« J’ai appris récemment qu’il existait des protocoles du Trésor permettant de financer des projets export : mais qui est vraiment au courant ? ». Cette réflexion nous a été faite par le responsable d’une société d’ingénierie, ensemblier de réseaux télécoms, croisé à Nantes lors du dernier International Connecting Day (ICD), le 1er octobre. Ces prêts bilatéraux du Trésor à des États étrangers sont destinés à permettre à des pays émergents de réaliser des projets de développement économique via l’importation de biens et services français. Ils avaient disparu sous le gouvernement Jospin mais ont fait leur réapparition avec la réforme du mécanisme « Réserve pays émergents » (RPE), réalisée par Michel Sapin en juin 2015, visant a réintroduire des prêts « non concessionnels », c’est-à-dire à des conditions proches de celles du marché. Objectif : doper l’offre française dans les projets d’infrastructures.
Dans le Projet de Loi de Finance (PLF) 2016, ces fonds relèvent du programme 851, désormais intitulé « Prêts à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et services concourant au développement du commerce extérieur de la France ». L’allusion à la RPE a disparu. Les autorisations d’engagement pour 2016 sont de 330 millions d’euros, le même montant que pour le PLF 2015. Dans le cadre des engagements de la France auprès de l’OCDE en matière de crédits export (taux d’intérêt minimums, durée, notamment), ils pourront être mobilisés sous deux formes :
– celles de l’ancienne RPE, avec des prêts dits « concessionnels » (c’est-à-dire à des taux très avantageux), comptabilisés à l’aide publique au développement et donc réservés à des projets entrant dans le cadre de cette politique;
– celles de la réforme Sapin, effective en juin 2015, avec l’autorisation de faire des prêts dits « non concessionnels », c’est-à-dire à des conditions moins avantageuses pour les bénéficiaires, « dans des zones géographiques et pour des secteurs d’intervention plus étendus ».
En ligne de mire : les grands projets d’infrastructures dans les pays émergents
Quels vont être les critères pour débloquer de tels prêts ? Ils se voudront sans doute un peu plus restrictifs que ce qui prévalait avant la suppression des protocoles sous le gouvernement Jospin. Selon l’extrait du Bleu budgétaire présentant ce programme*, rédigé par Bruno Bézard, le directeur général du Trésor, les interventions « répondent aux orientations de l’aide française avec un accent mis tout particulièrement sur le développement durable et les objectifs du Millénaire pour le développement ». Sont nommément cités les secteurs « transports de masse », environnement, alimentation en eau potable, gestion des déchets liquides et solides, énergie ou encore « limitation de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre ».
Les décisions sont prises par un comité interministériel que préside la DG Trésor et les projets, disons-le, relèvent plutôt de grands contrats. Les services économiques auprès des ambassades à l’étranger sont d’ailleurs les premiers interlocuteurs sur le terrain des entreprises qui veulent pousser un projet avec un financement. Mais les PME et ETI peuvent y participer via de la sous-traitance et des fournitures, voire en chef de fil. Des exemples de projets financés via des protocoles ? La LGV au Maroc (depuis 2008…) mais aussi, plus récemment, un projet d’alimentation en eau potable à Nairobi (Kenya) ou encore un projet de ligne pilote de transport ferré urbain à Hanoï (Vietnam).
Pour 2016, le Trésor a en ligne de mire les grands projets d’infrastructures dans les pays émergents, « notamment dans les pays du Maghreb et en Asie ». Mais il présente aussi ce nouveau dispositif comme un instrument de politique industrielle : « l’opportunité de recourir aux prêts, concessionnels ou non, comme instrument de politique industrielle à l’export, en complément des mesures de redressement productif sur le territoire national, permet à nos entreprises d’acquérir des références sur les marchés porteurs grâce à son caractère lié et contribue à la compétitivité de l’offre française à l’international ». Une justification qui devrait ravir les grands groupes industriels exportateurs français. Reste à Bercy, sans doute, à davantage faire connaître ce nouveau levier, y compris au sein du réseau des Services économiques, où, selon notre responsable export nantais, ils étaient encore récemment méconnus…
C. G.
*Cliquer sur le lien : http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2016/pap/pdf/DBGPGMPGM851.pdf