En prenant en catimini des décisions contestées en matière de gestion portuaire, le gouvernement malgache vient de s’attirer l’ire du secteur privé et des bailleurs de fonds internationaux. « On fait de l’affichage au moment des grands rendez-vous internationaux pour obtenir le maximum et puis on en est fait qu’à sa tête », délivre ainsi à la Lettre confidentielle un familier de l’ancienne colonie française, faisant allusion à la grande ‘Conférence des bailleurs et investisseurs’ (CBI) de décembre dernier à Paris, à l’issue de laquelle le pays dirigé par le président Hery Rajaonarimampianina a récolté plus de 10 milliards de dollars de promesses d’aide sur quatre ans. Mais à condition de démontrer aux ‘partenaires techniques et financiers’ (PTF) sa capacité d’absorption et sa bonne gouvernance… Un engagement que les autorités malgaches semblent avoir du mal à tenir dans le secteur portuaire.
Il y a une quinzaine de jours, le Groupement des entreprises de Madagascar (Gem), soit le patronat local, le Syndicat des industries de Madagascar (SIM), association à but non lucratif, et les PTF, emmenés par l’Union européenne, les États-Unis et l’Allemagne, ont transmis une note au Premier ministre malgache, Olivier Mahafaly Solonandrasana, pour se plaindre d’un nouveau changement de législation dans la sphère des affaires, alors que justement, une des conditions d’obtention de l’aide internationale est le respect des lois votées et l’appui au secteur privé.
La plateforme TradeNet remplacée par le système ACD
Comme au Gem et au Sim, au sein des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), qui préparent leur prochain séminaire sur l’océan Indien du 26 au 28 mai à Antananarivo, sous la présidence de Jean-Marc de Bournonville, président sortant du comité Afrique des CCEF, on s’inquiète.
La déclaration conjointe du 20 mars des PTF du groupe de travail « Secteur privé, finance et industries extractives », dont le Moci s’est procuré une copie, concerne ainsi le remplacement de la plateforme de gestion des opérations portuaires TradeNet fournie par la société Madagascar Malagasy Community Network Services (GasyNet), joint-venture entre l’État et la société inspection SGS, par le système de déclaration préalable de cargaison ou Advanced Cargo Declaration (ACD) livré par la société ATPMS.
Dès le début de leur missive, les PTF, sans se départir d’une diplomatie de façade, sont critiques. Ainsi, « nous sommes pleinement conscients du besoin d’améliorer les opérations portuaires à Madagascar et ce pour soutenir et sécuriser l’activité économique », écrivent les PTF, qui ajoutent « nous soutenons ces efforts et comprenons qu’ils requièrent du financement ». Pour autant, rien pour eux ne justifierait l’abandon du modèle de GasyNet, même s’il est toujours possible, conviennent-ils, de mettre « en place des modalités de collaboration pour une meilleure fluidité des échanges d’informations, ainsi qu’un système de financement transparent et bénéficiant pleinement à l’État ».
Opacité dans le choix du prestataire
Les « préoccupations » des PTF concernent principalement « trois points » : l’information, le dialogue avec le secteur privé et la transparence.
- L’information. Selon les PTF, « Madagascar collecte déjà une grande partie des informations requises pour l’ACD via le système BSC dont l’administration est déléguée par concession à GasyNet ». Plus encore, « sur les quelques 207 éléments d’information collectés par GasyNet, 191 sont collectés avant l’arrivée des navires.
- Le dialogue. « L’absence de consultation préalable du secteur privé sur l’ACD et les frais de service associés ainsi que l’absence d’évaluation d’impacts d’une telle initiative sur l’économie, en particulier sur le secteur privé et les consommateurs, constituent un sujet d’inquiétude », lancent encore les PTF, qui rappellent que le gouvernement est « engagé » par l’Accord de facilitation des échanges (AFE) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à « accorder au secteur privé la possibilité de formuler préalablement ses commentaires, avant l’introduction de toutes nouvelles mesures, en particulier celles qui pourraient entraîner un coût supplémentaire substantiel pour les opérations d’importation et d’exportation ».
- La transparence. « La gestion des revenus collectés à travers ce nouveau mécanisme n’est pas transparente et ne correspond pas aux normes de gestion des finances publiques de l’État », attaquent d’emblée les PTF, qui dénoncent également « le manque de transparence dans le processus de sélection du prestataire de mise en œuvre de l’ACD ainsi que dans l’établissement du contrat qui en découle ».
Le Plan national de développement en souffrance
En conclusion, les PTF estiment que « l’ACD n’est pas l’instrument le plus adapté » et proposent de « mener une étude approfondie sur la mise en place d’un plan de sécurisation des ports et les coûts consécutifs, et, sur la base de cette étude, élaborer une stratégie de sécurisation des ports, accompagnée d’un plan d’actions clair sur l’utilisation des revenus », étudier les opportunités de coordination et de collaboration entre les agences concernées », assurer que le mécanisme de financement de la sécurisation des ports soit aligné avec la loi de finances », et, enfin, « encourager les principales parties prenantes à poursuivre le dialogue engagé dans le cadre de la Commission de dialogue publique-privé ou encore la Commission sur la facilitation du commerce, toutes deux nouvellement mises en place ».
Ces critiques assez dures sur un dossier technique interviennent au moment où les bailleurs de fonds croient de moins en moins en la volonté du gouvernement d’appliquer le Programme national de développement (PND) présenté lors de la CBI de Paris pour améliorer la santé, l’éducation, le foncier rural, la micro-finance, les filières agricoles, l’hydraulique et l’assainissement urbains, les micro entreprises ou encore la sécurisation des biens et des personnes. « Véritable caméléon, le pouvoir malgache pour satisfaire la communauté internationale avait accepté de souscrire au énième credo sur la réduction de la pauvreté et la lutte contre les inégalités ». Or, rien n’y fait. La Grande Ile s’enfonce dans la misère.
François Pargny
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