Réunis mi-mai à Bruxelles, autorités européennes et américaines devaient se rencontrer à nouveau cette semaine à Washington pour aborder un sujet sensible : le projet de l’administration Trump d’interdire les ordinateurs portables et autres tablettes plus grandes qu’un smartphone, à bord des avions à destination des États-Unis. Déjà en vigueur depuis mars 2017, sur les vols en provenance de huit pays – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie, le Koweït, le Maroc, le Qatar et la Turquie – l’interdiction vise à éviter la dissimulation d’explosifs à l’intérieur des appareils portables. Une crainte récurrente depuis plusieurs mois sans que, officiellement, des tentatives aient été effectivement déjouées. Le secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, John F.Kelly, pourrait décider d’appliquer la mesure aux vols venant de l’Union européenne (UE) « dans les prochains jours ou prochaines semaines », commente la presse américaine, sans plus de détails sur le calendrier envisagé par Washington.
Mais le projet provoque une levée de boucliers au sein de l’IATA, l’Association internationale du transport aérien, qui presse les autorités européennes de négocier des mesures alternatives. Selon l’organisation, la décision, étendue à l’Europe, coûterait 1,1 milliard de dollars. Alors que l’actuelle interdiction ne vise que les 10 aéroports des huit pays déjà concernés, soit 350 vols par semaine, la traversée entre l’Europe et les États-Unis, la plus fréquentée au monde, toucherait plus de 390 vols par jour, soit entre 2 500 et 3 000 par semaine.
Un impact de 950 milliards de dollars
L’interdiction des ordinateurs à bord des appareils en provenance d’Europe aurait donc un impact de 950 millions d’euros, estime l’IATA, qui détaille les sources de pertes : 588 millions d’euros en perte de productivité, c’est à dire le temps qui ne sera plus passé à travailler à bord ; 194 millions liés aux retards, à la multiplication des contrôles, etc.; et encore 175 millions pour l’utilisation d’autres appareils à bord.
Cinq aéroports européens, à partir desquels décollent 50 % des avions à destination des États-Unis, sont particulièrement concernés par les perturbations que causerait cette mesure : Londres Heathrow (761 vols par semaine), Paris-Charles de Gaulle (353 vols), Frankfurt (291 vols), Amsterdam Schipol (242) et Dublin (179 vols).
Autre problème évoqué par l’IATA : le stockage des ordinateurs et grandes tablettes dans les bagages des passagers, placés dans les soutes des avions, présente le risque d’une trop grande concentration de batteries en lithium, potentiellement inflammables en haute altitude. La solution envisagée par Washington pourrait donc s’avérer « moins sûre sur le plan technique », avertit l’IATA.
Son directeur général, Alexandre Juniac préconise donc d’autres solutions comme le renforcement des contrôles de recherche de traces d’explosif aux différents « check point », l’inspection minutieuse des appareils visés ou les recherches plus ‘classiques’ des comportements suspects, le recours aux chiens et autres détecteurs d’explosifs, l’échange des données de voyage sur les passagers (PNR) ou encore la multiplication des scanners. Le patron de l’IATA demande également que les acteurs du secteur aérien soient mieux associés aux discussions en cours entre autorités américaines et européennes.
Un « chantage » des Américains ?
A l’issue de la réunion du 17 mais à Bruxelles, les représentants des deux blocs n’ont fait aucune déclaration, se limitant à un communiqué succinct précisant que « les participants ont permis de mieux comprendre les normes et les capacités de détection de la sécurité de l’aviation ainsi que les améliorations récentes de la sécurité des deux côtés de l’Atlantique ». De quoi laisser sur sa faim.
Cette opacité inquiète également des eurodéputés. Dans une lettre adressée à l’exécutif européen, Sophie In’t Veld, vice-présidente du groupe des Libéraux et Démocrates (ALDE) au Parlement européen et membre de la commission des Libertés civiles, demande des précisions sur les informations échangées lors de la réunion et les motifs concrets qui justifieraient une telle interdiction. « En 2006, une interdiction temporaire de liquides dans les bagages à main a été imposée et devait être levée après l’installation, dans tous les aéroports, d’équipement de dépistage. Alors que les experts ont reconnu que cette interdiction n’était pas particulièrement utile, elle n’a pas été abrogée. L’interdiction des ordinateurs portables est-elle destinée à connaître le même sort, prolongeant ainsi la liste des mesures inefficaces et coûteuses pour le secteur? », s’interroge l’élue néerlandaise.
Cette dernière dénonce également le « chantage » des Américains qui ont conditionné à maintes reprises, le maintien du régime de libéralisation des visas à la mise en place de mesures sécuritaires en Europe. « Nous devons d’urgence obtenir des éclaircissements sur le lien entre la libéralisation des visas et les mesures de sécurité aéroportuaires », s’est indignée l’eurodéputée libérale.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles