À la tête de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) depuis février 2013, Hélène Crocquevieille a d’abord piloté l’élaboration du plan stratégique de la Douane à 2018, approuvé l’an dernier, avant de lancer la campagne « Dédouanez en France », qui vise à mobiliser la plateforme logistique française et les entreprises en vue de l’arrivée du nouveau Code des douanes de l’Union (CDU), le 1er mai 2016.
En exclusivité pour Le Moci, dans le cadre d’un dossier spécial à paraître dans le magazine du 29 octobre (Moci n° 1997), elle revient sur le contexte dans lequel la Douane lance ce plan et quelques-unes de ses mesures phares, destinées à reconquérir des parts du marché européen du dédouanement, où les administrations douanières des 28 États membres se font concurrence sans complexe. Voici, en avant-première pour les lecteurs de la Lettre confidentielle, quelques extraits.
Le Moci. La reconquête du dédouanement, qui est l’un des objectifs de votre plan d’action « Dédouanez en France », pourquoi est-ce un enjeu pour la France maintenant ?
Hélène Crocquevieille. Notre objectif est très clairement, dans le cadre de notre mission de régulation du commerce international, de mettre en avant et de favoriser l’attractivité de la plateforme France. Cela vaut aussi bien pour notre économie que pour nos opérateurs.
Pourquoi maintenant ? Parce qu’en matière douanière, on a un déclencheur qui est l’arrivée désormais imminente de l’entrée en application du nouveau code des douanes de l’Union européenne, le CDU, le 1er mai 2016.
Ce n’est pas nouveau pour nous, cela fait maintenant deux ans que les services de la douane travaillent d’arrache-pied avec la Commission européenne, en lien très étroit avec les fédérations professionnelles, les représentants des entreprises, sur ce chantier. Mais comme toujours dans les grands projets, il est important d’avoir à un moment donné un temps fort de mobilisation, où tout le monde se met sur la ligne de départ et dit « on y va ». Notre objectif est très clair : être prêt dès le premier jour d’entrée en application de cette nouvelle réglementation européenne, tant du côté des douanes que du côté des entreprises françaises. La mobilisation s’inscrit dans la durée : après la journée du 22 septembre à Paris, nous allons décliner cet événement mobilisateur dans les différentes régions et avec nos partenaires que sont les fédérations et les autres opérateurs. Le premier forum en région est prévu à Strasbourg le 17 novembre.
«Les administrations douanières sont en concurrence avec les autres administrations douanières… »
Le Moci. Pourquoi l’arrivée du CDU met-elle ainsi autant la pression ?
H.C. Cette nouvelle réglementation n’est pas une contrainte, c’est un nouveau cadre juridique qui ouvre des opportunités. Mais comme on est dans un cadre européen, ces opportunités sont ouvertes à tous les opérateurs, à toutes les entreprises de l’Union européenne, et potentiellement, toutes les administrations douanières nationales peuvent les offrir. Il y a des opportunités en termes de facilitation et de fluidification du commerce, très concrètement en termes d’attractivité pour les entreprises, c’est vraiment le premier qui est prêt qui capte le marché si j’ose dire. Comme les entreprises sont en concurrence les unes avec les autres, les administrations douanières sont en concurrence avec les autres administrations douanières… C’est la raison pour laquelle nous voulons dire, faire savoir, démontrer que nous serons prêts, dès que la réglementation européenne le permettra, pour offrir un maximum de ces opportunités aux opérateurs français, mais pas seulement (…)
Le Moci. Quelles sont les opportunités qui vous paraissent les plus importantes pour les entreprises ?
H.C. Le premier message que la douane française souhaite faire passer en priorité s’adresse aux opérateurs économiques agréés (OEA). Le CDU renforce les avantages liés à ce statut en termes de reconnaissance mutuelle, de facilitation d’un certain nombre de formalités douanières, un véritable « passeport à l’international ». C’est pour cela que nous souhaitons développer en France le nombre d’OEA. On n’est pas tout à fait à 1 400, on est le troisième pays européen en nombre, et on était, en 2014, le deuxième pays en termes de certificats délivrés : on est donc sur un très bon rythme.
