Les entreprises françaises sont à la traîne, par rapport à leurs homologues européennes, pour tirer bénéfice des préférences commerciales négociées par l’Union européenne dans le cadre des accords de libre-échange qu’elle a signés avec les pays tiers. Et elles méconnaissent les outils gratuits qui leur permettrait de le faire. C’est le constat fait lors de la journée « Accès aux marchés », le 27 mars à Bercy, au cours de laquelle responsables français et européens se sont engagés à redoubler d’efforts pour améliorer l’information sur ces opportunités, notamment auprès des PME.
Le constat n’est pas nouveau : alors que l’Union européenne (UE) a multiplié les signatures d’accords de libre-échange avec des pays tiers, les entreprises françaises, et notamment les PME, ne les utilisent pas suffisamment : elle ne sont que 76 % à utiliser les préférences tarifaires en France, contre 79 % en moyenne au niveau européen selon les chiffres délivrés par Denis Redonnet, Chief Trade Enforcement Officer à la DG Commerce de la Commission européenne, aux participants à la Journée accès au marché organisée le 27 mars à Bercy.
2,3 milliards d’euros de droits de douane économisés
Des chiffres complétés par Guillaume Vanderheyden, sous-directeur au Commerce international à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) : selon lui, les 76 % des entreprises qui ont utilisé les préférences tarifaires en 2022 ont économisé près de 2,7 milliards en droits de douane. Mais si les préférences tarifaires avaient été utilisées par l’ensemble des exportateurs, c’est 3,3 milliards d’euros qui auraient pu être économisés…
Il a également observé que les préférences étaient plus ou moins utilisées selon les pays de destination : à 65 % vers le Canada, à 62 % vers le Japon mais seulement à 44 % vers l’Algérie. Enfin, il a constaté un progrès, tout de même : en 2019, seulement 69 % des entreprises exportatrices françaises utilisaient les préférences tarifaires, soit 7 points de moins qu’en 2022.
Reste que, pour Olivier Becht, ministre en charge du Commerce extérieur, les produits d’un tiers des exportateurs français « subissent des tarifs supérieurs à ce qu’ils devraient être » au lieu de bénéficier de droits de douane réduits ou nuls. Un facteur de compétitivité prix qu’il n’est pas question de négliger au vu du niveau de déficit commercial atteint en 2022 (-164 Md EUR)…
Le constat est d’autant plus décevant que les accords de libre-échange se traduisent par une augmentation des échanges entre les deux blocs signataires : les exportations vers la Corée du Sud depuis la signature de l’accord en 2009 ont progressé de 50 % et elles ont été multipliées par trois ces dix dernières années. Avec le Canada, depuis la signature du CETA il y a cinq ans, les exportations de biens ont globalement augmenté de 60 %, avec des secteurs particulièrement dynamiques tels que le cuir, les cosmétiques ou les produits alimentaires transformés.
D’après Guillaume Vanderheyden, globalement, les exportations de la France vers les pays tiers depuis 2019 ont augmenté de 30 Md EUR, pour atteindre 91 Md EUR l’an dernier, dopées il est vrai par les flux vers le Royaume-Uni (47 Md EUR), considéré comme un pays tiers depuis le Brexit. « L’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni fonctionne bien » a signalé le responsable.
Une crainte de la complexité
Qu’est-ce qui empêche les entreprises exportatrices françaises d’en profiter davantage ?
La complexité, ou plutôt l’appréhension de la complexité, a été citée par plusieurs intervenants comme l’obstacle majeur, le bénéfice de ces accords nécessitant des formalités administratives et douanières, en premier lieu l’obtention d’un certificat d’origine auprès des douanes. Une démarche pas toujours simple à comprendre mener.
« Les règles d’origine sont parfois très complexes et les entreprises préfèrent payer 2 ou 4 % de droits de douane plutôt que de faire face » a noté Luisa Santos, directrice générale adjointe de Business Europe, le réseau européen des entreprises. « Il y a une certaine crainte de la complexité » a relevé de son côté Denis Redonnet. Cette crainte n’est d’ailleurs pas spécifique aux accords commerciaux, elle est palpable dès que l’on aborde le sujet des réglementations s’appliquant au commerce extérieur dans chaque pays.
Ainsi, la complexité administrative et réglementaire est le deuxième obstacle à l’export le plus cité dans les enquêtes de Business France auprès de ses clients, a rappelé Laurent Saint-Martin directeur général de cette agence nationale en charge de l’internationalisation des entreprises. Et la connaissance même des avantages des accords commerciaux est loin d’être spontanée : « Quand une PME se pose la question d’exporter, elle n’a pas le réflexe d’aller regarder les pays où on a des accords commerciaux » a constaté Laurent Saint Martin.
Le portail gratuit Access2Markets sous-utilisé en France
Pour clore ce tableau, les entreprises françaises – et elles ne sont pas seules dans ce cas au niveau européen- utilisent peu les outils gratuits et parfois très innovants mis en place par l’UE pour faciliter la vie aux exportateurs, et en particulier aux PME.
On citera en particulier le portail européen Access2markets lancé en octobre 2020, qui propose gratuitement des informations sur les réglementations import de 135 pays, notamment en lien avec les accords commerciaux qu’ils ont signés avec l’UE. « C’est un guichet unique d’information pour l’export dans 135 pays » a rappelé Denis Redonnet.
Depuis son lancement, il est d’autant plus une mine d’informations pour les responsables de l’administration des ventes à l’export ou de la fonction douane qu’il s’est enrichi d’une extension sur les marchés publics en 2021, et d’un outil d’autoévaluation de l’origine des produits dénommé Rosa. Il est à présent question de faire une extension sur les services.
Mais là encore, la France est à la traîne concernant le nombre d’utilisateurs : alors qu’ils sont 5000 à se connecter quotidiennement dans toute l’Union européenne, la France ne compte que 44 utilisateurs en moyenne chaque jour. Et les utilisateurs tricolores ne génèrent que 8 % de tout le trafic du portail, qui compte actuellement 4,5 millions d’utilisateurs…
Poursuivre les efforts d’explication auprès des entreprises
Il y a donc de la « marge de progression », pour reprendre l’expression de Denis Redonnet, c’est le moins qu’on puisse dire. « Je pense que les accords commerciaux restent pour beaucoup d’entreprises quelque chose de complexe », a reconnu Olivier Becht lors d’un point presse. « Il n’est pas évident de naviguer dans accords qui en plus sont différents en fonction des zones géographiques ».
Il faut donc poursuivre les efforts de pédagogie auprès des entreprises et des organisations professionnelles, de la part de la Commission européenne mais aussi, en France, des administrations telles que la direction générale du Trésor (DG Trésor) ou la DGDDI. « C’est aussi le travail que je souhaite que la Team France Export puisse faire au quotidien dans la proximité avec les entreprises », a complété le ministre.
Déjà, dans une première approche, les entreprises peuvent solliciter les conseils des cellules conseil aux entreprises dans les directions régionales de la douane, conseils précieux notamment en matière de règles d’origine, la douane étant seule habilitée à délivrer le « renseignement contraignant sur l’origine » (RCO), précieux sésame pour accéder aux préférences tarifaires des accords commerciaux.
Christine Gilguy
Le bilan du contrôle de l’application des accords
Chief Enforcement Officer : Denis Redonnet occupe cette fonction créée en 2020 par la Commission européenne pour renforcer le contrôle de l’application des accords commerciaux qu’elle signe avec les pays tiers, qui prévoient tous des clauses de règlement des différends. Il a donné un aperçu de son bilan lors de la journée accès aux marchés du 27 mars.
Pour lui, en matière de contrôle, « la clé, c’est la vitesse ». D’où une réorganisation de son service afin de « répondre rapidement » à tout signalement de nouvelle barrière au commerce, que ce soit le non- respect de normes, des obstacles non tarifaires ou des entraves à l’accès au marché, remonté par les opérateurs et services gouvernementaux des Etats membres de l’UE. Cela s’est notamment traduit par la mise en place d’un point d’entrée unique pour le dépôt des plaintes, le « Single entry point », sur la plateforme Access2Markets. « Depuis, 200 cas ont été traités et ont donné lieu à 80 plaintes » a indiqué Denis Redonnet. « Depuis octobre 2020, nous avons préservé l’équivalent de 7 milliards d’euros ».
Exemple de sujet de litige réglé bilatéralement ou via l’OMC : des problèmes de zonage et de respect des règles de l’OIT en matière de droit de travail avec la Corée du sud, ou des problèmes liée au système d’octroi de licences d’importation en Egypte. « fréquemment, on nous remonte des problème de délais de délivrance d’agrément ou de non-respect des règles de zonage dans le domaine agricole ». Denis Redonnet a appelé les opérateurs à ne pas hésiter à travailler avec son service dans ce domaine.
CG