Arnaud Vaissié a été élu le 28 juin président de CCI France International, tête de pont du réseau des 126 Chambres de commerce françaises à l’étranger (CCIFI) dans 96 pays. Il succède à Renaud Bentégeat (notre photo de gauche à droite). Un retour pour celui qui est aussi président du groupe International SOS, puisqu’il avait déjà présidé cette organisation durant six ans, de 2013 à 2019. Dans cet entretien exclusif au Moci, Arnaud Vaissié livre les priorités des CCIFI en matière de service aux entreprises et leurs attentes vis-à-vis du dispositif public d’accompagnement Team France Export à l’étranger, dont elles sont partenaires. Elle portent notamment sur l’augmentation du nombre de concession de service public (CSP) de Business France et des ajustements dans les relations avec les CCI en France.
Le Moci. Arnaud Vaissié, vous venez d’être élu à nouveau à la présidence de CCI France internationale, tête du réseau des Chambre de commerce française à l’étranger (CCIFI), un réseau qui a souffert mais s’est montré plutôt résilient durant la crise de la Covid. Dans quel état est-il ?
Arnaud Vaissié. Le réseau a globalement bien résisté mais il a quand même souffert puisque il vit de trois types de services : les événements, qui ont été très largement interrompus dans la plupart des pays à cause du Covid pendant 2 ans ; les abonnements, qui eux n’ont pas trop bougé car les entreprises ont eu besoin de solidarité et sont donc restés membres des chambres, certaines ont même enregistré des augmentations d’adhésions ; et le 3e pilier, le service aux entreprises qui exportent, qui a accusé une baisse avec l’interruption des voyages d’affaires pendant un peu plus de 2 ans.
Donc deux des trois piliers ont souffert, les chambres ont un niveau d’activité aujourd’hui inférieur à ce qu’il était avant la crise du Covid. Mais le redémarrage est très fort.
Le Moci. Votre prédécesseur, Renaud Bentégeat, a indiqué que durant cette crise, aucune chambre n’a fermé mais “250 collaborateurs ont été perdus”. Les embauches reprennent-elles aujourd’hui dans le réseau ?
Arnaud Vaissié. Oui, les embauches reprennent, c’est très clair, car les activités reprennent. Or, il est impossible de gérer ces activités sans les cadres, les directrices et les directeurs, qui sont les personnels clés dans les chambres, au-delà des instances de gouvernance que sont les bureaux et les conseils d’administration. Or, durant cette crise, on a eu un turnover de 30 %, ce qui est tout à fait considérable. Aujourd’hui, on recrute beaucoup, on forme énormément, mais c’est un travail de longue haleine car attirer les talents est devenu la chose la plus compliquée.
« L’objectif est d’augmenter les CSP de façon très significative »
Le Moci. Le dispositif Team France Export, dont fait partie CCI France International, a plutôt été valorisé durant cette crise, avec beaucoup de solidarité entre les membres. Quel bilan faites-vous du fonctionnement de la TFE à l’étranger ?
Arnaud Vaissié. Je trouve que la Team France Export a été une amélioration extraordinaire. Aujourd’hui, il existe une vraie collaboration, de grande qualité, entre les quatre grands acteurs que sont les Chambres de commerce, Business France, les Conseillers du commerce extérieur et enfin les ambassades.
Rappelons qu’il y a trois ans, l’État a confié à six CCIFI des concessions de service public (CSP) pour assurer la mission de Business France dans six pays différents ; trois ans après, le bilan est remarquable puisque sans subvention, ces chambres de commerce ont réussi à transformer cette activité en une activité profitable, avec un volume d’affaire en augmentation. Et l’État a pu redéployer les ressources en personnel dans d’autres pays. Cela montre bien que quand l’État confie des missions de service public aux chambres, ça fonctionne. Et donc l’objectif est d’augmenter ces CSP de façon très significative, ce qui permettra, je pense, une économie pour l’État et une meilleure efficacité du commerce et du support des entreprises.
