Le flou artistique autour du ‘Brexit’ persiste. Alors que Theresa May s’est engagée à activer l’article 50 du traité en mars 2017, les membres de son gouvernement semblent toujours divisés sur la marche à suivre ainsi que sur les priorités que le Royaume-Uni devra défendre lors des négociations avec l’Union européenne (UE). Autant d’incertitudes qui alimentent les craintes des entrepreneurs britanniques, majoritairement opposés à une sortie de leur pays du ‘club’ européen.
« La bonne approche est de ne pas nous précipiter avant d’entamer le gros du travail, de prendre le temps de clarifier notre position avant de nous lancer », a tenté de rassurer la Première ministre devant plusieurs centaines de chefs d’entreprises réunis par la Confederation of British Industry (CBI), la principale organisation patronale du pays, lundi 21 novembre dernier. Des déclarations pour le moins imprécises qui n’ont pas répondu aux deux questions majeures que se posent les entreprises: pourront-elles toujours employer une main d’œuvre européenne libre de s’installer et travailler au Royaume-Uni? Garderont-elles un accès libre et sans entrave au marché européen?
Promesse de soutien à l’innovation et d’allègement fiscal
Faute de présenter une stratégie claire vers soit un ‘Brexit’ « dur », soit un ‘Brexit’ « doux » – souhaité par les entrepreneurs -, Theresa May s’est contentée d’annoncer les principales mesures prévues dans le budget rectificatif du pays, le premier exercice de ce type depuis le référendum le 23 juin dernier. Elles concernent essentiellement le soutien à l’innovation.
Les pouvoirs publics devraient ainsi dépenser deux milliards de livres (2,3 milliards d’euros) de plus par an d’ici à la fin de la législature, en 2020, pour soutenir la recherche et développement. Au delà de cette nouvelle manne financière, le gouvernement s’attachera aussi à développer un système fiscal favorable à l’innovation en plus de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés, déjà promise par David Cameron, qui passera de 20 à 17 %.
Mais une fois encore, les efforts de Theresa May ont été mis à mal par les déclarations de parlementaires de son propre camp. Le jour même où la locataire du 10 Downing Street intervenait face aux membres de la CBI, 60 élus conservateurs appelaient le gouvernement à quitter l’union douanière et le marché unique à l’issue des négociations sur le ‘Brexit’. « Comme nous l’avons défendu lors de la campagne en vue du référendum, rester au sein du marché unique comme la Norvège, ou dans l’union douanière comme la Turquie, ne serait pas compatible avec nos engagements et risquerait d’aller à l’encontre du souhait des électeurs », a précisé Suella Fernandes, dans une interview accordée au Daily Telegraph.
Une impréparation confirmée par un memo confidentiel
Les voies qu’empruntera l’équipe de Theresa May lors des négociations avec l’UE restent donc, à ce stade, impénétrables. Une impréparation flagrante confirmée il y peu par la publication, dans The Times, d’un memo confidentiel du gouvernement selon lequel il n’existe en effet aucune stratégie concrète pour le ‘Brexit’ en dehors du mantra officiel « Brexit, signifie Brexit ».
Le document suggère notamment que le pays pourrait avoir besoin de 30 000 fonctionnaires de plus pour gérer le fardeau administratif de la sortie de l’UE. Ses auteurs estiment également qu’il faudra au moins 6 mois supplémentaires pour peaufiner la voie à suivre alors que la Première ministre s’est engagée à entamer les négociations dès le mois de mars.
Autre critique : l’accord, en partie secret, négocié avec les hauts responsables de Nissan pour convaincre le constructeur de ne pas délocaliser sa production hors du pays. Une attitude qui risque de mettre le gouvernement « à la merci des industriels, qui refusent de payer les conséquences d’une sortie du marché unique », souligne le document.
«Je ne suis pas sûr que les Britanniques savent ce qu’ils veulent »
Côté européen, l’absence de stratégie des Britanniques provoque des sentiments mitigés, oscillant entre inquiétude et consternation. « Ils avancent en ordre dispersé », résumait un proche de Michel Barnier, le négociateur en chef sur le ‘Brexit’ au sein de la Commission à Bruxelles. A l’issue d’une rencontre lundi 21 novembre, avec David Davies, son homologue au sein du gouvernement de Theresa May, l’ancien Commissaire n’a, quant à lui, fait aucun commentaire, rappelant dans un tweet que c’était une visite de courtoisie, les négociations n’ayant pas officiellement débutées.
Le ministre britannique a poursuivi sa tournée européenne en se rendant le lendemain à Strasbourg, où les eurodéputés sont réunis cette semaine en plénière. Après une réunion avec Guy Verhofstadt, le Monsieur ‘Brexit’ au sein du PE, ce dernier n’a pas caché son inquiétude, jugeant que les pourparlers risquaient d’être plus longs que prévus. Pour le président du groupe des libéraux et démocrates (ALDE), ces futures discussions seront « certainement dures et intenses ».
Le jour même, à Bratislava, le Premier ministre slovaque, Roberto Fico, confirmait à voix haute ce que toute le monde pense tout bas : «je ne suis pas sûr que les Britanniques savent ce qu’ils veulent », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. Mais pas question pour l’UE de baisser les armes. « La séparation sera douloureuse, mais nous ne sommes pas ceux qui devront le plus en pâtir. Le plus grand échec pour l’UE serait de voir le Royaume-Uni sortir de ces négociations comme un vainqueur ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles