Il fallait bien un expert du commerce international, installé aux États-Unis, pour décrypter les premiers pas malhabiles de l’Administration Trump. « Vous avez une impression de chaos et ce n’est pas faux », a ainsi convenu Ralph Ichter, à l’occasion de la présentation du 31e rapport CyclOpe sur les marchés internationaux, le 15 mai à Paris. Le président de la société de conseil Euroconsultants, basé à Washington, se voulait néanmoins rassurant en faisant allusion à la « solidité » des institutions démocratiques américaines (Congrès…). « On n’a pas brûlé le Sénat, il n’y a pas eu de nuit de Cristal », a-t-il ajouté très sérieusement.
Cette impression de chaos proviendrait notamment de l’organisation de la Maison Blanche, « normalement très pyramidale, là, en cercles très concentriques », ce qui générerait « des luttes intestines » entre idéologues et golden boys. Impression de chaos aussi parce que sur les 100 personnes qui auraient dues être nommées, seules 25 aujourd’hui auraient été confirmées par le Sénat, c’est-à-dire principalement les ministres. Ce qui signifie, selon Ralph Ichter, qu’il « n’y a pas d’état-major sous les ministres et donc qu’il y a un déséquilibre entre la Maison Blanche qui parle beaucoup et les ministères qui parlent peu ».
Industrie manufacturière contre agriculture
S’agissant de la « renationalisation » de la politique commerciale, elle est caractérisée par « la fin » du traité commercial transpacifique (TPP) et le « psychodrame » de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec le Canada et le Mexique. Dans ce dernier dossier, ce sont les intérêts défensifs des États-Unis en matière d’industrie manufacturière et leurs intérêts offensifs dans l’agriculture qui sont mis en balance.
Dans l’industrie, les règles d’origine sont ainsi la principale pierre d’achoppement. « Les États-Unis craignent les pièces automobiles chinoises assemblées au Mexique, mais, en même temps, c’est très difficile à contrôler, car les chaînes de production sont très imbriquées entre les trois pays », a expliqué Ralph Ichter. De plus, les lobbies agricoles se sont réveillés. Il est vrai que, grâce à l’Alena, les agriculteurs américains ont multiplié par cinq leurs exportations vers le Mexique.
La position protectionniste du président Trump peut surprendre, alors qu’il proclame une politique intérieure très pro-agriculture, avec le lancement du processus de renouvellement du Farm Bill, qui doit être terminé en 2018. Élu en partie par les agriculteurs, le chef de l’État doit aussi satisfaire la puissante organisation majoritaire dans le secteur, le Farm Bureau, qui compte six millions de membres, grâce à la vente d’assurances. Il pourrait les libérer des contraintes écologiques, dont le contrôle est jusqu’à présent assuré par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), mais, en sens inverse, il inquiète aussi, en raison de sa volonté de lutter contre le travail illégal, qui concerne dans ce secteur 1,3 à 1,5 million de personnes.
Le renouvellement du Farm Bill
D’autres sujets de contentieux empoisonnent les relations au sein de l’Alena, comme le bois canadien et le sucre mexicain. Sans compter les accusations de dumping portées par Boeing à l’encontre de son concurrent canadien Bombardier. Or, ce sont les juges des États-Unis qui vont trancher, ce qui risque de crisper encore un peu plus les relations entre Washington et Ottawa.
Enfin, dans le droit fil de sa politique isolationniste, Donald Trump a demandé une évaluation de tous les accords de commerce, y compris ceux sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi l’Agoa, la Loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique. « Un travail qui doit être couplé avec l’étude des dix principaux déficits commerciaux américains, de façon à y remédier », rappelle Ralph Ichter.
L’agenda commercial américain chargé. Personne ne sait, à ce stade, jusqu’où Donald Trump peut aller. Seule certitude, le sénateur républicain John Mc Cain a obtenu que les États-Unis ne se retirent pas de l’Alena. Et de fait, le 18 mai, le Congrès a été informé de la volonté du président de simplement renégocier cet accord. Le lancement du processus va ainsi permettre à Washington de commencer, au plus tôt le 16 août, les discussions avec Mexico et Ottawa.
François Pargny
Pour prolonger :
– États-Unis / UE : la « taxe aux frontières » au menu du sommet Trump
– États-Unis / Implantation : les huit erreurs à éviter pour recruter une équipe commerciale, selon L. Ruben