La fiesta est bel et bien terminée. Après des années d’euphorie immobilière, l’atterrissage de l’économie espagnole est plutôt brutal. Il est vrai que, selon la Fondation Robert Schuman, entre 1998 et 2005, les prix de l’immobilier résidentiel ont augmenté de 12,1% par an en Espagne, preuve qu’une bulle immobilière était en train de se former. De 1997 à 2007, la hausse des prix cumulée a été de 200 % !
La crise était d’autant plus attendue que l’Espagne avait accumulé tous les ingrédients du cocktail qui font les tourmentes les plus violentes : bétonnage côtier et construction anarchique, corruption, inflation des prix, taux d’intérêt à 93 % variables, etc.
Dès 2007, les signes annonciateurs étaient nets : la construction générait presque 19 % des défaillances d’entreprises. Depuis le début de l’année, la purge s’accélère : au premier trimestre 2008, les défaillances dans le BTP ont augmenté de 140 %, dans un contexte où les transactions se sont effondrées de 60 % et les prix souvent au-delà de 20 %. Début 2008, on comptait trois fois moins de mises en chantier qu’un an plus tôt.
La crise immobilière atteint aujourd’hui de plein fouet les grands promoteurs comme Colonial, dont les banques créancières ont pris le contrôle début 2008, ou encore Martinsa-Fadesa, encore premier promoteur résidentiel d’Europe en décembre 2007, qui s’est placé en cessation de paiement mi-juillet. Elle n’épargne pas non plus les petits promoteurs, alors que ceux-ci ont représenté jusqu’à 28 % de la construction de logements neufs dans une période récente.
L’immobilier contribuant à hauteur de 13 % au PIB espagnol et employant près de 2,7 millions de personnes, l’impact est important sur toute l’économie. L’envolée des prix du pétrole a accentué ses effets. Alors que la crise du BTP entraîne une chute des recettes de TVA, le gouvernement a annoncé un plan de relance de 10 milliards d’euros pour 2008 et de 8 milliards pour 2009, basé notamment sur des restitutions d’impôt. Mais il n’est pas prêt à faire davantage, une cure d’austérité étant prévue pour cette année et 2009. L’assureur crédit Euler Hermes pronostique qu’il faudra attendre 2010 pour revoir une embellie de l’immobilier ibérique.
Pour l’heure, tous les indicateurs macro-économiques sont au rouge.
En juin dernier, l’inflation a atteint 5,1 % sur un an, le taux le plus haut depuis au moins onze ans. Quant à la croissance du PIB, le chiffre officiel est désormais de 1,6 % pour 2008. Certains économistes, comme ceux de la banque Merrill Lynch, anticipent 1,8 % en 2009. Jamais depuis quinze ans, la croissance économique n’avait été aussi faible.
Quant au taux de chômage, il est actuellement proche des 10 % (9,63 % au premier trimestre) et le gouvernement le prévoit à 11 % en 2009. Le ministère du Travail et de l’Immigration prépare un plan d’incitation au retour volontaire des travailleurs immigrés se trouvant au chômage. Seules les banques sont gagnantes, après avoir financé 80 % du parc immobilier espagnol. Les impayés vont leur permettre de récupérer des dizaines de milliers d’appartements qu’elles pourront revendre avec une plus-value dans quelques années.
Pour autant, l’Espagne, deu xième client de la France à l’exportation (et source de son second excédent commercial par pays.) devrait rester un partenaire commercial essentiel pour la France. Le niveau de vie continue à progresser, même si de nombreux ménages souffrent de la crise actuelle : selon Eurostat, le PIB par habitant était de 23 400 euros en 2007 et devrait atteindre 24 200 euros cette année, plaçant l’Espagne et ses 45,3 millions d’habitants à la 11e place dans l’Union européenne. Entre 1998 et 2006, le pouvoir d’achat en Espagne a augmenté de presque 28 %, avec une inflation annuelle de seulement 2,9 % selon la Fondation Robert Schuman. Un gain que n’effacera pas une crise conjoncturelle.
De fait, trois grands secteurs restent toujours très porteurs pour les entreprises françaises, selon l’enquête que nous avons réalisée avec le concours de la Mission économique à Madrid :
> les TIC :
les technologies de l’information et des télécommunications sont épargnées par la conjoncture morose et devraient connaître une croissance de 4,6 % cette année. Or, dans ce secteur, de nombreuses entreprises françaises ayant un savoir-faire reconnu sont susceptibles de trouver des débouchés en Espagne. À l’exemple des dix PME innovantes et du centre grenoblois CEA-Leti qui ont rencontré, en mars dernier, à Madrid, les experts technologiques de Telefonica, l’opérateur historique espagnol ;
> l’agroalimentaire :
dans ce secteur si emblématique pour la France, celle-ci est le premier fournisseur de l’Espagne (elle détient notamment le quart du marché des produits d’épicerie), même si les pays hors Union européenne tendent à grignoter des parts. Le marché espagnol est marqué par deux tendances : le développement attendu des marques de distributeurs (MDD) et la montée en gamme. Les Français ont des atouts dans la restauration de haut niveau, avec des produits de qualité comme la volaille labellisée, ainsi que dans les épiceries fines ;
> le ferroviaire :
les infrastructures ferroviaires, secteur où la France a un réel savoir-faire, est une priorité des autorités de Madrid. Dans le cadre d’un plan 2005-2020, pas moins de 120 milliards d’euros seront consacrés au transport par chemin de fer. Comme l’indique la Mission économique à Madrid, « c’est l’ensemble du secteur des infrastructures ferroviaires, de la construction à la maintenance, en passant par l’aménagement et la signalisation, qui constitue un gisement d’opportunités pour les entrepreneurs français. Par ailleurs, il faut y ajouter que de nombreuses villes ont des projets de tramways et de développement du transport urbain. »
La liste n’est pas exhaustive et des opportunités demeurent même dans le secteur de la construction et du logement. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le second-oeuvre du bâtiment offrirait également des opportunités, que ce soit pour la rénovation de bâtiments anciens ou dans le développement des « logements de protection officielle » (VPO) destinés notamment aux jeunes, et qui sont une des priorités du gouvernement Zapatero. Il faut ajouter que les Espagnols sont également des aficionados du bricolage au point que le français Leroy Merlin compte pas moins de 41 magasins dans le pays.
Jean-François Tournoud