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Entreprises : ces PME qui réussissent sur un marché taïwanais exigeant

Comprendre la culture locale est indispensable. Faire preuve de persévérance aussi. Ce sont les recettes du succès, comme le montrent dans la gastronomie et le chocolat les sociétés Plaisir Sélection et Debauve & Gallais. Pour sa part, le créateur de logiciels et systèmes embarqués Adeneo-Embedded entend profiter de sa complémentarité avec les fabricants taïwanais de hardware. 

Au regard de l’environnement des affaires, le coût d’une expatriation à Taïwan, même pour une PME, paraît raisonnable. Du fait de sa position géographique centrale, il est facile de prospecter sur les marchés dans la région, toutes les capitales asiatiques étant en moyenne à trois heures de vol. Les coûts de développement y sont, en outre, faibles, notamment les prix de l’immobilier de bureaux. Les salaires sont modestes du fait d’une politique de compétitivité qui risque toutefois de ne pas être éternellement acquise, malgré l’absence de culture syndicale. La main-d’œuvre est bien formée, souvent anglophone, et possède une culture de travail d’inspiration plutôt occidentale. Par ailleurs, et ce n’est pas négligeable, le cadre de vie est agréable. « C’est à la fois dépaysant et sécurisant par rapport à la Chine, parce que c’est un pays sûr », note la plupart des représentants de PME implantées sur place. Si l’environnement des affaires est de qualité, le marché est beaucoup moins facile, mais c’est une bonne école pour entrer en Asie dans les meilleures conditions.

 

Plaisir Sélection  Faire de la gastronomie à un prix négocié

Seul dans son petit bureau loué à la Chambre de comme et d’industrie France Taïwan (CCIFT), encombré de belles bouteilles et d’un service de verres à vin, David Pillot, la trentaine bien assise et le nez affûté, représente Plaisir Sélection à Taipei. Société de 15 salariés fondée en 1978 par Gaston Lenôtre pour diffuser la gastronomie française, la PME réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 17 millions d’euros sur quelques marchés asiatiques : Japon, Taïwan, Chine, plus récemment Corée et Vietnam.

En 1982, Plaisir Sélection a ouvert un premier bureau à Tokyo. Avec ce point d’ancrage et fort d’une trentaine d’années d’expérience en Asie, la société s’implante alors à Shanghai en 2008, puis ouvre un bureau à Taipei en 2011 et enfin à Séoul en 2013. « La Chine découvre le vin, tandis que le Japon en boit depuis 25-30 ans. Taïwan est entre les deux, mais plus proche du Japon », explique David Pillot, notant que si le marché existe bel et bien, et dans des proportions étonnantes pour seulement 23 millions d’habitants, il est extrêmement compétitif. « Tous les acheteurs se connaissent, ils sont très pointus et très prudents, ils connaissent tous les prix, observent longuement et n’achètent que ce qui marche, constate-t-il. Le réseau de distribution est saturé par 150 importateurs officiels, soit une centaine de trop ! »

Interrogé sur les moyens de sa réussite, il n’y va pas par quatre chemins : « il faut être précis et professionnel, honnête car les Taïwanais ne supportent pas l’inverse. Et opiniâtre, une spécificité locale », dit-il avant de rajouter que l’implantation japonaise de Plaisir Sélection a beaucoup contribué à ouvrir les premières portes à Taïwan. « Il faut prendre son bâton de pèlerin et aller voir les gens, rendre visite, expliquer, montrer son professionnalisme ! Ici, on ne fait pas des affaires par mail et le contact humain est très important », détaille le négociant, en avouant que les deux premières années ont été très difficiles. « On vous parle tout de suite des meilleurs prix, de l’exclusivité, alors que ce n’est qu’un petit marché en termes de volumes dégagés. Les informations circulent très vite, pas facile ! », dit-il en racontant que certains de ses clients n’ont commandé qu’à l’issue de trois et longues années d’échanges, de dîners et de discussions techniques pour construire une relation de confiance. « Et un jour à l’improviste, au détour d’une conversation, le client passe une grosse commande », se souvient-il, en prenant soin de préciser qu’il faut aussi être là au bon moment, avec le bon produit et le bon prix.

Le mécanisme d’achat est ultra-conditionné chez les acheteurs locaux : « Quand on arrive avec un produit un peu plus travaillé de vignerons de qualité, c’est très difficile d’expliquer la différence de prix parce qu’on vous rétorquera que c’est toujours trop cher. Il faut donc du temps pour faire comprendre qu’un prix plus élevé se justifie alors qu’en France, c’est instantané ! » Aujourd’hui, David Pillot maîtrise bien la lecture culturelle du marché : « Quand je suis arrivé, je pensais qu’en travaillant mes prix de façon très agressive, je pourrais être performant. C’est une grosse erreur ! Il faut gonfler ses prix pour pouvoir ensuite les baisser parce que c’est commercialement et culturellement admis. Si on démarre avec le prix voulu, la négociation se bloquera parce qu’on aura rien à offrir », raconte-il. Interrogé sur les passerelles du marché chinois, il dit en profiter sans pour autant les contrôler. « Aujourd’hui, ce sont mes plus gros chiffres de vente, mais je n’ai pas la main dessus. Ce sont mes distributeurs taïwanais qui vont en Chine faire des affaires avec mes produits. La relation de confiance est donc primordiale ! »

 

Debauve & Gallais  Du chocolat au salon de thé

Au niveau – 2 du centre commercial le plus luxueux de Taipei, à deux pas de l’iconique tour Taipei 101, resplendit l’unique point de vente à Taïwan de Debauve & Gallais. Maison de chocolat fondée en 1800, fournisseur attitré des anciens rois de France et dirigée par Bernard Poussin, descendant de la huitième génération des fondateurs, la marque est dotée d’une image de prestige soigneusement entretenue dans son magasin parisien.

Mis à part les points de vente directement ouverts par la marque au Japon, en Chine, en Corée, aux États-Unis et aux Émirats Arabes Unis, elle est exclusivement distribuée à Taïwan par Jean-Yves Romagnani, qui tire ses lettres de noblesse des 25 ans passés sur le marché de la Grande Chine pour des marques de luxe du secteur de la mode. « Depuis ces quinze dernières années, les Taïwanais ont beaucoup changé. Ils ne font pas seulement qu’acheter des produits de luxe. Ils en comprennent les codes, les enjeux et savent les apprécier », affirme-t-il en faisant le même constat pour les vins et spiritueux, la gastronomie et la pâtisserie.

« J’ai découvert le marché taïwanais il y a 7 ou 8 ans. J’ai constaté une montée en gamme. J’ai fait une analyse de marché et le chocolat de luxe m’a semblé être la bonne opportunité ». Depuis novembre 2013, sa petite société de cinq personnes fait acheminer par avion à température constante, soit 16°, ces chocolats de rois fait mains. Il vient en outre de signer avec Léonidas, la marque de chocolats belges. « Le salon de thé Debauve & Gallais d’une surface de 150 m2 que nous allons inaugurer à la fin de l’année dans un des plus beaux emplacements de Taïwan, c’est une reconnaissance de notre travail qui prouve qu’on peut amener à Taïwan, en deux ans et demi, une telle marque, complexe et chère », explique-t-il. Interrogé sur les recettes du succès, il précise qu’il s’adresse « à des maisons familiales pour lesquelles la problématique est différente des grands groupes dotés de grosses ressources financières. Nous offrons, ajoute-t-il, un véritable service parce qu’on connaît bien la région, la clientèle et tout ce qui fait la gestion quotidienne d’une maison de distribution : soit les propriétaires des espaces commerciaux, les médias et les clients. Ce qui est compliqué, c’est de vendre des produits français à Taïwan et d’en préserver l’image. Il y a des logiques et des modes opératoires à mettre en place et cela s’apparente à un exercice d’équilibriste ».

Fort de cette connaissance du marché, il s’est positionné « un peu tôt peut-être », mais « cela est nécessaire pour une petite structure » afin de passer au travers de la force de frappe des grands groupes taïwanais lorsque le marché connaît la vague montante. Il faut être précurseur, prendre en portefeuille des marques et occuper le terrain, dit-il. « On existe depuis 3 ans et on progresse de 50 % chaque année. On est profitable depuis un an. On travaille à la taïwanaise, en comprimant les frais généraux au maximum, avec des petits bureaux », détaille-t-il. « Le problème du marché taïwanais est qu’il a été délaissé ces 15 dernières années par les grandes marques qui l’ont intégré au concept de Grande Chine en faisant baisser les moyens alloués pour mieux investir en Chine, remarque-t-il.

