Climat « anxiogène », taux de change, financement des exportations, BPI… A quelques jours de la présentation des résultats du commerce extérieur, Frédéric Sanchez,
président du directoire du groupe Fives et président de la Commission Commerce International, Monnaies et Systèmes monétaires du Medef, nous livre en exclusivité son point de vue sur la conjoncture et les orientations de Bercy en matière de soutiens aux exportations.
Compétitivité : « Je partage les orientations de Louis Gallois »
Le Moci. Qu’est ce qui pèse le plus, actuellement, sur les industriels exportateurs : les problèmes de financement, les problèmes de taux de change … ?
Frédéric Sanchez : A mon sens, c’est d’abord l’ambiance anxiogène qui pèse sur les salariés français. Je suis personnellement frappé de voir à quel point, dans mon propre
groupe, Fives, qui pourtant a fait en 2012 sa nouvelle meilleure année de tous les temps grâce à l’export (85 % de son chiffre d’affaires) et profite à plein de la forte croissance des pays émergents, les gens sont très inquiets. C’est l’environnement, le climat actuel lié à la crise en France et dans la zone euro qui en sont la cause.
Tout le monde est d’accord sur les problèmes de compétitivité dont souffre l’industrie française et je partage les orientations de Louis Gallois sur ce sujet : c’est un problème
global et il faut s’y atteler. Si je reprends l’exemple de Fives, notre groupe souffre moins que certaines autres industries. Car nous produisons des biens d’équipement et nous offrons à nos clients de véritables différenciations techniques.
Ainsi les salaires ne sont pas forcément déterminants dans le prix de vente de nos produits –ils représentent à peine 10 % d’une usine clés en mains-, et 15 à 20 % d’un équipement isolé. La valeur ajoutée se trouve surtout dans la conception et l’ingéniosité des solutions techniques mises en œuvre, ainsi que dans le service après-vente.
Grâce à ces atouts nous décrochons des marchés partout dans le monde, dans les pays émergents mais aussi développés comme les Etats-Unis et le Japon. Et pourtant, malgré ces
résultats et ces performances, les salariés français sont inquiets. Et quand vous n’avez pas le moral, cela pèse sur tout : le dynamisme, l’envie d’aller de l’avant.
Change : « La volatilité des taux de change est le pire des maux actuellement pour un industriel »
Le Moci. Lors du colloque Coface du 22 janvier où vous interveniez, vous avez cité le taux de change comme une préoccupation très forte actuellement
Frédéric Sanchez : La volatilité des taux de change est le pire des maux actuellement pour un industriel. Quand brutalement le dollar décroche, le yen baisse, il est très
difficile de travailler. A titre d’exemple, chez Fives, quand nous signons un contrat, nous nous engageons le plus souvent sur un prix ferme, plusieurs mois parfois avant sa date de mise en vigueur, dans de nombreux cas, libellé en devises.
Lorsque les taux de change sont relativement stables, nous pouvons prendre des couvertures à des prix raisonnables. Mais dans le contexte actuel, ce n’est pas toujours possible du fait de la durée qui s’écoule entre la date de signature d’un contrat et sa date de mise en vigueur, et cela passe par l’achat d’options de change très coûteuses. Nous subissons, et cela accroît nos incertitudes et peut aller jusqu’à affecter nos marges de manière significative.
Le Moci. Et le taux de change élevé de l’euro par rapport au dollar ?
Frédéric Sanchez : C’est un autre problème. Un euro à plus d’1,30 dollar est une aberration, qui ne reflète ni les réalités économiques ni la parité de pouvoir d’achat des
monnaies. Nous en souffrons moins, chez Fives, parce que nous sommes sur des biens d’investissement, très techniques et que nos concurrents se trouvent principalement en zone euro (allemands) et au Japon dont les entreprises jusqu’à peu pâtissaient d’un yen fort. Mais cela pénalise toutes les industries qui n’ont pas ce positionnement.
Pourquoi la Banque centrale européenne maintient-elle des taux directeurs à 1 % alors que les banques centrales américaine et japonaise sont à 0 ? Il ne faudrait pas que l’Europe
commette les mêmes erreurs sur les taux de change que sur la réciprocité des échanges ! Le Medef a soulevé le problème de la réciprocité dans les échanges commerciaux dès 2006, et ce principe fait son chemin aujourd’hui au sein de la Commission après que celle-ci ait ouvert à tout va le marché européen au nom de l’intérêt du consommateur. La même prise de conscience doit avoir lieu sur le taux de change.
