C’est un « non » poli mais ferme qu’ont opposé en chœur le Quai d’Orsay et Bercy à la Cour des comptes qui recommandait, dans un référé daté du 3 septembre , de nouvelles réductions d’effectifs dans le réseau des services économiques à l’étranger et leur recentrage sur une « trentaine de services économiques de dimension régionale » afin, selon elle, de poursuivre les réformes engagées en 2002 mais à ce jour « inachevées ».
Dans une réponse commune à la Cour datée du 3 novembre, Laurent Fabius, Michel Sapin et Emmanuel Macron, balayent d’entrée toute hypothèse de réduction d’effectifs dans les réseaux économiques à l’étranger dont ils partagent la tutelle : « les services économiques constituent le réseau d’État à l’étranger ayant consenti, ces dernières années, les efforts les plus importants, en proportion de sa taille, en termes de réduction d’effectifs (-19 % entre 2008 et 2012), et de rationalisation des dépenses (-25 % des crédits de fonctionnement courant entre 2009 et 2014) », écrivent-ils. « Depuis fin 2010, le nombre d’implantations à l’étranger a diminué de 18 % et des redéploiements ont été réalisés vers les zones prioritaires pour notre économie ».
De même, pas question d’en revoir la cartographie : « le Gouvernement ne souhaite pas revenir sur les grands équilibres de la cartographie des services économiques, qu’il considère comme un actif stratégique pour son action économique extérieur ». Les trois ministres citent notamment la mise en place d’une « diplomatie globale », mais aussi la priorité donnée à une reconquête de « l’influence » et du poids de la France dans le commerce mondial. Trois catégories de pays qui justifient une présence sont précisés par les ministres : ceux qui présentent « une importance particulière dans l’économie mondiale », ceux « avec lesquels la France a développé des relations économiques étroites pour des raisons historiques ou politiques », et enfin ceux « dont les perspectives de croissance des importations d’ici une dizaine d’années nous imposent de construire dès maintenant une stratégie d’influence auprès des décideurs économiques locaux ».
La Cour veut « tirer toutes les conséquences du transfert des activités commerciales à Ubifrance »
Dans son référé, rendu public hier 12 novembre, avec les réponses des ministres concernés, la Cour des comptes constatait que malgré les « réformes successives engagées depuis 2002, la France se caractérise par l’existence d’un vaste réseau, étendu bien au-delà des principales places financières et des grands centres de décision, consacré aux seules questions économiques régaliennes et distinct du réseau diplomatique ». Elle poursuivait en estimant qu’ « il convient dorénavant de tirer toutes les conséquences du transfert des activités commerciales à Ubifrance (ndlr : effectué entre 2008 et 2010), en clarifiant les missions de ce réseau et en le recentrant sur les zones à forts enjeux ».
D’après les chiffres cités par la Cour, le réseau des services économiques compte actuellement 127 implantations dans 108 pays et représente le deuxième réseau de l’État après celui du ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI). Or, pointe-t-elle notamment, « les pays vers lesquels la France a exporté moins de 500 MEur en 2012, soit 2 % des exportations totales, concentrent 131 agents, soit 20 % des effectifs du réseau ». La Cour cite 49 destinations qui concentrent 25 % des effectifs, à l’instar de Dacca (Bangladesh), Panama, Lima (Pérou), Astana (Kazakhstan), Colombo (Sri Lanka)…
Trois recommandations étaient faites par la Cour à l’issue d’une note de 6 pages : 1/ « Réduire le nombre d’implantations à partir de critères explicites et objectifs, concertés dans un cadre interministériel »; 2/ « Recentrer le réseau sur une trentaine de services économiques de dimension régionale ou nationale lorsque le pays le justifie »; 3/ » Développer de nouvelles formes de représentations allégées concertées entre le ministère des affaires étrangères et du développement international et les ministères économiques et financiers ».
En ne retenant aucune d’entre elles, le Quai d’Orsay et Bercy, avec l’aval du chef du gouvernement Manuel Valls, réaffirment donc une posture volontariste de l’État en matière de diplomatie économique. Ils ménagent par la même occasion de hauts fonctionnaires qui ont, pour beaucoup, encore du mal à digérer d’avoir perdu la main sur le Commerce extérieur au profit du Quai d’Orsay.
A cet égard, les ministres prennent soin de replacer le débat « dans le cadre d’une réflexion interministérielle (…) sur le dimensionnement global de l’ensemble des réseaux de l’État à l’étranger », et notamment les orientations posées par le Cimap (Comité interministériel de modernisation de l’action publique) du 18 décembre 2013** . Mais il s’agit « d’adaptation », pas de réduction…
Les recommandations de la Cour des comptes ainsi que les réponses des ministres ont été transmis aux Commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Christine Gilguy
*Celui d’Ubifrance, qui a repris les missions commerciales autrefois assurées par ces services, compte 75 bureaux dans 56 pays (avant la fusion avec l’Afii).
Pour en savoir plus :
-Le référé de la Cour des comptes et la réponse des trois ministres sont consultables en ligne. Cliquez ICI– Le relevé de décision du Cimap du 18 décembre. Cliquez ICI
Pour prolonger :
Relire notamment :
–Commerce extérieur : nouvel écosystème public mode d’emploi