Le Moci. Augmenter le nombre de CSP, relancer ce dispositif est donc une de vos priorités durant votre nouvelle mandature. Côté Business France, sentez-vous une volonté d’aller dans ce sens ?
Arnaud Vaissié. Oui je pense. A l’époque, on avait monté ça avec Christophe Lecourtier, et Dieu sait que ça n’avait pas été facile à l’époque parce qu’il y avait beaucoup d’oppositions des deux côtés. Ce n’est pas si facile que cela de trouver des formules win-win, je pense qu’il faut bâtir sur un succès et dans ce cas particulier, c’en est un. Je suis persuadé que le directeur général de Business France, Christophe Lecourtier, et moi-même, serons en faveur de l’élargissement de ce dispositif.
Le Moci. Et c’est un point que vous aimeriez voir dans la nouvelle feuille de route du ministre du Commerce extérieur Franck Riester…
Arnaud Vaissié. Absolument.
Le système TFE « doit être amélioré de façon sensible »
Le Moci. Les chambres qui ont bénéficié de ces CSP ont plutôt effectivement bien traversé la crise par rapport à d’autres ; par ailleurs, dans les CCI en France, on regrette souvent d’avoir perdu le lien direct avec les CCIFI sur les activités internationales. Y-a-t-il, au fond, un besoin d’ajustement à faire dans le fonctionnement de la Team France Export (TFE) ? Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Arnaud Vaissié. La première chose que je souhaite dire, c’est que la coopération entre les trois acteurs des réseaux consulaires – nous le réseau des CCI à l’étranger, CCI France qui est l’organisation chapeau des chambres de commerce en France, et les chambres de commerce en France – fonctionne : il y a une volonté de travail en commun remarquable. Ce matin, Alain Di Crescenzo, président de CCI France, a expliqué qu’aujourd’hui, on ne peut pas s’occuper de l’entreprise sans s’occuper de l’international car toute entreprise qui va grandir va aller à l’international. Donc, ce besoin de liaison entre les chambres est fondamental, il n’est pas opportuniste mais structurel. Et il y a un vrai développement de cette politique.
Dans ce cadre-là, les chambres françaises disent qu’elles veulent travailler avec les CCIFI de façon plus fluide que dans le système qui est en place aujourd’hui, et cela fait partie des ajustements à mettre en œuvre. Mais ce ne sont pas des ajustements structurels. Cela ne me paraît pas très compliqué d’améliorer les process de façon que, lorsqu’il y a une demande directe d’une d’entreprise à une chambre de commerce devant passer sur une CCIFI, il n’y ait pas besoin de transiter par le système externe Business France. Cela tout en conservant le système de base mis en place avec la Team France Export.
Le Moci. Cela fait donc partie des dossiers à rouvrir…
Arnaud Vaissié. Oui, un point à améliorer mais il ne s’agit pas d’une réforme de structure, on est vraiment sur une amélioration. En France, chaque fois qu’il y a un problème, on a tendance à dire qu’il faut repenser tout le système ou en créer un nouveau. Je suis exactement de l’école inverse qui est de dire « prenons ce qu’on a, faisons-le vivre et améliorons-le ». Je pense qu’on a aujourd’hui un système qui peut fonctionner, qui fonctionne, et qui doit être amélioré de façon sensible car on a quand même globalement un problème de commerce extérieur.
« Le risque de ralentissement économique,
voire de récession, est très fort »
Le Moci. La conjoncture est marquée par la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie. Vos chambres dans ces pays ont énormément souffert de cette situation. Comment voyez-vous l’avenir ? Quelles sont les priorités dans ce contexte plombé ?
Arnaud Vaissié. Le réseau est immense, avec 126 chambres à travers le monde. Ce qui se passe en Ukraine est terrible. Mon groupe International SOS est d’ailleurs très impliqué, on est très au courant du drame ukrainien. Les chambres françaises en Ukraine et en Russie ont bien entendu été affectées de façon très sévère mais cela n’impacte pas l’ensemble des chambres.
