La décision du président François Hollande de suspendre « jusqu’en novembre » le contrat des deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral à la Russie, intervenue hier, 3 septembre, en fin de journée, illustre, s’il était besoin, la gravité de la situation en Ukraine et les menaces que fait peser sur la sécurité et la paix en Europe le jeu trouble de Moscou. Avec un risque très élevé de stopper tout courant d’affaires avec la Russie si Moscou ne satisfait pas aux attentes des occidentaux. C’est l’alerte orange.
Annoncée à la veille d’un Sommet de crise de l’Otan, et au moment où l’Union européenne discute d’un nouveau train de sanctions économiques – attendues pour demain 5 septembre- la décision présidentielle marque en effet une rupture avec le discours officiel qui prévalait jusqu’à présent à Paris, malgré les pressions américaines et européennes pour annuler ce contrat.
Encore récemment, le 25 août, lors d’une table-ronde ouverte au public organisée par le ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI), en marge de la Conférence des ambassadeurs, Laurent Fabius avait redit la position française dans ce dossier. A l’international, « il y a une règle : le contrat a été signé et payé », il doit être livré… sauf « circonstances exceptionnelles ». Ces dernières sont donc réunies. Le ministre avait ajouté : « nous sommes en phase trois », allusion aux dernières mesures de sanctions adoptées par l’UE fin juillet.
Le nouveau train de mesures en discussion à Bruxelles pourrait aggraver les sanctions prises fin juillet sur quatre secteurs : l’accès aux marchés financiers européens pour la Russie, industries de défense et technologies sensibles (notamment l’énergie) ainsi que les biens à double usage civil et militaire. La liste des sanctions européennes, qui frappent tout autant des personnalités que des entreprises russes et ukrainiennes et restreignent les transaction dans les secteurs cités plus haut est consultable sur le site Internet de l’UE, europa.eu. Il s’ajoute à l’arsenal américain, sur lequel se sont alignés des pays comme le Canada ou l’Australie.
Signe que dans les milieux d’affaires français, l’inquiétude est à son comble : le bureau de Philippe Huberdeau, sous-directeur des affaires économiques internationales à la DEEI (Direction des entreprises et de l’économie internationale) du quai d’Orsay, en première ligne pour répondre aux entreprises, ne désemplit pas selon un proche du dossier au quai d’Orsay. En tête des sujets : la Russie et l’Iran. « Les entreprises ont beaucoup plus d’échanges avec nous, mais aussi avec Bercy sur ces sujets, et le directeur politique concerné chez nous a aujourd’hui une bien meilleure compréhension des impacts économiques d’une décision d’embargo », poursuit notre interlocuteur.
Toutefois, on n’en n’est pas encore à la rupture totale. Ubifrance, par exemple, maintient pour l’instant ses rencontres d’affaires France-Russie à Ekaterinbourg, où elle doit emmener une quarantaine de sociétés françaises du 6 au 8 octobre. Signe que sur place comme en France, les milieux d’affaires français misent sur un apaisement de la situation.
Les enjeux économiques et commerciaux sont très importants pour la France, qui a vu ses exportations vers la Russie chuter de plus de 13 % au premier semestre, à l’instar de l’Allemagne qui accuse un recul de plus de 15 %. La Russie est sont 11ème client à l’export. D’où la prudence des autorités. Sans compter les interruptions de contrats ou les ruptures de négociations commerciales, qui inquiètent au plus haut point les entreprises, il y a les grands contrats stratégiques, qui impliquent de grandes entreprises et leurs sous-traitants.
Le contrat des deux Mistral, négociée par Nicolas Sarkozy en 2011 dans le cadre d’un partenariat que l’ancien président voulait « stratégique », dont le premier devait être livré en octobre 2014 et le second l’an prochain, représente un enjeu de près d’un milliard de dollars et inquiète les chantiers de Saint-Nazaire.
Mais la facture risque d’être salée non seulement pour les entreprises concernées, mais aussi pour l’Etat qui a fourni sa garantie, via Coface, à de nombreuses transactions : fin 2013, Coface avait garanti pour près de 3 milliards d’euros de contrats commerciaux avec la Russie selon des informations que nous avions publiées en mars dernier.
Christine Gilguy