Notre objectif est de continuer à progresser en terme de nombre d’attributions. Mais ce n’est pas le seul. Obtenir ce label représente un investissement pour une entreprise, en temps et en compétences, et elle en attend un retour sur investissement : nous souhaitons travailler sur ce retour sur investissement.
Le Moci. De quelle manière ?
H.C. (…) Un certain nombre de facilités liées au statut d’OEA sont déjà mentionnées par le CDU, mais il y a des facilités supplémentaires que peuvent mettre en œuvre les douanes nationales : choix du lieu de dédouanement, rapidité des contrôles…
On veut aussi développer des « clubs OEA » – c’est la mesure 32 du plan « Dédouanez en France » (voir pages suivantes). Les modalités concrètes de ces « clubs » ne sont pas encore définies mais l’idée est de permettre aux entreprises OEA de se rencontrer, partager leur expérience, nous faire remonter des idées sur ce que nous pourrions encore améliorer, et leur offrir une sorte de paquet d’avantages spécifiques, une sorte de carte « gold » réservée aux OEA.
Un exemple : le renouvellement de l’OEA, tous les trois ans, passe par un nouvel audit douanier, certes plus léger que le premier ; mais cette étape sera d’autant plus allégée qu’on aura pu s’assurer de façon régulière que les critères de l’OEA sont pratiqués au quotidien par les entreprises labellisées : si c’est le cas, le renouvellement sera une formalité. On a ainsi engagé une démarche expérimentale avec Renault, à sa demande, car cette entreprise a développé en interne un outil de suivi de l’application des critères OEA et souhaitait s’assurer qu’il était bien en phase avec les critères de la douane.
« Le service Grands comptes, c’est la mise en place d’un interlocuteur unique vis-à-vis d’opérateurs qui font le choix de la place France»
Le Moci. Parmi les petits « plus » douane française, vous avez créé ce service « grands comptes » où là, c’est carrément une carte « platinium » qui est proposée. Le vrai enjeu, n’est-il pas de gagner la compétition vis-à-vis des autres pays membres sur le « marché » du dédouanement ?
H.C. Oui, tout à fait, et je crois que l’on peut en parler avec lucidité et sérénité d’autant plus que nos partenaires douanes des autres pays membres ne s’en cachent pas non plus. Nous sommes une seule frontière du point de vue des flux économiques, mais à partir du moment où la réglementation européenne est respectée, chacun d’entre nous a évidemment intérêt à ce que les flux arrivant dans l’Union passent d’abord par chez lui.
Il y a un enjeu économique incontestable car cela créé de l’activité sur les plateformes logistiques, dans les transports, dans toute la chaîne logistique nationale, même si la marchandise chemine ensuite vers d’autres pays. Il y a aussi un enjeu fiscal, une partie des droits et taxes perçues à l’entrée restant sur le territoire. Il y a aussi un enjeu en termes de sécurisation des flux qui est pour moi tout à fait fondamental. Une marchandise qui arrive dans l’Union en passant par la plateforme France offre la garantie qu’elle a été contrôlée, que les procédures ont été respectées, ce que j’appelle le « standard France », une garantie notamment en matière de protection des citoyens et des consommateurs.
Donc, compte tenu de ces enjeux, il est normal que nous soyons en concurrence avec les autres partenaires et que nous cherchions, en cohérence avec notre mission de régulation, à capter ces flux. On fait savoir que l’on sera prêt, que l’on facilitera la vie de toutes les entreprises et opérateurs qui entreront dans des démarches de confiance et de sécurisation de leurs flux. Avec eux, on mettra en place toute la batterie de simplifications.
Dans ce contexte, le service Grands comptes est un projet complémentaire mais il ne suit pas tout à fait le même objectif. C’est la mise en place d’un interlocuteur unique vis-à-vis d’opérateurs qui font le choix de la place France pour stabiliser leurs opérations d’import/export au sein de l’Union européenne.
Le Moci. Quelle est votre cible ?
