Les déboires autour du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), le traité de libre-échange UE / Canada, ont marqué les esprits à Bruxelles. On se souvient que, négocié pendant sept ans, le processus a failli dérailler dans sa phase finale suite au veto du parlement wallon. Retardée de quelques jours, la ratification a finalement bien eu lieu en octobre 2016, en échange de quelques aménagements concédés aux élus de cette région du sud de la Belgique.
Mais plus question à l’avenir d’autoriser une petite portion de la population de l’Union européenne (UE) de « prendre en otage un accord qui vise 500 millions de consommateurs », souligne un proche collaborateur de Cecilia Malmström, la commissaire au Commerce. « Ce type d’incidents risque aussi, à terme, de porter un coup à la crédibilité de l’exécutif pour négocier ces traités au nom des Vingt-huit, ajoute cette même source.
Mais une décision de la Cour européenne de justice de l’UE (CJUE) rendue en mai 2017, a encore compliqué la donne. Dans son verdict, l’instance basée au Luxembourg a estimé que le traité signé entre Singapour et l’UE en septembre 2013 « ne peut pas, dans sa forme actuelle, être conclu par l’UE seule ». Conséquence ? Tous les accords commerciaux dits de « nouvelle génération » que conclura la Commission à l’avenir, devront, pour entrer en vigueur, être validés non seulement par le Conseil (les dirigeants européens) et le Parlement de Strasbourg, mais aussi par près de 40 parlements nationaux et régionaux au sein du bloc européen.
Dans le détail pourtant, seules certaines dispositions des accords, dites de ‘compétence mixte’, sont visées par la décision de justice. Il s’agit, en particulier, du volet consacré aux investissements étrangers autres que directs ou celui lié au régime de règlement des différends entre investisseurs et États. La majorité des autres chapitres, tels l’accès privilégié aux marchés publics européens, les accords en matière de propriété intellectuelle, de protection des investissements ou les objectifs de développement durable, ont, quant a eux, été reconnus par la CJUE de ‘compétence exclusive de l’UE’. Pour être ratifiées, ces dispositions – qui constituent l’essentiel du texte des accords – ne doivent donc pas être soumises à l’approbation des parlements nationaux, mais seulement à celle des institutions de l’UE, soit le Conseil et le Parlement européens.
Dissocier les parties des traités à ratifier
Une difficulté procédurière qui laisse peu de marge de manœuvre à la Commission. La seule solution ? « Dissocier les parties des traités à ratifier », suggérait, au printemps dernier, Charles de Marcilly, de la Fondation Robert Schuman. « L’institution pourrait choisir de ne pas introduire dans l’accord commercial principal les règlements des différends, afin de n’avoir que ces derniers à présenter à la ratification des parlements nationaux », détaillait cet expert.
Et c’est visiblement l’option qui a été retenue à Bruxelles où l’on planche depuis quelques mois sur un nouveau système de « procédure de ratification accélérée ». Un cadre qui pourrait s’appliquer aux prochains accords, notamment ceux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, dont les négociations devraient être formellement lancées cet automne. « Le pacte serait divisé en deux parties. La seconde, beaucoup plus limitée, inclurait toutes les dispositions dites de compétences mixtes qui requièrent la ratification de tous les parlements au sein de l’UE », détaille un responsable de la DG Commerce à Bruxelles. Et selon lui, les consultations en coulisses ont déjà débutées.
En juillet dernier, le cabinet de Cecilia Malmström a distribué aux ambassadeurs des Vingt-huit une proposition relative à une « nouvelle architecture des accords commerciaux ». La semaine passée, c’était au tour de Jean-Luc Demarty, le directeur général du Commerce, d’évoquer cette piste avec les membres de la Commission ‘Commerce international’, lors d’une audition à huis clos au Parlement européen.
Au programme des prochaines réunions au sommet
« Le drame wallon a servi de signal d’alarme », commente Daniel Caspary, le porte-parole du groupe PPE sur les questions commerciales. « La plupart des citoyens ont en effet plaidé pour une validation des accords par leur parlement tout en étant choqué par la possibilité, pour une simple chambre régionale, de bloquer la ratification d’un tel traité. Cet épisode en a convaincu plus d’un que des changements étaient désormais nécessaires », estime cet eurodéputé, membre du CDU, le parti de la chancelière allemande.
La proposition devrait déjà être évoquée par Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l’état de l’Union à Strasbourg le 13 septembre prochain. « Mais il est peu probable qu’il entre dans les détails », confie un diplomate à Bruxelles. Berlin aurait demandé à la Commission de rester discrète sur le sujet d’ici aux élections du 24 septembre. Les Allemands avaient en effet été parmi les plus mobilisés d’Europe contre le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), le traité de libre-échange transatlantique, ou le CETA. Mais une fois passée cette échéance, le sujet devrait rapidement être inscrit au programme officiel des prochaines rencontres. D’abord à Tallin, les 21 et 22 septembre, lors de la réunion des ministres de l’Économie, puis lors du Conseil Commerce, à Bruxelles, le 10 novembre.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles