La mobilisation des professionnels et de la douane n’a pas faibli ces dernières semaines, alors que se rapproche l’échéance de l’entrée en vigueur du nouveau Code des douanes de l’Union (CDU), le 1er mai prochain et que se préparent les textes d’application(1). Revue de détail.
Malgré les assurances données par l’administration, la période de transition et les textes d’application constituent les principales préoccupations des chargeurs et des professionnels de la logistique, sans compter les interrogations autour de l’enjeu de la dématérialisation des formalités douanières, qui doit être achevée à l’échelle européenne fin 2020, mais qui suppose d’importants développements informatiques de la part de tous les acteurs de la chaîne afin d’harmoniser les systèmes au plan national et européen.
Les chargeurs attendent les « simplifications »
Intervenant lors d’une table ronde sur le nouveau Code des douanes de l’Union (CDU) organisée le 22 mars sur le site de la SITL (Semaine internationale du transport et de la logistique), dans le cadre des « Overseas Days », Gérard Tessaud, ancien directeur général des douanes de Renault, a ainsi résumé le point de vue des chargeurs : les mesures de simplification annoncées dans le nouveau Code sont satisfaisantes, mais la période de transition qui va s’ouvrir va faire naître un certain flou. « À l’heure actuelle, nous avons deux textes : le Code des douanes communautaire (CDC) et les règlements d’application ; demain nous aurons 4 textes : le CDU, le règlement d’exécution, le règlement délégué et le règlement de transition… » a-t-il notamment pointé.
Autre interrogation : quid de « l’égalité du traitement douanier à l’échelle européenne ? », les chargeurs n’étant pas convaincus, selon lui, que le CDU mette un terme au « dumping douanier » entre États membres.
Enfin, s’il considère le statut européen d’Opérateur économique agréé (OEA) comme « un outil performant », « un outil stratégique qui doit faire partie de la stratégie d’entreprise », l’acquérir est un processus « lourd » et il existe un « risque de discrimination pour les PME ». Pour lui, le CDU « ouvre le champ des possibles » mais la plus grosse nouveauté portée par le CDU à ses yeux est le principe d’autoévaluation qu’il instaure « en attendant les règlements d’application ».
Rappelons que l’OEA est un statut octroyé par la douane à des entreprises de confiance (chargeurs ou prestataires de services…) après un audit poussé et une mise à niveau de leur organisation douanière et logistique et de leur gestion financière. En échange, elles obtiennent théoriquement des simplifications et facilités douanières. À cet égard, le CDU renforce ce statut (voir plus loin dans ce dossier) mais en France, bien que le nombre d’entreprises productrices sollicitant ce statut augmente, elles sont encore trop peu nombreuses parmi les quelque 1 291 OEA recensés fin février 2016.
Les organisateurs de transport préparent le « big bang » du marché
Du côté des organisateurs de transports, outre les textes d’application du CDU, quelques adaptations du code des douanes français, dont certaines sont en cours de discussion au Parlement, sont suivies avec attention comme en témoigne Herbert de Saint-Simon, le président de TLF Overseas.
Mais un sujet de préoccupation les concerne directement : l’évolution même de leurs métiers alors que le CDU prépare un véritable « big bang » du marché. Lors de la même table ronde organisée le 22 mars sur le site de la SITL, Jean-François Auzeau, président de la Commission douane de TLF Overseas, a bien résumé les enjeux qui attendent les Commissionnaires en douane, notamment, une profession importante en France puisqu’elle traite 80 % des formalités de dédouanement des PME.
Selon lui, le CDU leur consacre une place modeste en les citant dans les considérants et les articles 5 et 18 du CDU, mais surtout, il procède à « une très grande ouverture » de ces activités. Selon l’article 5 du CDU, est en effet représentant en douane « toute personne désignée par une autre personne pour accomplir auprès des autorités douanières des actes ou des formalités prévues par la législation douanière ». Pour Jean-François Auzeau, « si on cherche une révolution, elle est là » car là où il fallait être agréé par l’administration en remplissant des critères précis, « demain c’est totalement ouvert ».
Un bémol toutefois : selon l’article 18 du CDU, ce sont les États-membres qui fixeront les conditions dans lesquelles ces activités pourront être exercées, mais les opérateurs labellisés OEA seront d’entrée autorisés à l’exercer. Les « lignes directrices » pour la mise en œuvre de ce point sont encore en cours de discussion au niveau européen.
Cette perspective de libéralisation et d’harmonisation à l’échelle européenne d’une profession jusqu’à présent réglementée au niveau national n’est pas sans intérêt, notamment pour les chargeurs, qui pourront théoriquement bénéficier d’une plus grande compétition entre les prestataires qui auront à cœur de se différencier. Pour les représentants en douane, ces changements recèlent aussi des opportunités : « Pour les plus de 500 sociétés prestataires labellisées OEA, elles possèdent le passeport pour aller travailler dans les autres États-membres » a estimé Jean-François Auzeau. Par ailleurs, la profession a préparé ce changement depuis des mois au niveau européen – notamment via le Clecat (European association for forwarding, transport, logistics and customs services), dont fait partie TLF Overseas – en travaillant à l’élaboration d’un standard de compétence qui définit clairement 21 domaines d’expertise.