H.C. Pour l’instant ce sont de grands opérateurs que nous connaissons déjà à travers la Mission grandes entreprises. Avec le service Grands comptes, on veut aller un cran plus loin et effectivement passer de la simple activité de conseil, qu’assurait cette Mission, à de l’accompagnement par un interlocuteur dédié : gestion de leurs procédures, réponse sur le fond à leurs questions, et mise en œuvre concrète de la centralisation de leur dédouanement, qui est une des opportunités offertes par le CDU.
Pour les plus petits opérateurs – PME et ETI qui constituent 95 % des 120 000 entreprises exportatrices et près de la moitié du commerce extérieur – nous avons aussi une démarche personnalisée d’accompagnement à travers les cellules conseil aux entreprises qui sont dans les pôles d’action économique des directions régionales des douanes. Actuellement, quarante cellules conseil maillent le territoire.
« Au moins une grande entreprise -peut être plusieurs autres demain -nous a demandé à bénéficier d’une PDU afin de rapatrier ses flux de marchandises en France »
Le Moci. Où en est concrètement ce service grands comptes et avez-vous une démarche proactive auprès des opérateurs que vous ciblez ?
H.C. Formellement, il sera créé plutôt au 1er janvier 2016. Actuellement, nous écrivons aux opérateurs pour leur demander s’ils seraient disposés à rejoindre le service grands comptes. Pour le moment, je dois dire que je n’ai que des réponses positives ! Nous allons procéder en trois vagues successives pour assurer cette transition d’une activité de conseil à une activité de gestion des procédures, afin que le service monte en puissance progressivement et qu’il n’y ait aucune rupture pour les opérateurs, dans le traitement de leurs flux.
Le Moci. Irez-vous jusqu’à contacter des opérateurs qui auraient localisé leur opérations de dédouanement ailleurs qu’en France, par exemple aux Pays-Bas ou en Belgique ?
H.C : Ce à quoi nous travaillons, c’est très clairement à rendre la douane encore plus performante, à montrer son implication et son dynamisme et à proposer des procédures de nature à rendre le territoire national plus attractif. C’est exactement l’objet du plan « Dédouanez en France » comme son intitulé le montre. Et je crois que c’est grâce à cette action que nous participerons le mieux au développement de nos plateformes de dédouanement et que nous récupérerons des entreprises qui ont délocalisé leur dédouanement et leurs flux dans d’autres États-membres. Les mesures que l’on met en place bénéficient d’ailleurs d’un relais très positif.
Une mesure très symbolique comme l’auto-liquidation de la TVA, qui est permise depuis le début de l’année aux opérateurs disposant d’une PDU (procédure de dédouanement unique), a amené certains opérateurs faisant actuellement passer leurs marchandises par Anvers ou Amsterdam à se rapprocher de nous spontanément pour nous interroger sur le bénéfice qu’ils tireraient à passer par le Havre ou Dunkerque. Très concrètement aujourd’hui, on a au moins une grande entreprise -peut être plusieurs autres demain -, qui nous a demandé à bénéficier d’une PDU afin de rapatrier ses flux de marchandises en France.
Maintenant, vous savez comme moi que l’attractivité d’une plateforme logistique, ce n’est pas seulement les procédures douanières. C’est aussi l’organisation portuaire, les infrastructures, l’offre de transports multimodale derrière… Nous ne sommes qu’un des maillons. Nous essayons de faire en sorte qu’il soit le plus facilitant et le plus sécurisant possible…
Propos recueillis par
Christine Gilguy
Retrouvez l’intégralité de cette interview dans la prochaine édition du magazine Moci, à paraître le 29 octobre prochain. Restez en veille sur les nouvelles parutions avec notre newsletter gratuite sur les nouveautés, cliquez ICI
Pour prolonger :
Lire dans la LC n° 160 du 24 septembre :
–Fiscalité/Douane : une extension de l’auto-liquidation de la TVA aux OEA pour 2016 ?
–Logistique/Douane : le plan d’action de Christian Eckert pour booster la compétitivité française
–Ce qu’il faut savoir des 40 mesures de la Douane pour optimiser le dédouanement