Cet article a fait l’objet d’une Alerte diffusée dès le 20 mars à 18H40 aux abonnés de la Lettre confidentielle.
Les enjeux économiques internationaux, particulièrement la lutte contre un déficit commercial devenu chronique et le soutien à l’internationalisation des entreprises, sont des thèmes absents des discours des candidats à l’élection présidentielle, après l’avoir été des débats des deux primaires de la droite et du centre et de la gauche. C’est dire si le débat organisé le 20 mars par le Medef sur ces questions avec les sherpas de trois des principaux candidats était attendu par les milieux d’affaires français qui ont afflué au siège parisien de l’organisation patronale, carnets de notes en mains, à cette troisième « matinale de la mondialisation » très spéciale.
Jean Arthuis pour Emmanuel Macron, Emmanuel Maurel pour Benoît Hamon et Eric Woerth pour François Fillon se sont collés à cet exercice en direct, répondant, après une courte présentation des orientations de leur candidat, à des questions préparées par un panel de chefs d’entreprises sur la politique commerciale internationale et le soutien à l’internationalisation des entreprises françaises. Des échanges plutôt bien organisés et très policés, mais qui ont laissé sur leur faim bon nombre d’observateurs non sur les orientations générales déjà connues des candidats en matière de politique commerciale –tout trois grosso modo en faveur d’une politique commerciale européenne renforcée et d’un libre échange régulé et équilibré, nous y reviendrons dans la prochaine édition de la Lettre confidentielle du 23 mars-, mais plutôt sur la politique concrète de soutien aux entreprises dans ce domaine, où tous les candidats n’ont pas toujours fait preuve d’une clarté à toute épreuve…
Diplomatie économique : consensus relatif
Sur la diplomatie économique, les entreprises du Medef estiment que celle mise en place par Laurent Fabius est une des « réussites du quinquennat », comme l’a rappelé Guy Sidos, le P-dg du groupe Vicat. Cette orientation sera-t-elle poursuivie ou non ?
Il semble que chez Emmanuel Macron comme chez Benoit Hamon, on soit sur la même longueur d’onde.
Jean Arthuis, le sherpa du premier a été très clair : «il faut la développer et l’amplifier », a affirmé le député européen centriste (UDI). Emmanuel Maurel, le sherpa du second, également député européen (PS) et spécialiste des sujets de politique commerciale, a lui aussi salué la nouvelle diplomatie économique en précisant qu’il faudrait mieux définir les zones où « concentrer les efforts », définir « avec vous (ndlr : les entreprises) » les politiques stratégiques à mettre en œuvre en Asie, Amérique latine mais aussi en Afrique, où il estime que « la France a pris du retard ».
Eric Woerth, le sherpa de François Fillon, n’a pas directement répondu à la question sans pour autant contester ouvertement la pertinence de la nouvelle diplomatie économique française, ce que certains auront interprété comme une approbation sur les grands principes. Il a cependant implicitement critiqué le manque de priorités géographiques dans la politique actuelle : « il faut choisir » a-t-il indiqué, estimant que la priorité devait être mise sur « les grandes zones émergentes ». « La diplomatie doit se restructurer », a aussi déclaré l’ancien ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique de François Fillon, qui estime aussi qu’il ne faut pas lâcher « le volet culturel ».
Ministère du Commerce extérieur : petites divergences entre candidats
Mais l’horizon s’est un peu plus brouillé lorsqu’il s’est agi de savoir qui mettrait concrètement en œuvre cette stratégie. Une question qui n’est pas sans importance alors que depuis trois ans, le Commerce extérieur a été rattaché au ministère des Affaires étrangères dans le cadre de la nouvelle diplomatie économique mise en place par Laurent Fabius, ce qui a donné lieu à une bataille Bercy / Quai d’Orsay qui a pu laisser des traces. La question a été posée par Alain Bentéjac, président du Comité national des conseillers du commerce extérieur (CCEF), par ailleurs dirigeant du groupe Artelia : pensez-vous qu’il faille un ministre du Commerce extérieur et à quel ministère le rattacher, Bercy ou le Quai d’Orsay ?
Eric Woerth a été très clair dans sa réponse : « Il faut certainement un ministre ou un secrétaire d’État, et il faut qu’il soit rattaché à Bercy car c’est de l’économie ». Et d’insister sur l’importance d’avoir un « gouvernement cohérent », avec « peu de ministres ».
Eric Maurel lui, s’est dit pour un ministre du Commerce extérieur, mais à ses yeux, « l’important est qu’il soit bon », comme son ami Matthias Fekl, actuel secrétaire d’État au Commerce extérieur, dont il a salué le bilan. Le sherpa du candidat socialiste à la présidentielle a, cependant, botté en touche concernant le ministère de rattachement. Une façon de se dire en faveur du statu quo ?
Enfin, Jean Arthuis n’a pas répondu directement à la question : pour lui, dédier un ministère au Commerce extérieur « n’est pas la clé ». La clé, c’est « un gouvernement qui soit cohérent » et l’existence d’un « projet de conquête économique » porté par le candidat Macron ; « le président de la République doit d’abord incarner cette politique de conquête » a-t-il déclaré. Invité par le Moci, peu après la table-ronde, à préciser son propos, l’ancien ministre de l’Économie et des finances d’Alain Juppé dans les années 90 a juste nuancé en indiquant : « un ministère pourquoi pas ? », mais la clé c’est « le projet porté par le président de la République ».
Rôle des Régions : central dans l’avenir
La vision s’est un peu éclaircie concernant le futur système de soutien à l’internationalisation des PME : face à l’échec relatif des politiques de soutien jusqu’à présent menées pour augmenter de façon substantielle et durablement le nombre d’entreprises exportatrices –124 000 en 2016, deux fois moins qu’en Italie, trois fois moins qu’en Allemagne-, les trois candidats semblent converger sur la nécessité de simplifier encore le millefeuille des opérateurs et d’accorder aux Régions issues de la réforme territoriale le premier rôle en matière de soutien aux entreprises. Le tout est de savoir comment.
Eric Woerth, qui a reconnu « un retard français » en matière d’internationalisation des PME, a ainsi estimé que « les grandes régions vont peut être mieux gérer » ces politiques. « C’est là que doivent se définir les politiques d’accompagnement ». Mais le sherpa de François Fillon a ajouté que les « grands groupes » doivent aussi jouer un rôle dans l’accompagnement des PME et qu’il est favorable à l’instauration d’une « taxe climat » à la frontière en cas de concurrence déloyale sur les questions de normes environnementales.
Jean Arthuis a, pour sa part, détaillé une répartition assez construite des différents niveaux de politiques publiques : aux Régions « l’environnement des entreprises (financements, stratégies, formation, etc.) ; à l’État « la diplomatie économique » avec la nécessité de s’appuyer davantage sur des réseaux comme les CCE ; et enfin à l’Europe la politique commerciale, qui doit mixer ouverture et mesures de défense, mais aussi intégrer une politique de protection des données. Mais au niveau régional, a aussi estimé le sherpa du candidat Macron, la « clé » sera que les Régions et les acteurs locaux comme les chambres de commerce et d’industrie (CCI) « se mettent d’accord sur des guichets uniques » pour l’accompagnement des PME.
Emmanuel Maurel, sans doute plus proche d’une démarche donnant à l’État un rôle central, a été un peu moins clair dans sa réponse, renvoyant au « livre blanc sur la diplomatie des territoires », document publié en décembre 2016 visant à mettre en cohérence la diplomatie nationale et celle des nouvelles collectivités locales. Pour lui, « le vrai problème, c’est la synergie entre les opérateurs » du soutien à l’internationalisation. « Il y a des conventions entre acteurs, mais on gagnerait à fusionner tout ça ». Comment ? Là est la question.
Réformes des dispositifs : pas de détails…
Aucun des trois candidats ne s’est risqué à évoquer plus en détail de nouvelles réformes de simplification au sein du dispositif de soutien des PME à l’export. Pas de prise de position ni sur la question du rôle de l’État et de ses opérateurs, ni sur celle de la fusion entre les bureaux à l’étranger de Business France et les CCI françaises à l’étranger, ni enfin sur celle de l’éventuel recentrage de Business France sur les primo exportateurs après son effort de déploiement sur les PME et ETI de croissance en binôme avec Bpifrance. Des questions qui avaient été posées en filigrane par Jean-Claude Volot, le P-dg de Dedienne Aerospace, lors d’une table ronde, et Frédéric Sanchez, président du pôle internationalisation et filières du Medef et président de Medef International.
En revanche, les bons connaisseurs de l’écosystème de soutien au Commerce extérieur auront noté que certains sherpas doivent mettre à jour leurs fiches : Eric Woerth et Jean Arthuis ont à plusieurs reprises parlé des soutiens ou des couvertures de Coface. Il serait temps de les informer que ces aides sont, depuis le 1er janvier 2017, gérées par Bpifrance assurance export, une réforme qui a d’ailleurs été saluée par les milieux d’affaires français…
Christine Gilguy
Pour prolonger :
Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui :
–Export / Accompagnement : trois candidats à la présidentielle au banc d’essai
–Libre-échange / Présidentielle : convergences françaises pour une politique européenne plus « équilibrée »
–Commerce / Gouvernement : M. Fekl à l’Intérieur après un (presque) sans-faute à l’Extérieur