« Notre constat de l’économie mondiale est pessimiste. Nous ne voyons pas de signe de redémarrage de la croissance et çà va durer », a lâché d’emblée le chef économiste de Coface, Julien Marcilly (notre photo), lors de la présentation des nouvelles évaluations risque pays, le 24 mars à Paris. Ainsi, l’assureur crédit export prévoit une toute petite hausse du produit intérieur brut (PIB), de + 0,2 % exactement par rapport à 2015. La croissance du PIB mondial atteindrait ainsi 2,7 % cette année.
« Le risque pays est élevé, notamment chez les émergents », a encore prévenu Julien Marcilly. Et de fait, aucun pays n’a été reclassé par Coface (dont l’échelle de risque s’étend de A1 (le meilleur) à D), alors que sept ont été, au contraire, déclassés : que des États émergents, en dehors du Japon *. Dans le détail, le Moyen-Orient est le plus touché en raison de la baisse des cours de pétrole.
Après l’Amérique latine et l’Afrique et, dans le Golfe, Bahreïn, qui étaient déclassés en 2015, cette année, c’est au tour de l’Arabie Saoudite (maintenu en A4, mais avec une perspective négative), du Koweït (maintenu en A2, mais avec une perspective négative) et d’Oman (passé d’A3 en A4). Le Japon (faiblesse de la consommation, appréciation du yen, inefficacité des Abemonics) et l’Arménie (accroissement du risque politique est social) sont des cas spécifiques (l’un est dégradé de A1 avec perspective négative à A2, l’autre tombe de la catégorie C à D), mais deux autres nations dans le monde sont encore frappées de plein fouet par la chute des cours de l’or noir : le Kazakhstan (aussi touché par la récession russe et le ralentissement chinois) et la Malaisie (avec un risque politique grandissant, lié au scandale du fonds souverain 1MBD).
Un redémarrage rapide espéré au Chili, en Pologne, République tchèque et Thaïlande
Le Kazakhstan tout comme la Malaisie sont donc également déclassés, les deux changeant de catégorie, le premier de B à C et le second de A2 avec perspective négative à A3. La Malaisie, dont, pourtant, Coface reconnaît qu’elle dispose d’un facteur favorable à un rebond à court terme. En effet, d’après l’assureur crédit français, la Malaisie est un des pays les mieux placés parmi les émergents pour réaliser des gains en matière de compétitivité-prix favorisant les exportations de produits manufacturiers. « Mais ce n’est pas suffisant », assurait Julien Marcilly et, en l’occurrence, la capacité d’endettement de ses entreprises serait trop faible. En fait, toute une série de pays, dont la Malaisie, mais aussi la Chine, la Hongrie, la Turquie, la Russie ou encore le Brésil, ont affiché entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2015 une hausse de plus de dix points de leur ratio de dette par rapport au produit intérieur brut. Une évolution trop forte, insiste-t-on chez Coface.
Un troisième facteur a été évoqué par Dominique Fruchter, économiste senior. Il s’agit du risque politique. Finalement, « si huit pays avaient passé le filtre des deux critères, a-t-il commenté, quatre ont trébuché sur le dernier, Mexique, Afrique du Sud, Colombie, Kazakhstan. Et ce sont donc quatre autres pays, Chili, Pologne, République tchèque et Thaïlande qui nous semblent les mieux placés pour bénéficier d’un rebond à court terme ». « Ces quatre économies, note Coface dans son récent panorama des pays émergents (mars 2016), représentent moins de 2 % du PIB mondial, mais elles ont pour atout et point commun d’être relativement industrialisées, d’avoir dépassé la trappe du revenu intermédiaire, de ne pas trop exporter à destination des pays émergents les plus malmenés. Leurs fondamentaux économiques sont bons : peu de pressions inflationnistes, dette publique à un niveau faible (Chili, République tchèque) ou modéré (Thaïlande, Pologne) et aucun d’eux ne souffre d’un déficit élevé de sa balance courante ». Nuançant néanmoins son appréciation, Coface précise les « sources de vulnérabilités » de ces États : un risque politique et social « modéré » en Pologne, en Thaïlande, au Chili, le Chili affichant également une dépendance au cuivre « significative ».
Au demeurant, cet état des lieux des États émergents ne signifie pas que d’autres pays ne pourraient pas redémarrer à partir de 2017. « Ce pourrait être le cas du Brésil, si les problèmes politiques disparaissent », a ainsi souligné Julien Marcilly. Car si la consommation et la confiance sont « en berne », si l’inflation est « à deux chiffres », si le chômage « enfle », si encore « la production chute », en revanche, « les exportations de produits manufacturés ont progressé de 14 % sur un an à fin mars ». Or, expliquait au Moci le chef économiste de Coface avant la réunion, « tant sur les biens de consommation que les marchandises industrielles, le Brésil détient des positions fortes correspondant bien à la demande internationale ».
Excès de liquidités dans le monde, allongement des retards de paiement en Chine
Parmi les autres facteurs qui vont toucher l’activité mondiale, les marchés financiers très volatiles risquent de nuire à l’économie réelle. En raison des politiques monétaires expansionnistes pratiquées dans le monde (notamment par la Banque centrale européenne, mais aussi ses homologues en Norvège, en Indonésie ou encore en Hongrie), les excès de liquidités existants peuvent pousser à les États à un moment à décider de mesures de restriction des conditions de crédit, ce qui in fine pourrait avoir un impact sur le moral et le porte monnaie du consommateur.
Or aujourd’hui, le pilier de la croissance économique de la planète est la consommation. « L’inflation est toujours très faible, le pouvoir d’achat des ménages augmente, le chômage diminue quasiment partout, les politiques budgétaires sont moins rigoureuses, la politique monétaire est favorable au secteur immobilier », détaillait Julien Marcilly.
Aujourd’hui, la croissance économique mondiale s’est rééquilibrée. De 75 % de contribution des économies émergentes et 25 % pour les pays avancés, elle est tombée à 60 % pour les premiers et 40 % pour les seconds. Dans un certain nombre de pays occidentaux, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Espagne ou l’Allemagne, la contribution de la consommation des ménages à la croissance économique a été particulièrement flagrante en 2015. Par exemple, elle est passée en Allemagne de moins de 40 % à plus de 70 % et au Royaume-Uni de moins 70 % à près de 85 %. Aux États-Unis, si la croissance économique va ralentir cette année (la hausse du PIB serait de 2 % au lieu de 2,4 % en 2015), la part de la consommation des ménages, elle, continuerait à progresser relativement, jusqu’à atteindre un niveau de 100 %.
Pour Dominique Fruchter, quatre nations ont peu de marges de rebond à court terme : Équateur, Chine, Arabie Saoudite, Égypte. Et notamment la Chine, qui a, comme les autres, une devise qui s’est fortement appréciée depuis 2013 et un risque politique élevé, mais aussi un endettement de ses entreprises élevé. D’après une enquête de Coface auprès de 1 000 entreprises, « 8 sur 10 ont fait face à des retards de paiement de la part de leurs clients, a dévoilé Charlie Carré, économiste senior, et 58 % considèrent que le ralentissement de la croissance aura un impact sur le comportement de paiement de leurs clients ». Le secteur le plus vulnérable est la construction, malgré les grands programmes d’infrastructures, mais les conditions de paiement se dégradent aussi fortement dans les technologies de l’information ou encore l’automobile, deux marchés en voie de maturité ou déjà mâtures, où la concurrence se renforce et le marché devient compétitif.
François Pargny
*Risques pays / Export : Coface dégrade le Japon et six pays émergents