Business France et CCI France ont signé le 14 mai dans une relative discrétion leur accord stratégique « pour la mise en œuvre de la Team France Export » (TFE). C’est pourtant une étape formelle importante puisqu’il s’agit de fixer les objectifs et les modalités concrètes de leur alliance pour les deux prochaines années, pour développer le nouveau dispositif public d’accompagnement des entreprises à l’export visant à créer en France, sous l’égide des Régions, des « guichets uniques » et à l’étranger des « correspondants uniques ». Cet accord, qui « matérialise le cadre dans lequel les Parties seront amenées à mutualiser des équipes, des moyens, des méthodes et des outils », a été paraphé au nouveau siège de CCI France, à Levallois Perret, par Christophe Lecourtier, directeur général de Business France, et Pierre Goguet, président de CCI France.
La presse n’ayant pas été conviée, seuls quelques tweets postés le jour même par certains participants et un communiqué de presse commun des deux organismes publié le lendemain ont marqué l’événement. Pierre Goguet et Henri Baissas, le directeur général délégué de Business France en charge des réseaux France, l’ont également mentionné le lendemain, lors d’une audition au Sénat, dans le cadre d’une table ronde organisée par la Commission des affaires économiques sur la mise en place de la TFE* à laquelle participait également Pedro Novo, le directeur exécutif de l’export de Bpifrance.
Une mise en œuvre très avancée sur le terrain
Il est vrai que les deux organismes, pressés par leurs tutelles dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint -notamment pour le réseau consulaire- n’ont pas attendu cette signature pour lancer cette réforme dès le lendemain de son annonce par le Premier ministre Édouard Philippe, le 23 février 2018 à Roubaix. Ses grandes lignes sont largement connues. La mise en œuvre est très avancée sur le terrain.
De fait, à ce jour, selon les déclarations entendues lors de l’audition au Sénat, une trentaine de conseillers – 32 exactement sur 38 prévus- et 11 coordinateurs de Business France ont déjà rejoint les quelque 160 conseillers internationaux des CCI pour former les nouvelles équipes « TFE ». Désormais structurées par secteurs, elles sont chargées de détecter, orienter, préparer, projeter à l’international les TPE, PME et ETI.
Des conventions TFE ont été signées dans 9 régions métropolitaines sur 13, deux autres étant en cours de négociations pour une signature avant la fin de l’année (Occitanie et Île de France) et les deux dernières (Grand Est et Bretagne), toujours en discussion, étant espérées pour 2020. Des accords sont discutés avec certains territoires ultramarins (Martinique et Réunion).
Les nouveaux outils digitaux qui doivent équiper ce dispositif sont également en phase avancée de développement : le CRM commun -système de gestion de la relation client-, est actuellement testé dans quatre régions pilotes : Nouvelle Aquitaine, Hauts de France, Normandie et Île de France. D’après les déclarations d’Henri Baissas au Sénat, chaque conseiller international a des objectifs en termes de visites et de qualification d’entreprises, l’objectif global étant d’avoir qualifié 26 000 entreprises d’ici à 2022.
La plateforme de solutions, sorte de place de marché des offres publiques et privées à la disposition des entreprises et première porte d’entrée du dispositif pour les nouveaux exportateurs, teste deux versions régionales depuis le 14 mai en Auvergne Rhône-Alpes et en Normandie. Son déploiement national sera officiellement lancé le 17 juin prochain depuis Rouen, sous l’égide du président de l’association Régions de France, Hervé Morin.
A l’étranger, la constitution du réseau de « correspondants uniques » est également engagée. Selon Henri Baissas, le dispositif couvre 104 pays : dans 50 %, Business France est ce « référent unique », dans 50 %, c’est le secteur privé. Auparavant, le réseau de l’agence publique couvrait 64 pays dans lesquels elle était le seul référent public. L’agence a concédé dans les derniers mois de 2018 par appels d’offres à des opérateurs privés – tous des CCI françaises à l’étranger (CCIFI)- des missions de services public dans huit pays (Singapour, Hong Kong, Norvège, Singapour, Belgique, Hongrie, Philippines, Maroc) et prépare son retrait de la même façon dans une dizaine d’autres, dont en Russie et au Kazakhstan cette année.
L’accord fixe dans le détail les modalités et les engagements
Dans ce contexte, l’accord signé le 14 mai est-il une simple formalité ?
