La consommation privée est devenue le premier moteur de l’économie allemande. Une bonne nouvelle pour les Européens, notamment les Français très investis outre-Rhin. Toutefois, pour gagner dans ce pays riche et voisin, les PME françaises doivent soigner leur préparation et accepter d’opérer sur le long terme.
En trois ans, l’Allemagne vient de prouver que les critiques qui lui étaient adressées étaient injustes. Vantée et enviée un temps pour son modèle économique performant fondé sur l’export, puis vilipendée pour ne pas favoriser la convergence économique en Europe, la fédération allemande a depuis hissé la consommation privée au premier rang en termes de contribution à la production nationale, explique Rolf Bürkl, économiste, spécialiste du marché allemand chez GfK, société qui fait référence outre-Rhin en matière de consommation.
Une transformation du modèle économique que Berlin n’hésite pas aujourd’hui à mettre en avant auprès de celles des capitales européennes qui fustigeaient auparavant son supposé égoïsme. « Le gouvernement allemand communique, en effet, beaucoup sur l’émergence de la consommation privée, son inflation modérée et l’instauration d’un salaire minimum dans le pays », constate Anne-Laure de Coincy, ministre conseillère pour les Affaires économiques à Berlin.
En outre, le président de l’Agence allemande pour l’emploi (BA), Frank-Jürgen Weise, vient d’annoncer à Nuremberg que son pays a atteint un plancher depuis 24 ans en matière de chômage en mai (2,76 millions de chômeurs). L’Allemagne comptait en 2014 42 millions d’actifs, d’après Eurostat. Le gouvernement s’attend à une croissance économique de 1,8 % cette année. Auprès d’une population, culturellement en perpétuelle recherche de confiance, la bonne santé de l’emploi et de l’économie a des conséquences positives sur le crédit à la consommation. Selon Paul Milcent, CEO de Commerz Finanz GmbH, à Munich, « les crédits à la consommation en 2014 ont augmenté de près de 7 % à 43,7 milliards d’euros ». Dans la patrie d’Audi, de BMW, de Mercedes et de Porsche, le citoyen privilégie la voiture et non pas l’alimentation comme en France.
Ainsi, selon Alexander Wirsig, président de Schmeck den Süden, société de marketing et de promotion des ventes de produits de l’agriculture et de la forêt en Bade-Wurtemberg, « seulement 10 % des revenus sont dépensés dans l’alimentation » dans ce land parmi les plus riches d’Allemagne. Outre-Rhin, le crédit à la consommation a surtout augmenté dans l’automobile, n’évoluant pas, en revanche, dans le commerce de détail, malgré une progression légère de la vente en ligne. Paul Milcent estime que le crédit à la consommation pourrait grimper dans le futur dans la bijouterie, l’optique et la mode. Le patron de Commerz Finanz (premier actionnaire BNP Paribas Personnel Finance ; deuxième actionnaire, Commerzbank) affirme ainsi qu’un tiers des Allemands utilise un crédit personnel pour une grande acquisition et un quart pour acheter une voiture. Et de préciser qu’un tiers des ménages dispose d’un revenu net supérieur à 2 500 euros et 7 % d’au moins 4 000 euros.
Toutefois, si la population active a toutes les raisons de se satisfaire de l’évolution actuelle, il n’en est pas de même du secteur privé. Quand on lui demande si ceux qui s’inquiètent de l’impact du nouveau salaire minium sur l’emploi et la compétitivité de l’économie, Rolf Bukl préfère argumenter sur toutes les réformes encore à réaliser. « Certains, remarque-t-il un brin sceptique, vont jusqu’à estimer à un million les pertes d’emplois à cause du salaire minimum à terme. La vérité est que personne ne peut le savoir. En revanche, le salaire minimum va avoir un impact positif sur la consommation à court terme ». Ainsi, l’économiste de l’Institut économique de la consommation (GfK) ne croit « pas que les pertes d’emplois seront si importantes ». Et de préciser qu’en Allemagne, « on entend dire que l’on vit sur les réformes audacieuses du passé et que l’on discute sur des réformes que l’on n’entreprend pas ». Il est, par exemple, « question de diminution des impôts, des taxes pour les ménages ». Il faudrait aussi « réduire les barrières administratives, la bureaucratie, investir dans les infrastructures ou l’éducation ».
Enfin, « il est nécessaire d’arrêter une autre tendance : aujourd’hui 15 % d’Allemands sont en danger de pauvreté. Le nombre de conflits sociaux augmente ». « Il faut mieux distribuer les fruits de la croissance », assure-t-il. Depuis plusieurs années, les salaires augmentent. « Dans mon domaine, l’alimentation, comme la population vieillit, je ne m’attends pas à un quelconque changement. En profiteront peut-être plus le textile, l’équipement et le voyage », livre François Marfaing, le responsable de d’aucy GmbH. Des propos corroborés par Paul Milcent, selon lequel ses compatriotes investiront dans les années à venir « dans les loisirs et le voyage, puis dans les rénovations de la maison et l’achat de voitures neuves ou d’occasion ». Il pense également qu’il faudra encore attendre un peu pour que l’instauration du salaire minimum se traduise totalement sur la consommation privée. Pour autant, l’Allemagne subit depuis des années un lent déclin démographique. « En théorie, si on ne fait rien, les actifs devraient diminuer de 30 % à l’horizon 2060 », rappelle Simon Ulmer, conseiller économique à l’ambassade de France à Berlin. La population pourrait aussi diminuer de 15 %. « En termes de consommation, c’est très négatif pour les achats d’habits pour enfants ou de jouets », commente Rolf Bürkl. Mais, selon lui, « comme la population vieillit, globalement il y a une balance avec la montée des dé-penses dans d’autres domaines ».
Une solution pour enrayer ce lent déclin est de recourir à la main-d’œuvre étrangère. « En 2013, détaille Anne-Laure de Coincy, le solde migratoire de l’Allemagne était de + 400 000 personnes, dont 80 % d’Europe, notamment des pays de l’Est, mais aussi d’Italie et d’Espagne ». Accueillir des travailleurs étrangers, notamment de l’Union européenne, en particulier des ménages jeunes avec enfants, peut être une solution. « On en parle. Mais comment la mettre en forme ? », s’interroge Rolf Burkl. Ce sont « des personnes éduquées, des travailleurs qualifiés que nous voulons attirer », relève-t-il encore. Une politique qui peut être « très mal reçue » dans les pays d’origine.
« Avec la baisse de la démographie, le gouvernement allemand est conscient qu’il faut travailler sur la productivité et donc investir aujourd’hui fortement dans l’innovation », souligne Anne-Laure de Coincy. L’Allemagne a accumulé un retard inquiétant en matière d’infrastructures, y compris dans le domaine social (écoles, hôpitaux…) « Quand je me déplace dans le pays, je laisse maintenant ma voiture au garage et me déplace en train ou en avion », souligne ainsi un homme d’affaires, déplorant « le mauvais état des routes ou les ponts qui ne fonctionnent plus dans le pays ». Présidé par Marcel Fratzscher, directeur de l’institut de conjoncture DIW, un comité de 21 experts a chiffré le déficit annuel de l’Allemagne en matière d’investissements publics et privés à 75 milliards d’euros par an.
Parmi ses recommandations, figurent une aide financière et logistique aux municipalités pour réaliser leurs investissements et une élévation du niveau de R et D à 3-3,5 % du produit intérieur brut. Une autre piste est de financer certains investissements dans le cadre du plan de 300 milliards d’euros que veut lancer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Enfin, à l’occasion du Conseil des ministres franco-allemand du 31 mars dernier, les deux ministres de l’Économie, Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron, ont signé une déclaration commune visant notamment à mettre en œuvre des projets transfrontaliers et à intensifier le marché intérieur de l’énergie et du numérique.
De notre envoyé spécial en Allemagne François Pargny
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Chiffres clés (2014)
Superficie (*) : 357 022 km²
Population (*) : 80,02 millions
Produit intérieur brut (PIB) (**) : 2 903,8 milliards d’euros
PIB par habitant (**) : 35 237 euros
Croissance économique (**) : 1,6 %
Inflation (**) : 0,8 %
Chômage (**) : 5 %
Exportations de biens (***) : 1134,8 milliards d’euros
Importations de biens (***) : 915 milliards d’euros
Exportations françaises (****) : 71,124 milliards d’euros
Importations françaises (****) : 85,561 milliards d’euros
Sources : (*) Eurostat, (**) Commission européenne,(***) GTA/GTIS, (****) Douanes françaises.