La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a publié son rapport annuel sur le transport maritime mondial 2012, « Review of maritime transport 2012 ». Trois tendances fortes se dégagent : la montée en puissance des préoccupations environnementales dans le secteur, le dynamisme croissant des trafics régionaux et l’augmentation de la flotte mondiale.
Toujours très attendue par les observateurs du commerce mondial, cette étude très complète fait le point sur les évolutions du trafic maritime, de la flotte marchande, des marchés des frets et des réglementations, ainsi que sur le développement portuaire. Les préoccupations environnementales sont le thème mis en avant cette année avec un chapitre consacré aux mesures prises en juillet 2011 par l’Organisation maritime internationale (Omi) pour diminuer la consommation des navires et réduire les émissions. Elles devraient entrer en application à partir de janvier 2013. « L’étude fait référence par la qualité et la quantité des données et leur suivi des données (le Cnuced publie un rapport chaque année depuis 1968, NDLR) qui permet de mettre les évolutions en perspective et de dégager des tendances », confirme Anne Gallais-Bouchet, chargée d’études à l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar) à qui Le Moci a demandé de dégager des constats majeurs pour le marché de la conteneurisation.
Le poids croissant des trafics régionaux
La croissance mondiale de l’ensemble des marchés mondiaux du transport, de l’activité portuaire et des activités logistiques a été de 4 % en 2011. « Même si cette croissance est ralentie, les trafics sont en progression pour la seconde année consécutive. Les volumes échangés par conteneurs continuent de se redresser après la crise avec un taux de croissance intéressant sur les routes secondaires notamment », analyse la spécialiste.
Quelque 151 millions d’EVP ont voyagé en 2011, un chiffre en augmentation de 7,1 %. « Il est intéressant de constater que les deux tiers de ce trafic environ se font en dehors des trois grands trades que sont l’Asie-Europe, l’Asie-Côte ouest des États-Unis et le transatlantique, ce qui prouve le dynamisme des échanges régionaux, notamment intra-asiatique ou entre le Mexique et les États-Unis ». Ce sont les importations des pays en développement qui tirent désormais une bonne partie de la croissance du conteneur. « Les chiffres montrent aussi que le transport conteneurisé continue de gagner des parts de marché par rapport au transport « conventionnel », ce qui s’explique par le côté « pratique » pour la chaîne logistique de la manutention des conteneurs lors des ruptures de charges », poursuit la spécialiste (voir tableau ci-dessus). Les produits alimentaires, les matériaux de construction, les machines et même de plus en plus de déchets sont désormais conteneurisés.
L’augmentation de la flotte mondiale
Autre tendance forte, celle de l’augmentation de la flotte mondiale qui a été de 9,9 % entre janvier 2011 et janvier 2012 avec une croissance de 6,26 % de la capacité de conteneurisation qui a atteint 15 406 610 EVP. Des porte-conteneurs de plus en plus gigantesques puisque la taille moyenne des navires mis sur le marché en 2011 est de 34 % plus grande qu’en 2010 (une tendance qui se poursuit avec un nouveau record, le CMA-GGM Marco Polo de 16 020 EVP, mis en service en novembre 2012). « Ces porte-conteneurs géants sont mis en service sur les trois principaux trades, mais le rapport souligne que la taille moyenne des porte-conteneurs n’est « que » de 3 074 EVP. Cela illustre le mouvement de concentration du trafic sur les grandes routes entre les grands ports et l’intense activité de redistribution par feeders qui lui est associé, sur des petits bâtiments qui sont d’ailleurs souvent encore gréés pour pallier le manque d’infrastructures dans certains ports secondaires, notamment en Afrique ».
Hausse des coûts et consolidation
Le rapport 2012 souligne également l’augmentation des coûts d’exploitation liés pour une grande part à celle du prix du fuel de soute (630 dollars la tonne en mars 2011) avec deux réponse à cette augmentation des coûts opérationnels : le développement du « slow steaming » c’est-à-dire la réduction de la vitesse des navires (les conteneurs ont ralenti de 13 % en moyenne en 2011 avec des vitesses qui peuvent descendre jusqu’à 15 nœuds) et la stratégie de regroupement des armateurs. En point d’orgue de ces « alliances », la fusion de Grand Alliance et de The New World Alliance qui a abouti début février 2012 à la création du G6 (Hapag-Lloyd, NYK, OOCL, APL, HMM) dans la foulée du rapprochement entre CMA-CGM et MSC sur les liaisons entre l’Asie et l’Europe du Nord. « La réduction de la vitesse des navires aboutit à un transit time de 10 semaines au lieu de 8 pour un trajet entre l’Asie et l’Europe du Nord. Cela ne pose cependant pas de problème majeur à la chaîne logistique », estime Anne Gallais-Bouchet. Le rapport de la Cnuced montre également la poursuite de la consolidation et de la restructuration du marché (les trois leaders Maersk, SMC et CMA-CGM concentrent 30 % des capacités) et fait état des difficultés financières que rencontrent les compagnies. « Il fait également le point sur les capacités qui restent excédentaires malgré les efforts des armateurs et pointe la faiblesse des taux de fret qui est la conséquence de cet excès de l’offre sur la demande ». Le prix moyen d’un conteneur équivalent 20 pieds (EVP) entre Shanghai et l’Europe du Nord a chuté de 1 789 dollars en 2010 à 881 dollars en 2011 et celui d’un conteneur de 40 pieds entre Shanghai et la côte ouest des États-Unis de 2 308 à 1 667 dollars sur la même période.
Transition vers les « green ships »
C’est dans ce contexte difficile pour les armements que s’apprêtent à entrer en vigueur, à partir du 1er janvier 2013, les nouvelles mesures prises par l’Organisation maritime internationale (Omi) dans le cadre de la convention Marpol qui lutte contre l’ensemble des pollutions marines. « Les nouveaux navires devront respecter l’EEDI (l’Energy Efficiency Design Index) qui fixe des valeurs maximales d’émission de CO2 par classe de navire », indique la spécialiste de l’Isemar.
Le rapport rappelle aussi le calendrier de l’adoption des nouvelles régulations sur l’« efficacité énergétique » des navires en revenant sur l’arsenal de solutions qui permettront aux navires d’être plus « propres » (motorisation plus efficace, filtres, design des coques, fuel plus « léger », recours au gaz liquéfié…).
Cette transition vers les « green ships » s’accompagne de la mise en place de nouvelles zones à émissions de NOX et SOX contrôlées en Amérique du Nord et en Europe (les ECAs pour Emission Control Areas). « Ces mesures vont renchérir les coûts d’exploitation au risque d’un report modal sur la route dans certaines régions en ce qui concerne notamment le cabotage européen ou les autoroutes de la mer », craint Anne Gallais-Bouchet. Le rapport fait état des réflexions de l’Omi sur la mise en place de permis et de quotas de pollution à l’instar de ce qui a été fait dans l’aérien. Le transport maritime international face à la pollution atmosphérique est décidément bien un enjeu stratégique du XXIe siècle. Dans sa « Review of maritime transport 2012 », la Cnuced le rappelle fermement aux acteurs de l’économie maritime et à leurs clients chargeurs.
Philippe Desfilhes