Soutiens publics : « Ce mécanisme de préteur direct fait partie de nos propositions «
Le Moci. La question des financements est-elle une préoccupation trois ans
après la crise financière ?
Frédéric Sanchez : Globalement, les choses vont beaucoup mieux. Les banques reviennent, on trouve des financements, y compris en dollars, alors qu’il y a quelques mois, c’était beaucoup plus difficile et impossible lorsqu’il s’agissait de financer des opérations en dollars. La récente décision du Comité de Bâle d’assouplir les règles prudentielles, et d’élargir au crédit export le périmètre des collatéraux mobilisables auprès de la BCE, pour lequel le Medef milite depuis quatre ans devrait contribuer à améliorer encore la situation.
La question des financements reste toutefois entière dans deux types de cas : le premier cas est celui des grands contrats d’exportation sur des durées très longues et libellés en dollars ; le deuxième cas est celui des petits contrats, de moins de 1 000 000 euros. Nous avons remis des propositions en octobre dernier à la ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, nous constatons que les mesures sur lesquelles travaille Bercy vont dans le bon sens.
Le Moci. Quels types de problèmes se posent concrètement dans les cas que vous évoquez ?
Frédéric Sanchez : Pour les grands contrats, les banques européennes ont, dans leur ensemble, baissé la voilure, certaines se sont retirées des financements en dollars et de certains segments du marché comme l’aéronautique et le maritime.
La réponse qu’essaie d’apporter Bercy est double : d’abord la mise en place d’une garantie par l’Etat directement ou indirectement via la Coface de 100 % du montant que les investisseurs accepteraient de prêter aux banques pour refinancer les crédits exports (Ndlr : la garantie rehaussée dont on attend les décrets d’application) et d’autre part, le financeur public direct, crée sur un schéma de type BFCE (Ndlr : Banque française du commerce extérieur), qui permettrait à l’Etat de financer, en complément des banques, sur des durées longues, des exportations, comme cela se fait en particulier au Japon.
Ce mécanisme de préteur direct fait partie de nos propositions et je me réjouis que Nicole Bricq soutienne publiquement ce projet. C’est d’autant plus important que cela intéresse des secteurs où la France possède des points forts comme le nucléaire, l’aéronautique, les transports, les télécoms et la mécanique.
Pour les exportations de petit montant et à court et moyen terme, les exportateurs éprouvent des difficultés croissantes à se faire financer, car ce type de financement n’est pas rentable pour leurs partenaires banquiers dont la couverture géographique et les priorités sectorielles ont été par ailleurs très révisées.
De fait, les frais internes des banques pour monter de tels financements, coûts des équipes, prix de l’achat de l’argent sur les marchés financiers, taux, sont trop élevés par rapport aux prix facturés et de deux à trois fois inférieurs en Allemagne et en France à ce qu’ils sont en Grande-Bretagne… C’est un vrai problème sur lequel nous avons alerté la ministre. Il n’y a pour l’instant pas de réponse du côté des banques.
BPI : « Une décision doit être prise pour désigner l’entrée principale »
Le Moci. La BPI (Banque publique d’investissement) doit elle jouer un rôle de « guichet unique » du financement export ?
Frédéric Sanchez : Pour le moment, et même si elle a un volet export, il n’est pas prévu que la BPI finance les opérations d’exportation. Mais quand nous disons, à la Commission Commerce International du Medef, que nous souhaitons un « guichet unique », cela signifie que nous pensons qu’une décision doit être prise pour désigner l’entrée principale pour ce type de produit, Oséo ou Coface.
Le Moci. Une sorte de fusion entre Coface et Oséo ?
Frédéric Sanchez : Nous aimons les deux, et nous savons que les compétences de chacune ne peuvent se démultiplier mais nous serions très heureux qu’un vrai guichet unique d’accès
aux différents produits de ces deux institutions soit créé. De façon, par exemple, à ce qu’Oséo ne soit pas cantonnée uniquement aux produits de financement de haut de bilan.
Nous plaidons pour ce guichet unique d’autant plus que ça pérenniserait l’export, en permettant un accompagnement des entreprises suivi dans la durée, sans changer d’interlocuteur ou de
bureau, avec des solutions aux différentes étapes de leur développement. Et cela rationaliserait des outils qui sont parfois redondants comme par exemple pour le financement de la prospection ou la garantie des investissements.
Propos
recueillis par Christine Gilguy
Pour prolonger :
Lire dans la Lettre confidentielle de cette semaine : Crédit export : une « verbriefungsgarantie » à la française pour les grands contrats