Pour la commission européenne, le scandale des ‘Panama papers’ tombe à point nommé. Prévues de longue date, ses propositions pour renforcer la lutte contre l’évasion fiscale – présentées hier 12 avril à Strasbourg- devraient bénéficier d’un contexte favorable. Selon des projections récemment publiées par la Commission européenne, 88 % des citoyens européen soutiennent aujourd’hui la mise en œuvre de législations plus contraignantes en la matière. Le texte sur la table – une refonte des directives « comptables » et « transparence » de 2013 – vise à intégrer la publication des informations fiscales des multinationales pays par pays.
6000 sociétés dans le monde pourraient être concernés par ce dispositif.
Si ce reporting existe déjà, il ne s’applique qu’aux banques, ainsi qu’aux sociétés minières et forestières. A l’avenir toutes les multinationales, quelle que soit leur nationalité – du moment qu’elles possèdent une filiale au sein de l’UE – et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, seront tenues de publier chaque année, sur leur site, et pendant cinq ans au moins, une série d’informations comprenant leur chiffre d’affaires, les impôts payés dans les différents Etats membres, le nombre de leurs employés, la nature de leurs activités, etc. Quelque 6000 sociétés dans le monde pourraient être concernés par ce dispositif.
« Les multinationales doivent payer les impôts dans les pays où elles génèrent des profits », peut-on lire dans la proposition de la Commission, une phrase qui résume l’essence même du texte. Il s’agit donc, avant tout, d’éviter les montages fiscaux complexes qui privent, chaque année, les Etats membres de 50 à 70 milliards d’euros de recettes. L’idée est aussi de rétablir une plus grande justice fiscale entre d’une part les contribuables et les PME, et d’autre part les grands groupes qui bénéficient des moyens nécessaires pour mettre en place une planification fiscale agressive.
« En ayant recours à des montages financiers complexes, certaines multinationales paient parfois trois fois moins d’impôts que les entreprises établies dans un seul pays. Nos propositions visent à promouvoir une concurrence plus juste entre les sociétés, quelle que soit leur taille », explique Jonathan Hill, Commissaire en charge des services financiers à Bruxelles. Suite aux révélations des ‘Panama papers’, la Commission a également ajouté un volet au texte initial afin d’étendre cette obligation de transparence aux paradis fiscaux. Les multinationales, présentes d’une manière ou d’une autre dans des pays qui ne respectent pas « les bons standards de gouvernance en matière fiscale », seront donc tenues de détailler les activités réalisés au sein de ces Etats. Pour faciliter l’application de cette mesure, l’exécutif européen envisage, « dans les six mois », confie-t-on à Bruxelles, de faire adopter par les 28 Etats membres une liste commune de ces paradis fiscaux.
La Commission va bien plus loin que ce qui existe actuellement
Avec cette législation, la Commission va bien plus loin que ce qui existe actuellement dans le monde en matière de transparence fiscale. A l’heure actuelle l’obligation de transmissions de ces informations se limite aux administrations fiscales des pays où les multinationales possèdent une filiale, conformément au plan d’action conçu par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et endossé par les pays du G20. Mais l’équipe de Jean-Claude Juncker mise sur un contexte favorable pour convaincre les Etats membres. Outre une opinion publique largement acquise à un renforcement de la législation, elle compte sur un autre facteur pour faciliter son adoption par les 28 : le texte, pour être validé, ne requière pas l’unanimité mais une majorité qualifiée au sein du Conseil. Aucun Etat membre ne pourra donc, seul, bloquer son adoption au bout du parcours législatif.
« Il faut néanmoins s’attendre à un lobbying très agressif de la part des grandes entreprises, visées par ces propositions », avertit un membre du Parlement européen. S’il se dit favorable à une enquête parlementaire sur les ‘Panama Papers’, le groupe PPE, majoritaire au sein de l’hémicycle, estime que le reporting pays par pays ne résoudra pas seul le problème de l’évasion fiscale. « Il faut aussi éviter de compromettre la compétitivité des entreprises européennes en leur imposant de révéler des informations que leurs homologues américaines ou chinoises ne seront pas contraintes de rendre publique », s’inquiète l’eurodéputé Burkard Balz, porte-parole du groupe PPE sur les dossiers relatifs à la fiscalité.
Quant aux groupes des Verts ou des Socialistes&Démocrates (S&D), il estiment que les propositions de Bruxelles manquent d’ambition. Leurs membres voudraient étendre le champ d’application de la législation à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse 40 millions au lieu des 750 millions proposé par l’exécutif européen. « Aussi longtemps que cette obligation de déclaration ne couvrira pas l’intégralité des pays, il demeurera impossible de détecter les transferts de fonds vers les paradis fiscaux », déplore Eva Joly, vice-présidente de la commission Taxe. Autre bémol : les multinationales ne seront pas non plus contraintes de révéler les arrangements fiscaux passés avec des Etats membres (Tax rulings). « Notre objectif était de trouver un juste équilibre », se défend-on à la Commission. « Si on veut avancer sur ce dossier on ne doit pas menacer la compétitivité des nos grandes entreprises », précise cette même source.
K.L à Bruxelles