La coopération Sud-Sud est l’avenir de l’Afrique. Mais elle a bien du mal à se mettre en place, reconnaissait, lors du Forum international Afrique Développement (19-20 février, Casablanca), le président du Conseil économique, social et environnemental du Maroc, Nizar Baraka, en rappelant que le commerce régional « représente juste 15 % du total du continent, alors que ce chiffre s’élève à 75 % dans l’Union européenne ».
Pour cette manifestation, organisée pour la troisième fois par Attijariwafa Bank – la première fois avec l’agence publique Maroc Export – le thème retenu était « le temps d’investir ». Une invitation forte à l’adresse des 1 700 opérateurs, institutionnels et hommes d’affaires de 18 pays, ayant fait le déplacement pour assister aux séances plénières, ateliers techniques et rencontres B to B.
« Nous avons une ambition commune majeure : créer le label Made in Africa, le développer et contribuer à l’intégrer dans la chaîne de valeur du commerce mondial », indiquait ainsi la directrice générale de Maroc Export, Zahra Maafiri, après que le P-dg d’Attijariwafa Bank, Mohamed El Kettani, en ouverture du forum, ait engagé les entreprises participantes à être « audacieuses » et à fonder « des partenariats porteurs d’avenir ».
Sans doute l’initiateur du forum avait-il tout lieu de se satisfaire des premiers résultats des rencontres. « Après un jour et demi, nous avons déjà franchi notre objectif initial de 4 500 rendez-vous organisés », s’est ainsi réjoui le patron du groupe bancaire – installé dans une dizaine de pays francophones – qui a cité comme secteurs et comme pays « forts » : industries manufacturières, BTP et services ; Sénégal, Cameroun et Maroc.
La présidente du patronat gabonais demande que les frontières soient « libéralisées »
Trois pays – Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal – ont fait l’objet de présentations de leurs plans nationaux par des ministres et des hauts fonctionnaires, visant à les doter à terme d’une économie émergente. Les interventions semblent avoir suscité autant d’intérêt que d’interrogation, voire de scepticisme. Ainsi, Mamadou Tiéni Konaté, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Mali s’est étonné du « manque de véritable vision régionale » de ces plans : Plan national de développement (PND) de Côte d’Ivoire, Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) et Plan Sénégal émergent (PSE).
Lors de la séance d’ouverture du forum, Madeleine Berre, qui préside la Confédération patronale gabonaise (CPG), avait déploré l’engagement insuffisant des gouvernements à lever les barrières en matière de circulation des biens et des personnes, bien que leurs pays appartiennent à des organisations régionales comme l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) et la Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale ».
« L’Afrique a remporté un succès en matière d’intégration juridique, avec l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires) qui concerne 17 pays africains. Mais ce n’est pas le cas sur le plan économique. Or, nous ne pourrons jamais réussir, si les frontières ne sont pas libéralisées », a prévenu la patronne de la CPG.
Pour sa part, le ministre marocain du Commerce et de l’industrie, Moulay Hafid Elalamy, a proposé des pistes de réflexion et d’action pour l’avenir : recherche « des gisements de complémentarités » et « des écosystèmes pour créer des chaînes de valeur ajoutée », notamment « en valorisant nous-mêmes nos matières premières », faciliter l’émergence du secteur privé, améliorer l’environnement des affaires et accroître l’intégration économique, par exemple, en signant des accords régionaux en matière énergétique.
« D’ici 2035, il faudrait 3 200 milliards de dollars d’investissements pour mettre l’Afrique à niveau dans le domaine énergétique », selon Mamadou Igor Diarra, ministre de l’Économie et des finances du Mali. En outre, alors que 55 % de la population n’a pas accès à l’eau, la croissance démographique sera de + 118 % et celle de la demande d’énergie de 93 %. « Nous avons tout pour réduire la fracture énergétique, du pétrole à l’uranium en passant par les énergies solaire et éolienne. Et nous avons également réussi dans le cadre de la sous-région, qui me paraît bien adapté, de beaux barrages autour du fleuve Sénégal », a encore convenu le ministre malien.
Mais l’État a des financements limités, voire des capacités humaines insuffisantes pour gérer des grands projets d’infrastructures. En Côte d’Ivoire, un producteur indépendant (IP) d’électricité, Ciprel, filiale du groupe Eranove, a pu se développer en recourant, dans un premier temps, à des bailleurs de fonds internationaux (Bad, Boad, AFD, Proparco), et, dans un second temps,grâce à l’expérience acquise en quinze ans et des cash-flows stables, aux banques commerciales. « Aujourd’hui, a détaillé son directeur général, Bernard Kouassi N’Guessan, nous représentons 40 % de la production nationale. Notre capacité sera portée à 550 mégawatts après la mise en place d’une cinquième unité. Et en 20 ans, quelque 660 millions de dollars auront ainsi été investis ».
Mobiliser l’épargne salariale
« C’est sans doute à nous de prendre les premiers le risque, de façon à ce que les banques acceptent plus facilement de prendre ensuite le relais », a commenté Isabelle van Grunderbeeck, chef de bureau de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour la zone Uemoa, basée à Dakar. Mais les bailleurs de fonds ne pourront jamais combler un déficit entre les besoins et les ressources disponibles dans les infrastructures, estimé à 50 milliards de dollars par la Banque mondiale. « Dans l’énergie en Afrique de l’Ouest, nous engageons un peu plus d’un milliard d’euros par an et notre portefeuille atteint 1,5 milliard. C’est peu et il faut donc que ce soit complété par d’autres ressources », a précisé la représentante de la BEI.
Une solution peut être de recourir aux places financières, comme Casa Finance City (CFC). « Un de nos fonds d’investissement vient ainsi de décider d’investir dans l’électricité en Côte d’Ivoire pour 200 millions de dollars », s’est donc félicité Saïd Ibrahimi, directeur général de CFC. Pour Germain Gauthier, directeur financier de Vinci, les prêts et financements internationaux, « ce n’est pas suffisant », il faut aussi regarder du côté des fonds propres, qui « pèsent trop ». L’objectif de retour sur investissement demandé « est trop élevé, de l’ordre de 22-23 % ». Et le rendement ne devrait « dépasser 15 %, ce qui permettrait d’offrir un prix raisonnable aux particuliers ».
Président du fonds d’investissement PAI Partners, Lionel Zinsou a dressé un constat sans complaisance. « Dans l’énergie, hors Maroc, l’Afrique est en panne », a-t-il jugé. Dans les télécommunications, c’est plutôt réussi, « car il y a des modes de financement privé. Mais c’est l’exception ». Quelques solutions peuvent être trouvées, comme dans le cas de l’autoroute à péage de Dakar financé en PPP (partenariat privé-public). Or, « en 25-30 ans, nous devons répondre à un problème que l’on n’a jamais eu à gérer, à savoir ajouter au milliard d’individus sur le continent un autre milliard d’urbains en une génération, ce qui va nécessiter de nouvelles solutions, notamment dans la finance », assène le président franco-béninois de PAI Partners.
Pour Lionel Zinsou, il faut mobiliser l’épargne africaine. « Les prêts des bailleurs de fonds ne sont jamais à la hauteur des enjeux. En Afrique, a-t-il énuméré, il y a tous les ans 300 milliards de dollars d’épargne salariale, 500 milliards dans des fonds de pension, auxquels s’ajoutent malgré tout 500 milliards en réserves de change ». D’après lui, il convient « d’aller vite, c’est-à-dire de faire en dix ans ce que les Européens ont fait en cent », tout en trouvant des solutions adaptées et sophistiquées, car, pour le président de PAI Partners, « le problème n’est pas la transformation des capitaux ». Il faut, soulignait-il encore, « de l’épargne et la prêter plus longuement que dans les livres de comptes des banques ».
François Pargny
Envoyé spécial à Casablanca