On ne sent pas de tensions sur place explique-t-on au Medef. Partie en Iran le 30 janvier avec le ministre des Affaires étrangères et du développement international Jean-Marc Ayrault – lequel aura notamment co-présidé la commission mixte économique franco-iranienne avant son retour en France le 31 janvier – la délégation d’entreprises françaises (*), pilotée par Yves-Thibault de Silguy, vice-président de Medef International, a quitté Téhéran le 2 février, plutôt satisfaite, malgré le coup de tonnerre provoqué par le tir d’un missile balistique par les Iraniens et les réactions de l’Administration Trump.
En effet, le jour-même de l’arrivée du patron du Quai d’Orsay, Washington accusait Téhéran d’avoir effectué un tir de missiles balistiques de moyenne portée la veille. Un tir qui n’a pas été confirmé par l’Iran, son ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif se contenant de répondre que les tests de tir balistique n’étaient pas concernés par l’accord sur le démantèlement nucléaire du 14 juillet 2015 et la résolution 2231 du Conseil de sécurité, qui a entériné cet accord conclu à Vienne. Côté français, Jean-Marc Ayrault a exprimé « son inquiétude » et une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu a été convoquée par les États-Unis, à la demande d’Israël.
Pression américaine, jeu trouble de l’Iran, peut-être les deux, toutes les hypothèses sont pour le moment sur la table. « Dans les médias, qui sont contrôlées en Iran, l’incident n’est pas commenté, si ce n’est pour dire que Trump travaille pour Israël et veut casser l’accord parce que l’Iran veut se rapprocher des Européens », rapporte à la Lettre confidentielle un opérateur sur place.
« Les Américains craignent que les Iraniens se rapprochent des Européens »
Avant le départ de Jean-Marc Ayrault, la presse française a été bombardée de communiqués de presse de l’organisation internationale United Against Nuclear Area (Uani), adressant « un avertissement au ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault ». Selon le président d’Uani, Mark D. Wallace, ancien ambassadeur des États-Unis auprès de l’Onu, « depuis que les entreprises étrangères ont commencé à entrer sur le marché iranien, celles qui en ont finalement le plus bénéficié sont les sociétés du Corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) et non le peuple iranien ». Ce dernier assure encore que « le régime iranien a utilisé cet afflux d’argent étranger afin de soutenir sur place la mise en œuvre de mesures répressives brutales à l’encontre des droits de l’homme et afin de parrainer le terrorisme dans la région ».
Rappelons que c’est en 2008 que Mark D. Wallace a fondé Uani avec trois autres anciens hauts responsables américains : les ambassadeurs Richard Holbrooke et Dennis Ross et l’ex-directeur de la CIA Jim Woolsey. En revanche, le comité consultatif de l’organisation est très internationale qui permet à Uani de se présenter comme « un groupe de recherche et de défense non lucratif, indépendant et non-partisan »*.
D’après l’interlocuteur de la LC, « les Américains craignent que les Iraniens se rapprochent des Européens ». D’où les attaques virulentes de l’Administration, le président Trump étant opposé à l’accord de Vienne, à un moment où les tensions montent entre conservateurs et modérés en Iran à l’approche des présidentielles (17 mai).
Inauguration officielle du Centre français des affaires de Téhéran (CFAT)
Non contente de ne pas suivre l’avis du conseiller pour l’Europe d’Uani, l’ancien ministre des Affaires étrangères italien Giulio Terzi, enjoignant les entreprises françaises sur le fait « qu’elles doivent songer à la façon dont elles souhaitent se positionner en tant qu’entreprises citoyennes », la délégation française a poursuivi sa visite, rythmée par des moments forts, comme le forum d’affaires franco-iranien, en présence de Jean-Marc Ayrault, de Mohammad Javad Zarif et d’une centaine de sociétés iraniennes, les visites du parc technologique de Pardis et du chantier de centre commercial Iran Mall et l’inauguration officielle du Centre français des affaires de Téhéran (qui comprend aussi une antenne à Paris), dirigée par un ancien cadre de Medef International, spécialiste de la région, Matthieu Étourneau.
Le CFAT est développé avec l’Adit, leader européen de l’intelligence économique et déjà opérateur du Centre français des affaires de Bagdad (Irak). Yves-Thibault de Silguy soulignait, avant le début de la mission du patronat français dans ce pays, la nécessité « d’élargir la palette de services proposés aux entreprises françaises, notamment les PME et ETI », tout en rappelant l’importance aussi de « travailler en étroite collaboration » avec « les structures publiques d’accompagnement à l’export » (Business France, ambassade…). En l’occurrence, précise-t-on au Medef, le centre d’affaires à Téhéran doit offrir un appui à la fois « opérationnel (conciergerie d’affaires, location de bureaux) et stratégique (aide à l’identification de partenaires, décryptage institutionnel, suivi de l’environnement juridique et financier) ».
La mission du Medef se serait si « bien déroulée», selon une source interne, très enthousiaste, que l’organisation patronale réfléchirait aujourd’hui à une réunion, présidée par Yves-Thibault de Silguy, pour en présenter les premiers résultats. Certaines entreprises seraient en passe de signer des contrats…
(*) La délégation du Medef comprend 77 personnes, représentant 57 sociétés (cabinets d’avocats, spécialistes dans les hydrocarbures, l’énergie, l’environnement… : Adit, Aéroports de Paris Management, Ageromys International, Airbus, Alstom, Altawest, Antea France, ArcelorMittal, Artelia, AS.Achitecture-Studio, Ateliers Jean Nouvel, August Debouzy, Axelsium, BBL Transport, Bollore Transport & Logistics, Cohen Amir Aslani, Continental Automotive France, Dentons Europe AARPI, Edgen Murray France, Egis, Engie, Entrepose, Evolen, EY, Gec Management, GE France, Golden Group, Groupe Institut de soudure, Hanau Energies Concept, Imerys, Ingerop, JCDecaux, Jifmar Offshore Services, Krinner, Louis Dreyfus Armateurs, Moret Industries, Nasco France, Noor Advisory, Oddo & Cie, Orange, Poma, Safran, Setec, Socotec, Suez, Systra, Technip, Thales, Total, TPF Ingénierie, Veolia, Vinci, Vinci Airports, Vinci Construction, Vinci Energies Oil & Gaz, Vossloh Cogifer, Wilmotte & Associés Architectes) auxquels s’ajoutent notamment les représentants du ministère des Affaires étrangères et du développement international (Maedi), du Medef et du Centre français des affaires de Téhéran (CFAT)
François Pargny
*Lire dans une précédente édition de la LC : Iran : la drôle de guerre d’UANI, le lobby anti-iranien de Mark Wallace
Pour en savoir plus :
–Iran / Export : les escales de porte-conteneurs vers l’Iran vont reprendre depuis le port du Havre
–Iran / Aéronautique : feu vert américain pour les ventes d’Airbus
-Nouveaux risques / Export : comment Bpifrance se heurte au casse-tête des sanctions sur l’Iran
–Iran / Automobile : Renault va renforcer sa présence avec une nouvelle coentreprise