Ce qui influence l’activité des chambres en général, c’est la situation économique. On peut dire que le ralentissement économique est là, ainsi que la fragmentation du commerce au niveau mondial. Avec cette fragmentation, qui va rendre les échanges moins fluides, l’influence des relations bilatérales va devenir de plus en plus importante. Ma conviction est que ça ne peut que renforcer l’influence des chambres de commerce car dans un tel système, vous avez besoin de points d’appui locaux pour fonctionner sur le plan commercial.
Le vrai sujet aujourd’hui est d’améliorer les supply chains, qui sont aujourd’hui perturbées et dont les coûts et les délais ont augmenté de façon spectaculaire. Mais mon opinion est que dans les 12 prochains mois, nous aurons une certaine régularisation des supply chains ; en revanche, avec la hausse des taux d’intérêt, le risque de ralentissement économique, voire de récession, est très fort.
« L’international aujourd’hui fait partie du business as usual »
Le Moci. Dans un tel contexte, comment inciter les PME et ETI françaises à ne pas renoncer à l’international, à ne pas se replier sur soi ?
Arnaud Vaissié. Je trouve que les ETI françaises se comportent de façon remarquable. Toutes les enquêtes montrent qu’elles ont maintenu leur niveau d’investissement, qu’elles ont été capables de gérer leurs PGE et de les rembourser suivant les termes prévus. Pour la plupart d’entre elles, la digitalisation avance et la volonté d’exporter est là. Une des explications est que ce sont des entreprises familiales, qui ont une vision à long terme. Donc je ne suis pas particulièrement inquiet.
L’internationalisation aujourd’hui est automatique. On vit dans l’Union européenne qui est devenu un marché unique, presque un marché domestique, mais on parle d’internationalisation lorsqu’on va en Espagne, en Belgique ou en Angleterre, alors que d’un point de vue régional, on vend de façon locale. Donc toute entreprise en France qui grandit un peu va automatiquement se mettre à exporter dans l’Union européenne. L’international aujourd’hui fait partie, qu’on le veuille ou pas, du « business as usual » d’une PME qui grandit, et certainement d’une ETI.
CCFI Connect devient « l’outil de communication interne du réseau »
Le Moci. Le réseau des CCIFI devient de plus en plus intégré, 50 chambres membres partagent le même CRM. Quelles sont vos priorités dans ce domaine ?
Arnaud Vaissié. La moitié de l’équipe de CCI France international basée à Paris travaille sur le digital : ça montre à quel point les ressources sont concentrées sur cet aspect-là. Il est devenu essentiel parce que la digitalisation est clé pour toutes les entreprises, mais particulièrement utile pour un réseau éclaté comme le nôtre. Son rôle est de fédérer 126 chambres à travers le monde, de leur apporter des outils et de les faire travailler ensemble. Les nouvelles pratiques grâce aux systèmes de visioconférence sont transformatrices. Et c’est extraordinaire. On peut arriver maintenant à parler à l’ensemble de nos CCIFI instantanément et gratuitement. Il est clair que l’investissement va augmenter, et qu’il ne cessera jamais car le digital est devenu central dans la façon dont l’entreprise fonctionne et encore plus un réseau décentralisé comme celui des chambres.
De façon pratique, l’application des chambres de commerce, CCFI Connect, que vous pouvez télécharger gratuitement sur Google Play ou Apple Store lorsque vous êtes membre, est en train de devenir l’outil de communication interne du réseau. Elle permet de communiquer, de transférer de l’information, transférer des process, de faire connaître les uns aux autres dans le réseau, et de développer des opportunités de commerce. Cette application est centrale mais c’est surtout une marketplace que l’on crée : chaque chambre de commerce peut rentrer sur cette plateforme créée à Paris tout en gardant ses propres outils et ainsi coopérer avec d’autres chambres, par exemple celle de l’Indonésie avec celle du Pérou. Cela offre une capacité d’amélioration complètement extraordinaire.
Propos recueillis par
Christine Gilguy