On pouvait penser que le transfert de la gestion des garanties publiques à l’export de Coface à Bpifrance passerait comme une lettre à la Poste. Il n’en est rien. En fait, il faudra sans doute encore beaucoup d’échanges de lettres et de rencontres entre pouvoirs publics, établissements financiers, hommes politiques et syndicats pour aboutir tant le projet fait couler de l’encre depuis sa validation, fin juillet 2015.
L’intersyndicale CGT-CFE CGC de Coface a adressé, le 16 novembre, une lettre ouverte à François Hollande pour lui demander l’ouverture d’un « débat public ». « Nous sommes sur des sujets très techniques, qui demandent des expertises très pointues et il est donc nécessaire de mener un travail d’explication précis des modalités et des enjeux », justifie auprès de la Lettre confidentielle un syndicaliste de la Compagnie française d’assurance crédit à l’export (Coface), établissement devenu privé dans les années 90, mais qui exerce cette activité de garantie publique pour le compte de l’État depuis 1946.
Les entreprises utilisatrices inquiètes, selon les syndicats
Dans cette lettre ouverte, les deux syndicats affirment que « la partie garantie publique de la Coface, transférée à Bpifrance, ne pourra pas fonctionner sans des compétences très étoffées en matière « d’expertise pays », communément appelée « risque pays » et qui s’est beaucoup enrichie depuis 1997 sous l’égide de l’OCDE au sein d’une convention « verbale » où Coface représente la France ». En outre, écrivent-ils, cette évolution « suscite de vives inquiétudes en particulier de la part des utilisateurs », c’est-à-dire les entreprises qui sont habituées à recourir à Coface « pour plusieurs risques, sur divers pays, pour des durées de crédit à court et moyen terme qu’il s’agisse de garanties compte propre et compte État ».
En d’autres termes, « l’approche client est globale s’agissant de l’entité exportatrice », et le transfert des garanties publiques pourrait, selon ce syndicaliste interrogé par la LC, signer à terme la « mort » de Coface. « Certes, les garanties publiques ne comptent que pour 4 % dans le chiffre d’affaires du groupe, soit moins de 60 millions d’euros en 2014, ce qui a été la rémunération versée par l’État à Coface, mais, ajoute le syndicaliste interrogé par la LC, la fin des synergies entre compte propre et compte public serait destructrice pour notre groupe, qui a déjà perdu 20 % de son chiffre d’affaires depuis 2012 ». Et d’enfoncer le clou : « comment voulez-vous que nous résistions au rouleau compresseur de concurrents comme Atradius ou Euler Hermes, qui disposent, au demeurant, de fonds propres bien supérieurs aux nôtres ».
Le volet social est aussi important, puisque « la direction a annoncé début novembre qu’elle dévoilerait avant la fin de l’année un plan de réductions de coûts », peut-on lire dans la lettre ouverte au président de la République. « Pour le personnel qui devrait rejoindre Bpifrance, il s’agit de 250 personnes sur 1 100, mais pour les autres, c’est un plan de restructuration que prépare la direction générale pour 2016 et qu’elle annoncera vraisemblablement le 17 décembre », avance encore l’interlocuteur de la LC.
Les députés Gilles Carrez et Alain Bocquet prennent leur plume
Si la voix de l’État ne s’est pas encore fait entendre, en revanche, les parlementaires ont pris leur plume, à l’instar du Républicain Gilles Carrez et du communiste Alain Bocquet.
Le premier, président de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire à l’Assemblée nationale depuis 2012, l’a fait sous la forme d’un amendement portant sur la suppression de la proposition de Loi de transfert entre Coface et Bpifrance qui doit être votée, avant la fin de l’année, dans le cadre du projet de Loi de Finances rectificative (PLFR) 2015.
Si, dans l’exposé des motifs du projet de Loi, le gouvernement rappelle que l’évolution qu’il préconise est déjà « adoptée par de nombreux pays tels que le Royaume-Uni et l’Allemagne», Gilles Carrez, pour sa part, reprend les arguments des syndicalistes de Coface. Le député du Val de Marne écrit que « rien ne garantit que ce transfert offre un meilleur soutien à l’internationalisation de nos entreprises françaises ». Au passage, il s’inquiète du fait que Coface ne disposera plus d’experts en matière de risque pays «qu’au titre de son activité privée ». Comme la CGT et la CFE CGC, le président de la Commission des finances pense que « dissocier le volet public des garanties présente un risque du point de vue du client final, pour qui l’entité exportatrice représente un tout».
Pour sa part, Alain Bocquet a adressé, le 27 novembre, une lettre au Premier ministre Manuel Valls, prenant également le parti des syndicats sur le volet social, mais aussi sur le fonds. Selon le député-maire de Saint-Amand-les-Eaux, « la Coface va conserver – pour sa partie privée – ses experts en la matière et BPI France n’a aucune compétence dans ce domaine ». Là, se trouve, en effet, le nœud du problème, qui risque de faire couler encore beaucoup d’encre.
Un report de la loi sans doute au second semestre 2016
Même la socialiste Karine Berger déclarait, le 4 décembre dans les colonnes de notre confrère Les Echos, que « la façon dont BPI peut gérer sérieusement les mécanismes d’exportation publics et sans surcoût est à préciser ». Le gouvernement a la volonté de créer un « guichet unique » à l’export, mais si « Coface a un réseau mondial, la BPI, sauf erreur de ma part, n’en a pas », lâchait aussi au quotidien économique la députée des Hautes-Alpes.
Du coup, le transfert des garanties publiques, prévu à l’origine début 2016, pourrait être reporté. Si un débat parlementaire devait être engagé, ce qui ravirait les syndicats de Coface, alors l’évolution promise par le gouvernement n’interviendrait que dans le courant du second semestre.
Le calendrier pourrait d’autant plus être bousculé que les rapports entre la direction générale et les syndicats de Coface sont tendus. Longtemps en retrait derrière FO et CFDT, la CGT et la CFE CGC mènent aujourd’hui la fronde contre le directeur général, Jean-Marc Pillu, qu’elles accusent d’avoir cassé le dialogue social qui existait du temps de François David, président de 1994 à 2012, et Jérôme Cazes, directeur général entre 1999 et 2010, le prédécesseur de l’actuel directeur général. « Le fait qu’il ne vienne même pas au comité d’entreprise est ressenti par le personnel comme du mépris », déplore le syndicaliste interrogé par la LC. Pour lui, « les seuls véritable objectifs » de Jean-Marc Pillu sont que Coface retourne en Bourse et que la banque Natixis, son principal actionnaire, puisse se défaire, comme elle le souhaite, des 41 % encore détenus dans Coface.
François Pargny
Pour prolonger :
–Transfert des garanties publiques à Bpifrance : les salariés de Coface ont le blues
–Aides à l’export : les clients très satisfaits des garanties publiques, selon une enquête publiée par Coface
–Financements export : accord entre l’Etat et Coface pour le transfert des garanties publiques à Bpifrance dès 2016
–Coface/Bpifrance : F. Sanchez et A. Bentéjac attendent une gestion plus “pro business” des garanties publiques export