Si elle reste limitée à Bruxelles, l’influence des entreprises de l’économie collaborative n’a cessé de croître au cours de ces trois dernières années. Acteur majeur du secteur, Uber déclarait en 2015, dans le registre de transparence de l’UE, avoir dépensé entre 400 000 et 499 000 euros dans des activités de lobbying visant les institutions communautaires. L’année précédente ces coûts oscillaient dans une fourchette allant de 50 000 à 99 000 euros. Un budget qui reste très limité par rapport à d’autres géants américains – celui de Google en 2015 atteignait 4 milliards d’euros – mais qui démontre la volonté de ses responsables de poursuivre la guerre réglementaire pour faire valoir les spécificités du secteur auprès de l’exécutif européen.
Depuis la mise en place de la Commission Juncker, en novembre 2014, les représentants d’Uber ont également été reçus près de 50 fois par des commissaires, des membres de leur cabinet et/ou des hauts fonctionnaires de la Commission. « Soit huit réunions de moins que Facebook, au cours de la même période, alors que ces derniers dépensent plus du double pour faire leur lobbying à Bruxelles », reconnaît un membre influent de la Direction générale (DG) de la Concurrence à la Commission.
Même évolution constatée pour Airbnb, autre géant du secteur de l’économie du partage. Entre 2015 et 2016, son budget pour mener à bien sa bataille d’influence est passé d’une fourchette de 50 000 à 99 000 euros à 100 000 à 199 000 euros. Douze rencontres ont été recensées avec des membres de la Commission.
Une nouvelle fédération dédiée
Le nombre de lobbyistes déclarés a néanmoins chuté passant de six à deux. Une diminution qui s’explique, au moins partiellement, par la création d’une nouvelle association baptisée l’European Collaborative Economy Forum (ECEF – Forum européen de l’économie collaborative), dont le budget de lobbying est estimé entre 25 000 et 49 000 euros par an. Cette fédération – qui regroupe aujourd’hui, Uber, Airbnb mais aussi des entreprises offrant l’accès à des bateaux (Boataffair), à des bureaux partagés (Seats2Meet) ou à des voitures partagées (SnappCar), a été créée pour mieux représenter les intérêts d’un secteur en pleine évolution.
Elle « vise à aider les entreprises technologiques innovantes à faire entendre leur voix auprès des législateurs », détaille son P-dg Luc Delany. D’où la création, en 2015, d’un forum pour encadrer les discussions, entre les parties prenantes, sur les spécificités de l’économie collaborative. A l’origine, pas de lobbying donc, « il s’agissait avant tout d’échanger et de débattre sur le cadre réglementaire actuel et futur », commente cet ancien employé de Facebook, admettant néanmoins que l’objectif d’ECEF a sensiblement évolué, cette année, vers « un rôle de défenseur des intérêts du secteur ». Dernière offensive? Le maintien de contacts réguliers avec des élus européens pour participer à la rédaction d’un rapport, non-contraignant, sur l’économie collaborative, confié à l’eurodéputé italien de centre-gauche, Nicola Danti, également vice-président de la commission du marché intérieur au Parlement européen (PE).
Car notre mission « vise aussi à éduquer le législateur, trop d’idées fausses sur notre secteur restent largement partagées », estime Luc Delany. Soucieux de relayer les préoccupations de ses membres, il s’est également attelé à corriger leur image. « Ce ne sont pas des cowboys du Far West prêts à contourner les lois. En réalité ils se soumettent, comme toutes les autres entreprises, aux régulations en vigueur au sein de l’UE », affirme ce consultant.
Plusieurs plaintes déposées par Uber
Pas question de demander des passe-droits mais de lutter pour que les législations s’appliquent correctement aux acteurs du secteur, insiste-t-il, estimant que certaines interdictions de leurs activités, à l’échelle régionale et locale, s’apparentaient plutôt à des mesures protectionnistes créant des « obstacles non-justifiés », à leur introduction sur le marché.
Plusieurs plaintes ont pour cette raison été déposées par Uber contre la France, l’Espagne, la Belgique et l’Italie, l’an passé. Objectif : démontrer que ces États subventionnent illégalement leurs sociétés de taxis en leur octroyant des privilèges dont celles-ci abusent, autant de pratiques qui ne sont pourtant pas dénoncées par les autorités locales, déplore l’entreprise américaine. La tactique visait en fait à dénoncer les tentatives de ces pays de faire interdire son application de service de voitures avec chauffeur.
Au centre de la bataille, la Commission européenne a visiblement du mal à trancher. Selon un haut fonctionnaire à Bruxelles, Margrethe Vestager, la Commissaire en charge de la Concurrence, était plutôt favorable au développement de ce nouveau secteur, lors de son entrée en fonction. Mais Uber « a raté l’opportunité qui lui était offerte », explique cet expert, déplorant une tactique jugée « agressive » de la part de ses représentants et l’accumulation d’un trop grand nombre de plaintes à l’encontre de la compagnie.
Dernier revers qui risque de jouer contre ses intérêts, au moins dans l’immédiat : le verdict de l’avocat général de la Cour européenne de justice, rendu le 11 mai, reconnaissant Uber comme un service appartenant au secteur des transports plutôt qu’à celui d’Internet. Dans ce cas de figure, l’entreprise peut être contrainte d’acquérir des permis d’exploitation et des licences, au même titre que les autres entreprises de taxis.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–Transport VTC/Réglementation : Comment Uber poursuit son lobbying au Parlement européen
–Services de transport VTC : Uber pousse la Commission à envisager une régulation à l’échelle de l’UE
–Services : les plaintes d’Uber contre Paris embarrassent la Commission européenne