Comme convenu lors du conseil « Commerce » à Bratislava le 23 septembre dernier, la Commission européenne a finalisé la déclaration interprétative qui sera jointe à l’accord de libre-échange UE-Canada, le CETA /Comprehensive Economic and Trade Agreement. Ce texte, qui devrait avoir la même valeur légale que le traité, vise à répondre aux inquiétudes de certains États membres de l’UE sur plusieurs volets du CETA. « C’est une drôle de procédure », consent un diplomate français à Bruxelles. Mais la recherche d’un compromis rapide, par l’exécutif européen, justifie cette démarche peu conventionnelle, selon lui : « C’est un excellent accord, il doit être conclu. Le CETA n’a rien à voir avec le TTIP. Nous devons soutenir le travail pédagogique de la Commission pour bien mettre en exergue ces différences », confie-t-il.
Envoyé dans les 28 États membres – en vue d’aboutir à un accord lors du prochain conseil Commerce le 18 octobre – le brouillon de la déclaration a déjà largement fuité dans les médias européens. « C’est un exercice de relation publique sans aucune base légale. Elle a la même valeur juridique qu’une brochure de vacances », dénonce Andrea Carta, expert juridique chez Greenpeace. Pour l’organisation, le seul fait d’ajouter, en dernière minute, cette déclaration à l’accord constitue « une reconnaissance tacite des failles béantes du traité de libre-échange ».
Un document de six pages reprend les différents volets du traité
Le document de six pages, que la Lettre confidentielle du Moci a pu consulter, reprend les différents volets contestés de l’accord. Le paragraphe relatif au droit des États à réguler, par exemple, stipule que le « CETA préserve le droit de l’UE, de ses États membres et du Canada à adopter et appliquer leurs propres lois pour réguler l’activité économique et pour répondre à des objectifs d’intérêt général comme la protection et la promotion de la santé publique, des services sociaux, de l’éducation, de l’environnement, de protection des consommateurs et de diversité culturelle ».
Sur le chapitre dédié à la coopération réglementaire, la déclaration précise que le CETA prévoit la création « d’une plateforme commune pour faciliter la collaboration entre les autorités de régulation » mais uniquement sur une base volontaire.
La question très controversée de la protection des investissements – notamment le système de règlement des différends investisseurs/État – est sans conteste l’aspect le plus longuement détaillé dans le texte. Celui-ci souligne que les « gouvernements peuvent changer leurs lois sans se demander si cela affecte un investissement ou de futurs bénéfices pour les investisseurs ». L’affaire sera réglée « par un tribunal objectif et toute compensation n’excèdera pas la perte subie par l’investisseur ».
Les autres paragraphes visent les services publics, le commerce et le développement durable, la protection du travail, de l’environnement, la gestion de l’eau, les marchés publics, ou enfin, le droit des Aborigènes au Canada.
En Belgique, des francophones continuent à faire de la résistance
Si malgré les critiques, la Commission assure que cette déclaration interprétative aura la même valeur légale que le traité lui-même, tous les obstacles ne sont pas levés pour autant. Principale pierre d’achoppement ? La Belgique, où les francophones, au sud du pays, continuent à faire de la résistance. Et en vertu du très complexe système fédéral en vigueur dans le Royaume, le traité doit non seulement être approuvé par le Parlement fédéral, mais aussi par celui de chacune des trois régions et des trois « communautés linguistiques ». Cette configuration donne dès lors aux chambres locales et régionales un droit de veto sur un traité international.
Une prérogative dont ses responsables comptent bien profiter pour imposer leurs conditions et faire figure d’irréductibles aux yeux de leurs électeurs. Le Président du parlement wallon, André Antoine, par exemple, a récemment déclaré que son assemblée ne validerait pas le CETA si l’UE n’annonçait pas officiellement la fin des pourparlers de libre-échange avec les États-Unis. « Ils nous tiennent en otage », déplore un membre belge (flamand) du conseil européen.
Car faute d’accord d’ici au 18 octobre, le sommet bilatéral UE/Canada, prévu le 27 de ce mois, pourrait être annulé. « Pas question pour Justin Trudeau de venir en Europe sans la garantie qu’il pourra enfin signer l’accord », souligne cette même source. Dans le cas contraire, la majeure partie du traité pourra être mis en œuvre – au moins de façon provisoire – dès le début du mois de décembre prochain, confirme-t-on à la Représentation permanente de la France auprès de l’UE.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles