Une fois encore « les États-Unis font cavalier seul », déplore-t-on au sein de la Commission européenne. Alors que depuis 2014 Bruxelles et Washington avaient adopté une approche coordonnée dans leur politique de sanctions à l’encontre de la Russie, les Américains tentent désormais d’imposer leur propre tempo.
En cause ? L’approbation par le Sénat, le mois passé, d’un train de sanctions contre Moscou visant notamment des projets dans le domaine de l’énergie. Une initiative prise sans concertation avec les Européens. « Je regrette que l’approche commune de l’Europe et des États-Unis sur la Russie ainsi que les sanctions aient été limitées et abandonnées de cette manière », a déclaré Brigitte Zypries, la ministre allemande de l’Économie, dans un entretien accordé à Reuters.
Reste à savoir si Donald Trump donnera son blanc-seing à la proposition sénatoriale.
« S’il l’approuve, nous devrons envisager ce que nous ferons contre cela », a ajouté la ministre, membre du SPD. Car au-delà du manque de coordination entre les deux blocs, c’est surtout les risques que font peser cette initiative sur plusieurs fournisseurs d’énergie européens qui inquiètent certains États membres de l’UE, notamment l’Allemagne mais aussi la France ou l’Autriche.
I. Kocher (Engie) : « il s’agit d’une ingérence assez spectaculaire et inacceptable »
Si les sanctions envisagées aboutissaient, elles exposeraient les sociétés européennes impliquées dans le gazoduc Nord Stream 2 à des amendes pour infraction à la loi des États-Unis. Parmi les partenaires de ce projet, qui vise à relier la Russie à l’Allemagne, sous la mer baltique, figurent cinq géants gaziers européens : le français Engie, l’anglo-néerlandais Shell, les allemands Uniper et Wintershall et l’autrichien OMW, chacun devant apporter 10 % du financement de Nord Stream 2. « Il s’agit d’une ingérence assez spectaculaire et inacceptable dans les affaires européennes », s’est insurgée Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie. Elle exhorte donc l’UE à se mobiliser, car le projet visé par les mesures « n’est pas américain, n’implique pas d’acteurs outre-atlantique et n’est pas libellé en dollars », souligne-t-elle dans une interview au Financial Times.
Interrogée sur le sujet, la Commission européenne refuse à ce stade de commenter publiquement ce dossier sensible. En coulisses certains responsables reconnaissent néanmoins la dimension commerciale du dossier. À la recherche de nouveaux débouchés pour leur gaz naturel liquéfié (GNL), les Américains espèrent conclure des contrats à long terme avec les acteurs du marché européen, sur lequel Gazprom détient encore 34 % de part de marché. « Il s’agit clairement d’une manœuvre pour affaiblir la position des principaux concurrents », confiait un diplomate français au Conseil. Mais si la stratégie inquiète à Bruxelles, ses responsables restent réticents à intervenir dans un dossier qui divise depuis longtemps les Européens.
Plusieurs États membres d’Europe centrale et orientale, dont la Pologne, se sont toujours opposés à la construction du gazoduc Nord Stream 2. Outre la crainte d’une trop grande dépendance vis-à-vis du gaz russe, et de l’utilisation de ce levier pour isoler l’Ukraine, l’enjeu est aussi économique. Ils risquent en effet, à terme perdre les droits de transit liés aux gazoducs qui traversent leur territoire aujourd’hui.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
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