Le fait est inhabituel, voire inédit : face à « la perte de compétitivité » de la place financière française en matière de financement des projets d’infrastructures, Paris Europlace a lancé un véritable appel aux pouvoirs publics pour la mise en place d’une stratégie globale de relance des investissements publics et de financements des infrastructures, dans laquelle cet organisme qui représente la place financière de Paris pourrait jouer un rôle de coordinateur*.
Les quinze recommandations de son rapport « Marché mondial des infrastructures, consolider l’offre de la place financière de Paris », remis le 14 janvier aux ministres des Finances et des comptes publics et de l’Economie, de l’industrie et du numérique, Michel Sapin et Emmanuel Macron, visent ainsi à une relance de l’offre française en France, mais aussi en Europe –dans le cadre de la maturation des premiers projets soutenus par le plan Juncker- et à l’international, dans les pays émergents, « où les entreprises françaises sont confrontées à une concurrence de plus en plus forte », selon les termes d’Arnaud de Bresson, délégué général de Paris Europlace, qui présentait le rapport aux côtés des représentants des différents groupes de travail qui l’ont mené à bien, le 14 janvier dans ses locaux du Palais Brongniart, l’ancienne bourse parisienne.
3 500 milliards de dollars pour le seul marché mondial lié à la transition énergétique de l’après COP 21
Le rapport a, en l’occurrence, été réalisé à la demande expresse, peu avant la tenue de la COP 21, de Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace depuis 2013, dont on connaît la sensibilité au sujet en tant que président d’Engie (ex-GDF Suez), un champion français et international de la production/distribution d’énergie. Sous la conduite de Jean Beunardeau, directeur général d’HSBC France, le rapport a raté la COP 21, mais a été livré tout de même en un temps record, à peine 4 mois, puisque les travaux ont commencé en octobre 2015.
Les enjeux sont loin d’être négligeables. Selon Jean Beunardeau, si, en France, le Medef a évalué à 50 milliards d’euros les investissements prévus dans les réseaux (route, eau, électricité, ferroviaire, haut débit) entre 2015 et 2020, le chiffre se monte à 3 500 milliards de dollars pour le seul marché mondial lié à la transition énergétique de l’après COP 21 (les pays avancés s’étant engagés à hauteur de 100 milliards de dollars annuels). « L’AFD a prévu d’investir de 8,5 à 12 milliards d’euros par an pour ce seul domaine », a observé le banquier.
Mais c’est le constat « de la baisse de compétitivité de la place de Paris » sur ces marchés qui est dressé, malgré l’excellence française que ce soit dans les domaine du BTP, des concessions, ou de l’ingénierie financière des projets. Le déclin est imputé par les auteurs « à la situation défavorable du marché français qui pâtit à la fois de la baisse des dépenses publiques d’investissement », que ce soit de la part de l’État ou des collectivités locales qu’à un « moindre recours aux outils et acteurs privés ». Résultat : les savoir faire et les expertises, tout comme les investisseurs potentiels, se perdent, faute de projets, au moment où les marchés sont promis à un essor mondial.
Comment « accélérer la convergence » entre les « besoins » « la capacité des entreprises à répondre » et « les capitaux » ?
Dans ce contexte, souligne Jean Beurnardeau, la problématique centrale du rapport est de savoir comment « accélérer la convergence » entre, d’une part, les « besoins » en infrastructures, « la capacité des entreprises à répondre » et, d’autre part, « les capitaux pour les financer ». D’où quinze recommandations aux pouvoirs publics français dans trois grandes directions :
-Relancer le marché français en « définissant une stratégie d’investissement public, une gouvernance publique homogénéisée, et une politique de sélection de projets et de choix de modes de réalisation faisant plus largement appel au secteur privé » ;
– tirer le meilleur profit du plan Juncker destiné à relancer les investissements et la croissance en Europe ;
– définir une stratégie de pénétration des marchés émergents, où la demande est la plus forte ;
– instaurer un pôle de financement des grands projets pour coordonner et dynamiser le rôle de la France, et fournir aux opérateurs français des outils (structures et produits) équivalents à ceux de leurs concurrents.
Les 15 recommandations détaillent les propositions pour chacun de ces grands axes (voir à la fin de cet article). Pour ce qui concerne les pays émergents, selon Jean Beunardeau, la nouvelle diplomatie économique française, de même que le rapprochement, confirmé le 12 janvier, entre la Caisse des dépôts et consignation (CDC) et l’Agence française de développement (AFD), vont dans le bon sens. Reste, pour les pouvoirs publics français, à faire le benchmark des dispositifs de soutien public aux exportations dans le cadre de grands projets pour voir si le dispositif tricolore est à la hauteur et à développer de meilleures synergies entre les savoir faire publics et privés
Christine Gilguy
*Lire également, dans la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : Infrastructures / International : comment Paris Europlace veut booster l’offre de financement vers les pays émergents
Les 15 recommandations du rapport Paris Europlace
(Source : communiqué de presse )
A -Mieux connaître les différents marchés et contribuer à faire émerger dans chacun d’eux des pipelines de projets finançables.
Marché français
- Consolider la stratégie d’investissement public dans les infrastructures, notamment en faisant émerger, sous l’égide du CGI (Commissariat général à l’investissement) et de la MAPPP (Mission d’appui aux partenariats public privé), une liste de projets robustes et en permettant la réalisation de « petits projets ».
- Optimiser la structuration des projets : utiliser les nouveaux cadres juridiques, améliorer l’allocation des risques entre public et privé, faire connaître la boîte à outils des soutiens publics, assurer une diversité entre investisseurs privés en matière d’offre de financement.
- Encadrer le processus dans une gouvernance publique homogénéisée : assurer une vision interministérielle et une meilleure coordination entre l’Etat et les collectivités locales, simplifier les processus juridiques et commerciaux, faire de la MAPPP une entité pivot d’expertise, réduire le nombre de litiges et raccourcir les délais de procédure.
Marchés européens
- Se mettre en position de tirer pleinement parti du Plan Junker tant en matière de financement que de suivi des projets existants et des nouveaux projets.
- S’intéresser aux autres concours financiers européens.
Marchés émergents
- Définir une stratégie de pénétration des marchés émergents : en améliorer la connaissance, définir et mettre en place une stratégie de diplomatie économique.
- Faciliter l’accès des PME et ETI à ces marchés.
B – Développer l’écosystème de la Place de Paris pour accroître sa part de marché globale
Maintenir le pôle d’excellence de la Place de Paris
- Maintenir impérativement un pipeline de projets français.
- Garantir la stabilité du cadre légal, réglementaire et fiscal pour les investisseurs.
- Rester vigilant sur les débats européens touchant au financement, particulièrement Solvency 2, la réglementation prudentielle bancaire, et le dispositif sur les fonds d’investissements à long terme.
Optimiser l’utilisation des instruments de soutien public
- Développer une maîtrise de ces mécanismes multilatéraux, européens et français.
- Veiller à la bonne articulation des concours publics avec les financements privés.
Porter une attention particulière aux marchés émergents
- Développer les synergies entre les crédits de l’Agence Française de Développement et le savoir faire privé français.
- Benchmarker le système français de soutien à l’exportation par rapport à ses concurrents.
- Instaurer aux côtés des institutions existantes un pôle de financement des grands projets et des financements français à l’international.
L’intégralité du Rapport est téléchargeable dans la rubrique « Études et rapports » de notre site Internet, au lien suivant : “Marché mondial des infrastructures : consolider l’offre de la place de Paris” (Paris Europlace)