La qualité du produit, du service et du relationnel sont essentiels au succès à long terme des affaires au Koweït. Certes, ce pays présente des lourdeurs administratives, mais il est de plus en plus ouvert aux investisseurs étrangers, explique Lionel Levha, qui y préside la section des CCEF.
Le Moci. Pourquoi si peu de sociétés françaises choisissent de s’implanter au Koweït ?
Lionel Levha. Les relations entre nos deux pays sont très bonnes et la présence actuelle des entreprises françaises ne reflète pas cette proximité. On compte moins d’une trentaine d’entreprises françaises au Koweït, principalement de grands groupes comme Total, Thales, Accor, Carrefour, BNP Paribas, Air Liquide ou Défense Conseil International, mais très peu de PME. Il faut reconnaître que c’est un marché dont l’accès est un peu difficile du fait de l’investissement temps à y consacrer avant de pouvoir concrétiser les affaires. La partie prospection est très importante, il faut vraiment étudier le marché pour proposer un bon produit, adapté aux besoins locaux, un produit innovant et compétitif au niveau du prix et de la qualité. Les Koweïtiens sont exigeants, ils veulent le meilleur et ils peuvent se le permettre. Même si la concurrence est nettement moins importante au Koweït par rapport au marché saturé des Émirats arabes unis, la forte présence des Américains et des Anglais est un challenge en soi, et les Français sont aussi concurrencés par d’autres Européens – Italiens, Allemands – et par les Asiatiques évidemment.
Pendant la période de prospection il faut se montrer très présent : pour se faire connaître, installer la confiance dans la durée et se familiariser avec les pratiques des affaires, étroitement liées aux spécificités culturelles du Moyen Orient et du pays. La réussite dépend en très grande partie du réseau que l’on est capable de constituer, plus encore que dans d’autres pays du Conseil de coopération du Golfe (GCC). C’est long, mais dés que la relation est amorcée, elle est solide et généralement le business s’avère plus profitable qu’ailleurs.
Parmi les règles à respecter : la présentation du produit ou du concept que l’on propose. Elle se fait obligatoirement en anglais, et tout doit être traduit : fiche technique, mode d’emploi, etc. Ensuite, vient le moment décisif du choix du partenaire. Sans un bon partenaire, la partie bureaucratique peut devenir très compliquée.
Le Moci. C’est cette lenteur et complexité qui sont souvent dénoncées par les entreprises qui préfèrent s’attaquer aux marchés de la région en choisissant comme base les Émirats…
L. L. Tout d’abord, on ne fait pas des affaires au Koweït basé aux Émirats. Cela ne marche pas très bien. Mon conseil pour une PME est de commencer par un agent commercial ou distributeur koweïtien, cela permet de réduire les coûts pour débuter sur le marché. Ses entrées, ses connaissances des canaux de distribution et son expérience du pays ouvriront le marché au produit. Le Koweït dépend particulièrement des importations de biens de consommation, des produits alimentaires. Il compte aujourd’hui près de quatre millions de personnes et sa population augmente rapidement. Les Koweïtiens adorent les marques et les produits de haute couture. Le système de franchise fonctionne très bien par ailleurs. Les Koweïtiens sont très friands des franchises, et une centaine de marques françaises sont présentes sous cette forme.
Enfin, on peut prendre un commercial qui représentera les intérêts de l’entreprise. Le Koweït souffre d’un déficit d’image, mais on peut y faire de très bonnes affaires. De plus, l’État a pris des mesures pour attirer les investisseurs étrangers ces dernières années : ouverture du marché boursier aux étrangers, création d’un régulateur indépendant, admission des opérateurs étrangers dans les secteurs pétrochimique et bancaire, mais les participations étrangères restent interdites dans le secteur de l’énergie.
La loi sur les sociétés (fin 2012) prévoit un guichet administratif unique pour la création d’entreprises. L’an dernier, une loi de promotion de l’investissement direct étranger a aussi été adoptée. Il est vrai cependant que de nombreux projets et reformes ont été retardés, pour des raisons bureaucratiques et des querelles politiques, et que cela a découragé plusieurs entreprises françaises. Entre-temps, cela profite à nos concurrents. Par ailleurs, depuis les dernières élections au Parlement, le climat est beaucoup plus propice aux affaires, et il semble y avoir un consensus dans le pays pour faire avancer à la fois les projets et les grandes réformes. De plus, il est intéressant de constater que la chute des prix du baril n’a pas freiné cette volonté, insufflée au plus haut niveau de l’État, aussi du fait que l’émirat a accumulé d’importants surplus budgétaires pendant des années.
Le Moci. À peine une petite moitié des projets du plan de développement 2010-2014 a été lancée. N’est-ce pas décourageant pour les PME ?
L. L. Je pense qu’il est question également de positionnement de nos produits en termes de prix et de gammes. Nous avons des entreprises parmi les meilleures au monde, à l’instar des PME spécialisées dans le parapétrolier, les produits de luxe et les parfums, l’électronique, l’agroalimentaire, pour ne citer que quelques exemples. D’autre part, très souvent nous constatons que nous sommes plutôt moins patients que nos concurrents et nous demandons un taux de retour sur nos affaires plus rapide que les autres. Or, au Koweït, cela ne marche pas ainsi.
De plus, nos PME préfèrent vendre au Qatar ou aux Émirats arabes unis, des pays plus médiatisés, sur lesquels l’information est accessible plus facilement. Elles « chassent en groupe » pour se sentir plus fortes. Or le Koweït offre de nombreuses opportunités dans tous les domaines. D’où la nécessité de communiquer sur les réelles opportunités qu’il offre.
Le nouveau plan de développement 2015-2019, prévoit des projets pour une somme globale de 160 milliards de dollars américains qui sont autant d’opportunités pour nos entreprises, mondialement reconnues pour leur expertise dans les domaines du BTP, des infrastructures, de la défense, etc. Au niveau des CCEF, nous intervenons souvent dans des conférences pour présenter l’environnement des affaires du pays.
D’autres initiatives de promotion et d’information sont réalisées par le service économique de l’ambassade de France, le French Business Council du Koweït (le FBCK représente la chambre de commerce française), ou encore Business France qui a ouvert un bureau au Koweït en début d’année. Les entrepreneurs qui cherchent des renseignements sur ce marché peuvent d’ailleurs contacter ces structures.
Mais tout cela ne suffit pas pour que les entreprises françaises récupèrent voire gagnent des parts de marché, il faut d’abord rendre nos PME plus compétitives, car, de ce point de vue, les sociétés françaises partent avec un handicap certain par rapport à nos voisins européens. La première étape de cette bataille de l’export se gagne en France.
Propos recueillis par Eva Levesque à Koweït City