Un simple voyage officiel en Russie qui réveille les divisions au sein de l’Union européenne (UE). En annonçant sa participation à la conférence internationale de Saint-Pétersbourg (du 16 au 18 juin) – pendant russe du Forum économique de Davos – Jean-Claude Juncker s’est en effet attiré les foudres de Washington, de plusieurs États de l’UE, mais aussi de certains membres de son propre cabinet, murmure-t-on dans les coulisses de l’exécutif européen. Leurs craintes ? Voir la position de Vladimir Poutine se renforcer quelques jours avant l’adoption de la décision sur le renouvellement des sanctions contre la Russie, attendue à l’issue du sommet des 28 en juin prochain.
En acceptant l’invitation, le président de la Commission européenne serait le premier haut responsable d’une institution communautaire à fouler le sol russe depuis la mise en œuvre d’une série de mesures restrictives en mars 2014, dont des sanctions visant des pans entiers de l’économie du pays à la suite de l’annexion de la Crimée. Pour Linas Linkevicius, participer à cette réunion ne créera « aucune valeur ajoutée aux relations entre l’UE et la Russie ». Fervent défenseur d’une ligne dure vis-à-vis de Moscou, le ministre lituanien des Affaires étrangères ajoute : « le Kremlin utilise ce type de forum pour donner l’impression que tout est normal, une image qu’il diffuse aussi largement auprès de son opinion publique ».
Paris et Rome militent en coulisse pour un assouplissement
Cette analyse est aujourd’hui partagée par Washington, Londres, Varsovie et les pays baltes. Si les autres États membres continuent officiellement à défendre la même ligne – à savoir pas de levée des sanctions sans mise en œuvre intégrale des accords de Minsk – plusieurs capitales, comme Paris ou Rome, militent en coulisses pour un assouplissement, au moins graduel, de la politique européenne. A Berlin, les membres du SPD, parti de la coalition dirigée par Angela Merkel, soutiennent également cette position. « Les sanctions ne doivent pas être une fin en soi. Si le processus de Minsk évolue, nous devrions aussi discuter d’une levée progressive des sanctions », explique Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des Affaires étrangères.
Plutôt favorable, jusqu’ici, à une ligne dure, Angela Merkel serait prête à mettre de l’eau dans son vin, analyse le Spiegel sur son site Internet. Selon ce média en ligne, son équipe aurait déjà concocté un plan – resté confidentiel – décrivant les étapes pour un assouplissement progressif des sanctions. Le processus pourrait être mis en œuvre dès cette année. Mais il ne prévoit pas une levée des sanctions financières ou des autres mesures adoptées en réponse à l’annexion de la Crimée. Seule l’annulation des interdictions de visas imposées à certains individus, est envisagée. La période de 6 mois fixée par l’UE pour décider de la prolongation, ou non, des mesures restrictives, pourrait aussi être ramenée à trois mois.
Le fragile consensus sur ce dossier sensible sera-t-il pour autant menacé ? « Peu probable », reconnaît-on dans les couloirs du conseil de l’UE. Les 28 préfèrent taire leurs divisions, « surtout face à Poutine », admet ce responsable. Même la Hongrie, État le plus réticent à appliquer cette politique face à l’allié russe, ne semble pas disposée à rompre les rangs. « Notre intérêt est de voir les accords de Minsk respectés. Quelle que soit la décision, nous ne serons pas ceux qui briseront l’unité européenne », a indiqué le 30 mai Péter Szijjártó, le ministre hongrois des Affaires étrangères.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles