Le Moci. Quelle place occupe aujourd’hui les écoles françaises de commerce sur le marché international de la formation ?
Jean-Michel Huet. La bonne nouvelle, c’est que les écoles de management françaises sont plutôt bien cotées à l’international : une vingtaine figurent par exemple dans le top 100 des meilleurs établissements européens en management du Financial Times. Et depuis 15 ans, il est évident qu’elles ont connu un véritable mouvement d’internationalisation, avec une polarisation du marché qui devrait se poursuivre. À l’avenir, certaines écoles – les plus nombreu-ses – auront une dimension nationale, voire locale, qui correspond au sens historique des écoles de commerce créées pour former ce que l’on appelle aujourd’hui le middle management. Une dizaine, 15 au maximum, aura une envergure européenne. Et une poignée d’entre elles – autour de 5 – aura une capacité à être dans la compétition internationale. Être un acteur international comprend plusieurs dimensions : figurer dans les classements, avoir des accréditations et pour cela, savoir se distinguer à l’international sur trois types de marché : celui des étudiants, celui de la formation continue et celui des professeurs et des chercheurs. Ce positionnement exige une certaine taille critique – dont disposent aujourd’hui 7 à 8 écoles françaises – que l’on s’accorde à fixer à partir d’un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros par an. Ce chiffre est corrélé au nombre d’étudiants et on a vu ces dernières années un certain nombre d’établissements gonfler leurs promotions pour assécher le marché français et rendre plus difficile les recrutements des autres écoles.
Le Moci. Leur stratégie internationale pose la question du modèle économique des business schools, dont vous envisagez la refonte.
J.-M. H. Aller à l’international coûte cher car il faut construire de nouveaux campus, recruter des étudiants étrangers, attirer des professeurs et chercheurs de haut rang. Les écoles françaises sont de ce point de vue à la croisée des chemins car elles sont exposées à la concurrence internationale d’universités britanniques, américaines, indiennes, chinoises voire brésiliennes qui peuvent se prévaloir de moyens beaucoup plus conséquents que les leurs. Harvard dispose par exemple de 3 milliards de dollars sur son compte en banque, alors que le chiffre d’affaires d’HEC atteint seulement 110 millions d’euros. Se pose également la question de la gouvernance des écoles françaises. Historiquement, leurs « actionnaires » étaient les Chambres de commerce et d’industrie (CCI), sans qui elles n’existeraient pas. Mais aujourd’hui, les CCI n’ont plus les moyens de financer leur développement, ce sont des actionnaires dormants. Pour rester dans la course internationale, les business schools françaises, vont devoir lever des fonds. Développer le modèle de fondation est une première piste, en sollicitant les entreprises ou les diplômés. Or cela est peu fait en France car les conseils d’administration sont trustés par les CCI et associent insuffisamment les diplômés. Un rapprochement avec les universités pour créer des pôles d’excellence dans lesquels l’État pourrait injecter de l’argent et qui généreraient des économies d’échelle pourrait aussi être envisagé.
Le Moci. Le rapport insiste également sur le potentiel que représente l’Afrique pour les écoles françaises.
J.-M. H. Ce continent est en effet en pleine explosion démographique, avec une progression de la « classe moyenne ». Alors que d’ici 2040, la population active de l’Europe va stagner, que celle de la Chine et celle de l’Inde vont diminuer, ce sont les Africains qui seront les plus nombreux à former demain. D’autant qu’il y a une vraie demande des classes moyennes, prêtent à se sacrifier pour donner une très bonne formation à leurs enfants et pour qui une formation dispensée sur place est toujours moins chère que d’envoyer les enfants en Europe ou ailleurs. En termes d’enseignement supérieur, la France dispose en Afrique d’une solide réputation au même titre que les États-Unis, le Royaume-Uni ou le Brésil. Il y a donc un vrai gisement de croissance pour les écoles françaises, qui sont pourtant encore peu présentes – HEC un peu, Sciences Po également. Il ne s’agit pas juste d’implanter un campus à Dakar ou Casablanca, mais de démarcher les entreprises et les administrations qui ont des besoins en formation. Des projets sont dans les cartons, mais les écoles françaises sont déjà en retard, contrairement à la Chine ou l’Arabie Saoudite, pays qui se sont montrés actifs sur ce marché.
Propos recueillis par Gaëlle Ginibrière
*Jean-Michel Huet est également co-auteur d’un rapport de l’Institut Montaigne sur les business schools parus en novembre 2014 (www.institutmontaigne.org).