Ce texte de 14 pages assorti de 4 annexes est, au contraire, avec les Conventions signées tour à tour par chacun des opérateurs avec leurs ministères de tutelle – le COM pour Business France et le COP pour CCI France – un texte cadre fondamental pour la suite de cette réforme. Il précise en effet dans le détail, outre les grands objectifs, les différentes modalités concrètes de la coopération mise en place par les deux organismes ainsi que leurs engagements.
Il couvre la période allant jusqu’au 31 décembre 2021, qui correspond à l’échéance de la Convention d’objectifs et de performance signée par CCI France et l’État en avril dernier, et prévoit même une clause de « revoyure » en cas de changements devant affecter l’un ou l’autre des opérateurs.
Selon le communiqué de presse, les grands objectifs sont rappelés, reposant sur trois axes désormais bien connus des observateurs de la réforme :
-mise en place de guichets uniques TFE « notamment entre chaque CCI régionale (CCIR) et Business France, sous l’égide des Régions » ;
-à l’étranger, « désignation d’un correspondant unique TFE dans chaque pays de destination en confiant la mission de service public d’accompagnement des PME à l’export à un opérateur unique, soit Business France, soit un acteur privé, sélectionné´ à l’issue d’une procédure de mise en concurrence » ;
-enfin, mise en œuvre d’outils digitaux « permettant la transformation de l’action de l’ensemble de ces acteurs publics associés à la politique de soutien à l’export (l’État, via son opérateur spécialisé´ Business France et les CCI, mais aussi les Régions), en lien avec les acteurs privés ».
Le cadre de la coopération dans sept domaines
L’accord, selon le communiqué de presse, fixe notamment le cadre de la coopération des deux opérateurs dans sept domaines :
1/ L’offre d’accompagnement aux entreprises, qu’il s’agit de « rationaliser, consolider et optimiser » par la mise en œuvre d’une « offre commune de service aux PME pour leur développement export », et l’élaboration des « objectifs communs et solidaires fondés sur les modalités d’accompagnement des différentes phases de développement international des entreprises ».
2/ Le déploiement dans chaque Région par la mise en place « des équipes mixtes de conseillers internationaux utilisant les mêmes méthodes et un fonds partagé de connaissances », le développement « des outils digitaux partagés – CRM et plateforme de solutions export- définis sur le plan national » et enfin l’utilisation et la promotion commune « la marque Team France Export ».
3/ Le développement de l’activité de la TFE « dans le souci d’une montée en valeur des services des deux Parties au bénéfice des PME des territoires ».
4/ L’élaboration des bases d’un « nouveau modèle économique intégrant les contraintes budgétaires de chacune des Parties ». Il s’agit là d’une allusion claire à l’augmentation des prestations facturées aux entreprises, tout autant Business France et les CCI étant pressées par leurs tutelles d’augmenter leurs ressources propres et de réduire leurs sources de financement budgétaires.
5/ La promotion du « dispositif » et des « offres » TFE dans les territoires.
6/ La mise en place d’une « gouvernance commune garantissant le pilotage efficace de cette alliance ».
7/ Et enfin, « devenir un centre d’expertise et de ressources à l’international pour les Régions ».
Un comité de pilotage stratégique
Concernant la « gouvernance commune », selon nos informations, elle prend la forme d’un comité de pilotage stratégique (COPIL) qui « a autorité » sur la mise en œuvre de la réforme. Il s’appuie sur un « groupe de liaison » qui assure son suivi opérationnel quotidien.
Le COPIL est composé, côté CCI France, du président, de son directeur général (DG) et de son directeur général délégué (DGD), côté Business France, de son DG, de son DGD en charge des réseaux France et de son adjoint, mais aussi du président de la CCI Paris Île de France (Didier Kling), du directeur de réseau CCI International et des deux directeurs de projets TFE de chaque opérateur. La composition du groupe de liaison est presque la même moins les deux présidents consulaires et le DG de Business France.
Lors de l’audition au Sénat, des élus se sont inquiétés du fait que la version finale de la Loi Pacte adoptée par le Parlement prévoit (article 7) la fin de la présence de représentants des réseaux consulaires (et des organisations professionnelles) en tant que tels au sein du conseil d’administration de Business France. Une réforme qui peut paraître paradoxale au moment où les deux opérateurs se rapprochent. D’après les déclarations des représentants de la TFE, il semble que des discussions sont en cours pour qu’un représentant de CCI France puisse au moins assister aux réunions…
Christine Gilguy
*La vidéo de cette table ronde est disponible en replay au lien suivant : http://videos.senat.fr/video.1147231_5cd9ef2b0719e.table-ronde—refonte-du-dispositif-public-dappui-au-commerce-exterieur