Même si les marques semblent revenir, cela reste un marché très difficile. Mais c’est aussi une excellente école, qui coûte surtout moins cher que l’échec en Chine. Cela permet de valider un plan de développement en Asie. C’est aussi un marché qui préfigure ce que deviendront certains marchés en Chine », affirme l’entrepreneur qui rappelle que « sans expérience de l’Asie, c’est très difficile ». Et de souligner une réalité primordiale : « Les Taïwanais sont des industriels à l’inverse des gens de Hongkong qui sont des commerçants qui vendent et achètent, tout le temps, tout. Avec les Taïwanais, une fois qu’on a leur confiance, c’est pour longtemps. On peut construire des partenariats fondés sur une relation mutuellement bénéfique. Ça prend beaucoup de temps, mais c’est possible, à l’inverse, par exemple, de Hongkong ».

 

Adeneo-Embedded  Des logiciels pour compléter l’offre locale et exporter

« Je viens juste de signer avec Adeneo-Embedded, il y a un mois seulement, mais j’étais en contact avec eux depuis quelque temps », déclare, avec un grand sourire, Jean-François Barati, ancien directeur général de Texas Instrument à Taïwan avec 15 ans d’Asie derrière lui. Dorénavant, c’est lui qui représentera cette PME lyonnaise d’un peu moins d’une centaine de salariés (dont 80 ingénieurs) fondée en 2002, filiale du groupe français Adetel, labélisée « Tech champion » par le dispositif French Tech, et spécialisée dans les portages de logiciels et les systèmes embarqués, dont les applications sont très nombreuses dans l’automobile, la robotique ou le secteur médical.

C’est évidemment sa grande connaissance de la région et du marché électronique de la région qui a convaincu. « Ils n’étaient pas prêts à investir en Asie mais se sont finalement décidés à me confier le développement de leur marché, d’abord à Taïwan puis au Japon ». Adeneo-Embedded travaille beaucoup en collaboration avec les fabricants de semi-conducteurs comme Texas Instrument qui ont besoin des relais de sociétés spécialistes du logiciel pour compléter leur offre. « Il existe une complémentarité parfaite entre ce que peut fournir Adeneo-Embedded et le cœur de métier des PME taïwanaises, note Jean-François Barati. Et surtout, Adeneo a compris que les Taïwanais sont un excellent vecteur pour pénétrer des marchés aux États-Unis ou au Japon. »

En effet, la synergie entre le Japon et Taïwan est forte parce que les réseaux de sous-traitance sont anciens et solides. « Au Japon, les coûts de développement sont très élevés, alors que la grande spécialité de Taïwan, c’est de savoir faire des produits de qualité mais à des coûts inférieurs. L’île détient aussi des capacités de design de très haut niveau en matière de hardware », souligne-t-il, en prenant l’exemple des PC. Placés sous l’influence excessive de Windows, Microsoft et Intel, les Taïwanais sont devenus extrêmement performants sur ce plan, mais ont comparativement peu développé leurs compétences en matière de logiciels, leur faiblesse majeure. On sous-estime d’ailleurs trop souvent la connexion industrielle entre le Japon et Taïwan, considère Jean-François Barati.

Prenant l’exemple des startups en général « très fortes pour bidouiller des choses incroyables à montrer à leurs investisseurs », il note que lorsqu’il faut passer à la production à grande échelle, cela se révèle très difficile, voire une catastrophe. « Le réflexe, c’est d’aller en Chine mais c’est un environnement beaucoup plus difficile et sans garantie pour la préservation de la propriété intellectuelle, dit-il. On trouve un immense réseau de sociétés à Taïwan qui sont capables de fabriquer de la qualité à des prix très compétitifs, sans risque de perdition de propriété intellectuelle », affirme-t-il pour illustrer l’attrait du marché taïwanais. « La complémentarité est évidente : Adeneo-Embedded et les sociétés taïwanaises ont les moyens de construire un bon hardware et permet de sortir un excellent produit dont la qualité satisfera aussi bien un grand groupe qu’une start-up », démontre-t-il. « Une des grandes ambitions d’Adeneo-Embeded est de s’intégrer dans les écosystèmes taïwanais pour mieux approcher l’énorme marché japonais, notamment en matière de systèmes embarqués ».

Hubert Kilian

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