Les grands projets pourraient être une pierre angulaire d’une certaine renaissance de la France en Afrique centrale. Non pas qu’elle y soit devenue absente – la proximité culturelle, une communauté d’affaires française importante ou l’intense activité de l’Agence française de développement (AFD) sont des atouts incontestables – mais sa part de marché, dans une région qui connaîtra cette année une croissance économique enviable de 4,3 %, s’érode. Et ce, depuis déjà une dizaine d’années.
Pire, indiquait Pascal Maccioni (notre photo), chef du Service économique régional, lors d’un atelier d’information d’Ubifrance, le 22 octobre, « la Chine nous a dépassés ». Ainsi, la part de marché de la France en Afrique centrale (hors hydrocarbures) est-elle tombée de 33,7 % en 2000 à 15,4 % en 2012, pendant que celle de la Chine explosait de 2 % à 16,4 %. Il est vrai que les autres nations européennes subissent la même déconvenue, puisque avec une part de 19,7 %, elles sont aujourd’hui devancées par l’ensemble des autres émergents (Turquie, Arabie Saoudite, Corée du Sud…), avec 19,8 %.
Tous les pays d’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Guinée Équatoriale, Cameroun, Centrafrique, Congo, République démocratique du Congo/RDC) sont, à des degrés divers, producteurs d’hydrocarbures, ce qui leur assure des revenus réguliers. Et s’ils sont souvent classés parmi les plus mauvais élèves en matière d’environnement des affaires, observe Gérald Petit, directeur d’Ubifrance pour l’Afrique centrale, ils ont aussi « des bons points », comme un niveau d’endettement, un déficit budgétaire et une inflation raisonnables et des ressources naturelles abondantes (agricoles, forestières, minières…).
Une « Vision » pour émerger au Gabon et au Cameroun
Les deux poids lourds – hors Guinée Équatoriale, petit pays, émirat pétrolier – le Gabon et le Cameroun développent des programmes visant à parvenir à l’émergence. Ainsi, le plan stratégique Gabon émergent (PSGE) est la déclinaison pratique de la Vision 2025 (lire le Guide Business Gabon du 13 mars 2013) établie par la volonté du président Ali Bongo. Quelque 21,5 milliards d’investissements sont prévus entre 2012 et 2016 et les secteurs prioritaires sont l’agriculture, la pêche et l’écotourisme – appelés « Gabon Vert » – le pétrole et les mines – « Gabon industriel » – les services financiers, les technologies de l’information et de la communication (TIC), la santé, les transports et l’éducation – « Gabon des services ».
S’agissant du Cameroun, le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), qui s’inscrit dans le cadre la Vision 2035 du pays (lire le Guide Business Cameroun du 17 octobre 2013), fixe la réalisation de projets structurants dans une série de secteurs prioritaires : énergie, transport, environnement, TIC, développement urbain et habitat. Au Cameroun, la Chine est devenue le premier fournisseur, avec une part de marché de 32 %, devançant ainsi la France, avec 26 % en 2012. Ce n’est pas le cas au Gabon, où l’Hexagone domine encore largement, avec une part de 43 % (sources GTA/Douanes).
Des zones spéciales près de Libreville et Port-Gentil
A 27 kilomètres à l’est de Libreville, l’État gabonais et le groupe singapourien Olam ont conclu un accord de partenariat privé-public (PPP), représentant un investissement global de 183 millions d’euros, pour développer une zone économique spéciale (ZES) à Nkok. « A la fin du premier trimestre, 65 investisseurs, représentant entre un et deux milliards de dollars, auraient pris des positions et 80 % des 226 hectares de la zone industrielle seraient vendus à des entreprises asiatiques ou américaines, mais aucune société française n’a encore marqué son intérêt pour cette zone, qui offre des avantages fiscaux, comme l’exonération d’impôts entre 10 et 25 ans et la remise de 50 % sur les tarifs énergétiques », détaille Gérald Petit. Les secteurs représentés seraient le bois, la métallurgie et le BTP entre autres.
Autre grand projet à Libreville, dénommé Champ triomphal, le réaménagement de Port Môle (une marina moderne, un centre de conférences, des commerces, des bureaux, des hôtels…), qui vient d’être lancé, doit commencer à être opérationnel en novembre 2014, d’après l’Agence nationale des grands travaux (ANGT), une structure de gestion créée ex-nihilo et confiée à l’américain Bechtel « qui assure un suivi assez professionnel tant pour la préparation et l’exécution des chantiers », observe Didier Lespinas, président de la section Gabon des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF). Plus au sud, près de Port Gentil, la ZES de Mandji doit accueillir une unité pétrochimique de l’ordre de deux milliards de dollars d’investissement.
Un port en eau profonde à Kribi dans deux ans
Au sud du Cameroun, à Kribi, un port en eau profonde devrait être opérationnel dans deux ans, selon les professionnels. La digue est déjà réalisée à 90 %, le terminal à conteneurs à 79 %, le terminal pétrolier à environ 50 %. Reste surtout à réaliser les connexions routières ou ferroviaires avec le port. Le groupe GDF-Suez, actionnaire à 75 % de l’unité de liquéfaction de gaz Cameroon LNG a, quant à lui, prévu d’investir jusqu’à 3,8 milliards d’euros dans cette usine. Des routes sont aussi en construction, « comme les liaisons régionales Sangmelina-Ouesso vers le Congo et Bamenda-Enugu vers le Nigeria », se félicite encore Alain Blaise Batongue, secrétaire exécutif du Groupement inter-professionnel du Cameroun (Gicam).
« Tous ces grands projets sont générateurs d’opportunités et des PME peuvent très bien y participer comme sous-traitants », estime Gérald Petit. Dans le BTP, par exemple, au Gabon la croissance du secteur devrait passer de 15,5 % en 2013 à 20,7 % entre 2014 et 2016. Au Cameroun, dont le développement économique est entravé par un déficit chronique en matière électrique, 500 millions d’euros en moyenne devraient être investis pour remédier au manque d’énergie entre 2014 et 2020.
François Pargny