelles.
« Il va y avoir du changement »
« Quoi qu’il arrive, il va y avoir du changement », a souligné Boris Johnson lors d’un entretien téléphonique avec 250 chefs d’entreprises. « Il est donc vital que tous ceux qui participent à cet appel prennent au sérieux la nécessité de se préparer », a-t-il ajouté.
Difficile de ne pas lui donner raison dans la mesure ou – accord ou pas accord – rien ne sera plus comme avant à l’issue de la phase de transition. Le 31 janvier dernier, le Royaume-Uni est sorti du club européen. Bien décidé à mener sa propre politique commerciale, rien ne pourra désormais éviter le retour des contrôles aux frontières dès le 1er janvier 2021.
Formalités et droits de douane en cas de no-deal
Les voyageurs seront tenus de se munir d’un passeport et les entreprises devront quant à elles remplir des déclarations d’importation et d’exportation ou fournir, quand nécessaire, les certificats sanitaires et phytosanitaires. Des formalités inévitables qui auront un coût économique et un impact sur la fluidité des échanges entre les deux blocs.
La situation pourrait bien sûr se corser faute d’accord entre Londres et Bruxelles d’ici à la fin de l’année. Au coût administratif s’ajouterait celui des droits de douane qui seront – dans le cas de figure d’un no-deal – alignés sur ceux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Généralement compris dans une fourchette de 4 à 6 %, ils peuvent atteindre 10 % sur les voitures, 12 % sur les vêtements, 40 % sur le porc, 65 % sur le bœuf et jusqu’à 100 % sur certains produits alimentaires.
Tout le monde y perdrait, surtout les Britanniques
Tout le monde y perdrait mais surtout les Britanniques, comme n’a cessé de le rappeler Emmanuel Macron. Et les chiffres lui donnent raison : 47 % des exportations britanniques sont destinées au marché européen alors que seulement 8 % des marchandises de l’Union sont exportées outre-Manche.
Au sein de l’UE, la facture ne sera pas la même pour tous les Etats membres. Selon une étude publiée mardi 20 octobre par Euler Hermes, la France sera le troisième pays le plus affecté par la sortie du Royaume-Uni, après l’Allemagne et les Pays-Bas.
Dans le scénario d’un no deal, les pertes à l’export sont estimées à 3,6 milliards d’euros, contre 1,9 milliard en cas d’accord commercial entre Londres et Bruxelles. Les secteurs des transports et équipements, de la chimie, des machines et équipements électriques, et des aliments, boissons, alcool et tabac seront – selon l’étude – les plus touchés, quel que soit le scénario.
Quant au Royaume-Uni, il serait bien sûr la première victime d’un no-deal. Les estimations tablent sur une contraction du PIB britannique de 4,8 % en 2021, une chute de l’investissement de 25,8 %, des exportations de 13 % et une inflation supérieure à 5 % pendant au moins six mois. A l’inverse, le pays enregistrerait, en cas d’accord, une croissance de 2,5 % l’année prochaine et une progression des exportations de 1,8 %.
Un risque de « Brovid » pour Londres
Des perspectives qui pourraient pousser les deux camps à s’entendre in extremis estime Euler Hermes qui continue à miser sur le scénario d’un soft Brexit, seule façon de limiter les dégâts de part et d’autre.
Une urgence aussi, pour le Royaume-Uni qui risquerait – faute d’accord – d’être confronté à un double choc. Sur fond de ralentissement économique, causé par la pandémie, la perspective deviendrait doublement angoissante pour le pays. Elle se résume d’ailleurs par un nouveau mot, très à la mode Outre-Manche : le « Brovid » soit la contraction d’un « Brexit with no deal » et de « Covid »…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles