Le Kazakhstan ne se réduit pas à Astana et Almaty. Dans les régions (oblasts), les programmes de développement commencent à irriguer les économies locales. Comme à Oust-Kamenogorsk, capitale d’un oblast situé aux portes de la Sibérie, historiquement dédiée à l’industrie minière. Reportage.
L’histoire d’Oust-Kamenogorsk, capitale de l’oblast (région administrative) de l’Est du Kazakhstan, situé à la frontière de la Russie et de la Chine, et non loin de la Mongolie, est intimement liée à l’extraction des richesses du sous-sol : zinc, béryllium, titane, or, cuivre… En ce mois de novembre 2011, les premières neiges viennent de tomber sur les bouleaux de la steppe environnante, nous signalant qu’ici c’est déjà la Sibérie. L’hiver, le thermomètre descend à – 40° C.
Lorsqu’on entre en ville, rebaptisée du nom kazakh d’Oskemen depuis l’indépendance, tous les styles de construction des diverses périodes soviétiques défilent sous nos yeux : petits immeubles jaunes stalinien, khrouchtchovki à quatre étages, barres de béton brejnéviennes et de la perestroïka. Oust-Kamenogorsk doit son développement urbain aux métaux non ferreux que recèle son sous-sol et à son industrie métallurgique.
Comme toujours au Kazakhstan, les villes se sont construites autour des gisements de minerais. D’où leur style très fonctionnel. D’où que l’on soit, on y voit les hautes cheminées de l’usine Kazzinc, dont le principal actionnaire est le groupe basé en Suisse Glencore, crachant jour et nuit une épaisse fumée blanche.
Juste à côté de ce fleuron de l’économie kazakhstanaise se trouvent les 142 hectares du site de l’usine métallurgique d’Oulba, construite en 1949 dans le cadre du programme nucléaire de l’URSS. D’Oulba sortent divers produits à base d’uranium, de tantale, de béryllium et de nobium. C’est là qu’Areva va fabriquer, avec la société nationale Kazatomprom, du combustible pour les centrales nucléaires asiatiques.
Avec un tel capital industriel, on se dit que l’oblastde l’Est aura de la peine à échapper à son sort. « Nous le devons. Même si nous héritons des spécialisations régionales qui caractérisaient l’économie soviétique. Mais cette région est aussi rurale et nous voulons notamment développer l’agriculture », explique l’akim (gouverneur) de l’oblast, Berdybek Saparbaïev. C’est l’occasion pour nous de faire une vingtaine de kilomètres vers le Nord pour rencontrer Adil Jaksimbaïev, co-propriétaire de Vostokmoloko, une laiterie industrielle. Nous le retrouvons dans le village d’Ukrainka, dans une laiterie construite en 1929 et qu’il a rachetée en 1999.
Une partie des opérations se fait encore à la main : coupe des livres de beurre, étiquetage d’un fromage à tartiner… « Notre problème, c’est l’approvisionnement en lait. Nous avons dû créer notre propre ferme de 1 500 vaches », explique M. Jaksimbaïev. Pour augmenter sa production, Vostokmoloko a bénéficié du soutien de l’akimat, conformément aux programmes d’État destinés à l’amélioration du secteur agricole. Construction d’infrastructures publiques, prise en charge de la moitié des intérêts des prêts (sur les 12 % proposés par la banque) pour l’achat de vaches tchèques et la construction d’une nouvelle usine pour lait UHT, et enfin subvention de 35 % sur le prix du lait commercialisé.
Cette action de l’akimat se retrouve dans les autres secteurs. « Nous voulons aussi asseoir notre stratégie de diversification sur nos bases en faisant en sorte que notre oblast ne se limite pas à produire des matières premières. À vrai dire, il y avait ici un fort secteur de machinerie », raconte Yermek Kosherbaïev, le vice-akim. Dans ce cadre, deux zones industrielles et deux parcs technologiques sont en cours de création. Pour commencer, le haut fonctionnaire nous suggère de visiter le laboratoire Irgetas, de l’université technique d’État.
Le laboratoire a été créé fin 2007 après que l’université a remporté un appel d’offres dans le cadre du
programme d’État 2015 de développement de la science au Kazakhstan. Un million d’euros pour l’équiper de microscopes ultraperformants destinés à « faire de la recherche fondamentale sur les matériaux de notre sous-sol et explorer les pistes vers la production de nouveaux matériaux », explique Sergueï Misevra, ingénieur chercheur du laboratoire. Irgetas travaille aussi avec le secteur privé. Il conduit par exemple une recherche financée par Kazzinc pour découvrir si de l’or est présent dans les nano-minéraux et comment l’en extraire.
Pour ce qui est du secteur de la machinerie, nous nous rendons à l’usine de valves. Elle a été construite voilà 36 ans. Il y a trois ans, elle s’est fait certifier ISO. Elle s’est également mise aux normes API (American Petroleum Institute), l’an passé, grâce au soutien financier d’ENI, la major pétrolière italienne à qui elle fournit ses produits sur le champ gazier de Karachaganak, à l’Ouest du Kazakhstan. « C’est ENI qui a payé pour la certification API », explique Erzhan Ashimov, le vice-président de l’entreprise. Et pour ENI, c’était l’occasion de satisfaire aux exigences légales kazakhstanaises en termes de « contenu local ».
L’aide de l’akimat est aussi décisive, selon M. Ashimov, pour ce qui est des deux étapes de modernisation en cours. Là encore sous forme de prise en charge de deux tiers des 12 % d’intérêts proposés par une banque privée. La première étape se termine : 15 millions d’euros d’investissements pour se doter de technologies de soudure plus performantes, achetées en République tchèque et en Italie. La seconde consistera à s’équiper afin de produire des valves rondes destinées à l’industrie gazière.
Nous terminons notre tour par l’usine d’assemblage automobile Azia Avto. La semaine précédente, elle a signé avec le russe Avtovaz, partenaire stratégique de Renault depuis 2008, un accord pour la construction d’une nouvelle usine destinée à assembler, souder et peindre 100 000 Lada par an. Pour l’heure, Azia Avto se contente d’assembler 7 500 véhicules au Kazakhstan grâce à des partenariats avec Skoda, Chevrolet, Kia et General Motors. « Cela représente 40 % du marché national », affirme Yerzhan Mandïev, le jeune président de la société.
Avec l’Union douanière entre le Kazakhstan, la Russie et la Biélorussie, le coût des voitures étrangères est devenu très élevé. Les voitures produites dans l’Union devraient donc inonder le marché national. De 19 000 véhicules « made in Kazakhstan » par an, il pourrait passer à 100 000 selon M. Mandïev. « Nous souhaitons prendre 20 % de ce marché, le reste de notre production sera écoulé en Sibérie, dans l’Extrême-Orient russe et en Asie centrale », raconte-t-il. Dans le cas d’Azia Avto, l’aide régionale est passée par SPK Ertis, une holding publique régionale, créée en 2008. Chaque oblast a sa SPK dont le but est de soutenir les PME et d’encourager la diversification et la modernisation de l’économie. C’est elle qui finance les infrastructures nécessaires à la construction de la nouvelle usine, notamment en apportant une voie ferrée sur le site. En échange, elle entrera à hauteur de 25 % au capital de la nouvelle entité.
R. G.