« Ce serait super ! » s’exclame ce directeur financier d’un grand groupe industriel, par ailleurs spécialiste des risques et financements à l’export. L’ex BFCE, banque publique créée en 1946 pour financer les opérations de commerce extérieur, avait été privatisée en 1996 (sous le gouvernement Balladur), reprise par le Crédit national, cette fusion donnant lieux à la naissance de Natixis SA, elle-même reprise, en 1998, par Banques Populaires… Une éternité.
Mais son souvenir ressurgit à l’occasion des préparatifs de la création de la future Banque publique d’investissement (BPI), qui battent leur plein. Pour le volet international, l’Inspection générale des finances multiplie les consultations auprès des principaux acteurs des financements exports, qu’il s’agisse des entreprises, des fédérations industrielles ou de leurs banquiers. Pas plus tard que la semaine prochaine, une nouvelle réunion de travail doit avoir lieu au Medef.
Les réductions d’effectifs atteignent plus de 10 % dans le crédit export
L’enjeu : trouver ce que pourrait bien faire de plus la BPI en dehors de proposer à un même guichet des prestations qui existent déjà – ceux gérés par Coface (assurance crédit publique pour les contrats d’exportation, assurance prospection pour les PME, entre autres) et Oséo (financements des besoins d’exploitation ou des projets de développement à l’international). Et voir si les industriels –notamment les PME et ETI- en ont besoin. C’est que, au-delà des effets d’annonce que Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, a multiplié ces dernières semaines, les choses ne sont pas si simples.
Certes, le retrait des banques françaises de ce créneau n’est pas une vue de l’esprit. Deux d’entre elles, Société Générale et BNP Paribas, n’avaient d’ailleurs pas fait mystère, au début de l’année, de leur intention de réduire la voilure dans les domaines du financement export –notamment pour l’aéronautique, où elles excellaient-, affirmant qu’elles donneraient la priorité aux entreprises françaises. Mais le mouvement est le même chez leurs consoeurs, plus discrètes. « De manière globale, les banques ont entamé des programmes de delevaraging, ce qui signifie qu’elles réduisent leur consommation de liquidité pour réduire leur taille de bilan, constate un bon connaisseur des milieux bancaires. Les métiers du crédit export sont plus touchés que les autres ». Le même estime à au moins 10 % le volume de réduction d’effectifs en cours dans les services de Banque d’investissement des principales banques françaises actives sur ces marchés –Société Générale, BNP Paribas, Calyon, Natixis – et elles sont probablement plus accentuées encore dans les métiers des financements export qui leurs sont rattachés.
En cause, deux facteurs clés : la réforme des normes prudentielles des banques dites de Bâle III, qui augmente le coût en fonds propres des crédits et garanties qu’elles octroient, et, depuis 2011, les difficultés que rencontrent les banques françaises à se refinancer en dollars à cause de la crise de la zone Euro. « Les crédits export se font à environ 50 % en dollars, il est clair qu’il y a des réductions de capacités de financement» observe notre interlocuteur.
Ce climat rend de plus en plus difficile l’accès à des solutions de financements long terme pour les contrats export des entreprises exportatrices, notamment les PME et ETI. « A moins de 5 millions d’euros, difficile d’intéresser une banque au montage d’un crédit acheteur », confirme notre interlocuteur. Le travail d’instruction et de documentation sur de tels crédits est lourd mais la rémunération de la banque est proportionnellement moindre que sur des montants plus importants. Et pour les très gros contrats (300 millions et plus), ce sont les capacités qui manquent.
Le problème de compétitivité est aussi…industriel
Mais ce problème de capacité des banques n’est pas le seul. Il y a aussi la baisse du nombre de contrats gagnés par les entreprises françaises. Et là, on touche au point sensible de la compétitivité, soigneusement occulté dans les discours publics officiels. « Il y a deux facteurs qui expliquent que des contrats ne se sont pas faits ces derniers mois, analyse ainsi Henri d’Ambrières, Global Head Origination – Export & Trade Financechez Calyon. Un problème de compétitivité de l’offre industrielle : certains dossiers ne sont pas passés tout simplement parce que l’offre française n’était pas compétitive en terme de prix face aux offres concurrentes ; ça a été le cas pour le chantier naval STX, par exemple (ndlr : un contrat pour deux paquebots de croisière annulé en avril par un croisiériste norvégien au profit d’une offre italienne). Et dans d’autres cas, l’aéronautique ou l’énergie, c’étaient les offres financières portées par les banques françaises qui n’étaient pas compétitives à cause de coûts de refinancement plus élevés que ceux proposés par les Américains ou les Japonais».
L’écart de taux d’intérêt atteindrait, selon les cas, de 50 à 100 points de base (0,5 à 1 %) entre les conditions proposées par les banques françaises pour un crédit acheteur et celles proposées par leurs consoeurs américaines ou japonaises sur une même affaire. Un écart trop élevé pour des financements à long terme (2 ans minimum et jusqu’à 15 ans et plus) pour qu’il ne pèse pas sur la décision finale. La Fédération bancaire européenne (European Banking Association), dont Henri d’Ambrières préside actuellement le groupe de travail sur le crédit export, a d’ailleurs fait une note en mars 2012 à ce sujet aux pouvoirs publics européens, pointant ces problèmes de refinancement qui touchent tout le secteur bancaire européen.
Sans résoudre le problème de la compétitivité-prix des offres industrielles lorsqu’elle se pose, c’est dans ces cas où l’offre financière est moins attractive que celle de la concurrence que la BPI pourrait apporter sa pierre en France.
Et c’est là que l’on retrouve l’ancienne BFCE : celle-ci, entre autres, cofinançait les crédits export avec les banques commerciales, dans le cadre de montage où elle prenait en charge les échéances les plus longues, les banques commerciales prenant les plus courtes. Une option qui aurait d’ailleurs la préférence des banques françaises.
D’autres options sont toutefois sur la table, les pratiques des pays concurrents étant regardées à la loupe par Bercy : la prise en charge directe, sans banque commerciale, des crédits export (modèle de l’Eximbank américaine, qui peut octroyer des prêts directement aux clients des exportateurs américains), le refinancement direct des banques commerciales octroyant des crédits export (modèle suédois pratiqué par la SEK), l’octroi de garanties de refinancement (pratiqué en Allemagne, aux Pays Bas et en Suisse) ou encore des financements obligataires garantis par l’assureur-crédit public – des « Coface Bonds » en quelque sorte-, inspirés d’une pratique américaine (l’US Eximbank a ainsi garanti une émission obligataire d’Emirates visant à financer l’acquisition d’appareils Boeing). Dans ce contexte, le fait que le modèle allemand soit souvent cité par Nicole Bricq n’étonne pas : « Les Allemands ont à peu près tout les instruments à leur disposition grâce à la KfW » confirme Henri d’Ambrières.
Christine Gilguy