Au total, pour Jean-François Auzeau, le CDU « représente plus d’opportunités que de risques » mais « à condition de gagner en compétence, d’être vigilants sur les discussions à venir, et d’utiliser à fond les facilités prévues par le CDU ».
La Douane poursuit la mise en œuvre du plan « Dédouanez en France »
Côté État, la mise en œuvre du plan « Dédouanez en France », qui vise tout à la fois à adapter le cadre français et à saisir cette opportunité pour rehausser l’attractivité de la plateforme douanière française suit son cours (1).
Dernier développement en date, l’annonce formelle de la création du « service grands comptes (SGC) » (JORF n°0059 du 10 mars 2016 texte n° 9), au sein de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Son objectif : favoriser le développement du dédouanement centralisé en France, dans le cadre de la mise en œuvre du CDU, en offrant aux grandes entreprises une sorte de service sur mesure mêlant conseil personnalisé et centralisation auprès d’un interlocuteur unique des formalités de « délivrance, gestion et suivi de toutes les autorisations et procédures afférentes au dédouanement ». En pratique, on s’oriente vers une certaine spécialisation sectorielle des principaux bureaux de dédouanement si l’on en croit Claude Le Coz, représentant du bureau E3 de la DGDDI : Lyon pour la chimie-pharmacie, Nantes pour la grande distribution et l’agroalimentaire, par exemple.
L’enjeu pour l’administration française est non seulement de contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire national, mais aussi, dans le cadre d’une compétition accrue entre États européens, d’inciter un maximum de grands groupes multinationaux à choisir la France pour y centraliser leur dédouanement. En parallèle, les cellules de conseil aux entreprises (CCE) présentes dans les directions régionales des douanes sur tout le territoire, seront désormais concentrées sur les PME et ETI.
Par ailleurs, la Douane française a décidé d’ouvrir le bénéfice du dédouanement centralisé à l’échelle nationale à tous les opérateurs, et non pas aux seuls titulaires d’un OEA comme le prévoit le CDU pour le dédouanement centralisé communautaire. Enfin, côté dématérialisation du dédouanement, qui doit être achevée dans tous les États-membres au 31 décembre 2020, la constitution du Guichet unique national (GUN) français, que coordonne la DGDDI, est en bonne voie : il doit permettre la dématérialisation des déclarations émanant de quelque 17 administrations (vétérinaires, phytosanitaires, etc.). Les contrôles physiques vétérinaires et phytosanitaires pourront aussi s’effectuer le même jour et dans un même lieu afin de faciliter la tâche aux opérateurs.
Christine Gilguy
(1) Voir pour plus de détails notre premier dossier spécial CDU paru dans Le Moci n° 1997 du 29 octobre 2015 en cliquant ici
L’E-freight ou la longue marche de la dématérialisation
La dématérialisation des formalités mais aussi des échanges de données et de documents ainsi que de leur stockage est au cœur du nouveau code des douanes de l’Union (CDU). C’est même une condition de sa réussite puisque cela doit permettre de concilier sécurisation accrue des flux de marchandises, et compétitivité accrue de celle-ci.
Le CDU donne un peu moins de 5 ans aux États-membres et aux opérateurs pour faire cette transition numérique majeure dans un domaine, le fret, où la culture papier prédomine encore largement en Europe, et rendre les systèmes de chaque État membre interopérables, c’est-à-dire parfaitement compatibles entre eux. Vu le nombre d’acteurs impliqués – administrations, chargeurs, ports, aéroports, organisateurs de transports, transporteurs, etc. – sera-ce suffisant ? On peut s’interroger au vu de l’état d’avancement de certains chantiers dans l’aérien, voire le maritime.
En France, dans l’aérien, grâce à un Cargo Community System (CCS) unique, le CIN, commun à tous les intervenants, quelque 40 % des lettres de transport aérien (LTA) sont désormais dématérialisées à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle (et 46 % pour Air France, qui s’apprête à lancer un premier « pilote » sans papier). Mais à l’échelle européenne, le taux serait de 26 % seulement selon des chiffres de l’IATA. Le secteur aérien doit donc mettre les bouchées doubles et sans doute mieux y associer les chargeurs. Le fret aérien est complexe et la communication entre les acteurs n’est pas évidente : « vu d’un chargeur, c’est une ‘black box’, une boîte noire » a notamment indiqué Pascal Meyer, chef des transports et des douanes chez Chanel Parfum Beauté, lors d’une table-ronde consacrée à l’e-freight pendant les Overseas Days de la SITL, le 22 mars. Dans le maritime, le chemin semble tout aussi compliqué : deux projets de CCS sont actuellement développés par des SSII au Havre et à Marseille, de sorte qu’il a fallu la pression de pas moins de trois ministères (Économie, Finance et Environnement/Transports) et de plusieurs organisations professionnelles (chargeurs, organisateurs de transports, transporteurs…) pour que les deux projets soient mis sur des rails convergents…