Dans un contexte de mondialisation, les établissements d’enseignement supérieur, business schools et universités, rivalisent d’accords pour démontrer leur excellence à l’international. À coup de fusions, de multiples passerelles et de rapprochement avec des campus étrangers.
Le monde de l’enseignement supérieur est lancé dans une course à l’excellence. Objectif : attirer les meilleurs étudiants du monde dans de vastes pôles pluridisciplinaires sur le modèle de Harvard ou de Standford.
Ainsi, plusieurs universités françaises ont engagé des processus de fusion après l’électrochoc que le classement de Shanghai a provoqué dans le landernau académique (voir article plus loin). C’est par exemple la démarche qui lie celles de Nancy I, Nancy II, de Metz et l’Institut national polytechnique de Lorraine pour créer au 1er janvier 2012 l’Université de Lorraine (UDL). « En termes de visibilité, l’UDL devrait nous permettre d’entrer dans le classement de Shanghai. Il sera aussi plus simple de nous présenter comme la business school de l’université de Lorraine à l’étranger, où le modèle des écoles de management totalement indépendantes est difficilement explicable », avance Jérôme Caby, directeur général de l’ICN Business School.
Lorsqu’elle est née du rapprochement de l’ESC Lille et du Ceram en 2009, l’ambition de la nouvelle entité Skema était d’atteindre une taille critique. « Nous évoluons dans un secteur complètement global et nous avions besoin de cette taille critique pour peser sur notre environnement et avoir une légitimité d’action. Former plus de 6 000 étudiants est suffisant pour compter dans le monde des business schools », avance aujourd’hui Alice Guilhon, directrice générale de Skema.
En 2009 toujours, les différentes universités de Strasbourg ont fusionné pour devenir l’Unistra (Université de Strasbourg). Une démarche qui a permis à l’Unistra de se doter d’une identité et d’une stratégie unique, des atouts pour bénéficier de la dotation du Grand emprunt lancé par l’État en 2010. En effet, Strasbroug a été sélectionnée pour devenir l’un des pôles pluridsiciplinaires d’excellence capable de rivaliser avec les meilleures universités mondiales. « La fusion, antérieure à la démarche d’Idex [appel à projets Initiative d’excellence mis en place par le gouvernement, voir « Financement » et « Glossaire » plus loin], est née d’une volonté de revenir aux fondamentaux de l’université, à savoir la pluridisciplinarité, qui caractérise la plupart des grandes universités mondiales, à quelques exceptions près comme le MIT », souligne Alain Beretz, président de l’université de Strasbourg. Déjà l’EM Strasbourg, la business school de l’Unistra, propose avec ses partenaires des doubles diplômes de business and law, de marketing du sport, un master double compétence ingénieur-manager… « Travailler entre collègues de la même université facilite le dialogue », convient Isabelle Barth, directrice de l’école de management strasbourgeoise.
Les passerelles entre formations totalement différentes tendent à se multiplier. Après s’être livrés à une course aux accords d’échanges puis de doubles diplômes avec des universités étrangères, les établissements de management multiplient désormais les partenariats avec les écoles d’ingénieurs, d’art, de design, de sciences politiques…
Autre lauréat des Idex, Paris Sciences Lettres (PSL) ambitionne de devenir une université de recherche pluridisciplinaire de rang mondial. Elle regroupe sous une gouvernance commune 13 partenaires, dont l’université Paris Dauphine, spécialisée dans les sciences de l’organisation. « PSL est omniscience, même si nous souhaitons nous renforcer dans certaines disciplines comme le droit », se félicite Laurent Batsch, président de l’université Paris Dauphine. « Beaucoup de grandes innovations se font au carrefour des disciplines. Au-delà des doubles diplômes, c’est la personnalité des étudiants qui ont envie de les suivre qui attire les recruteurs : la capacité à considérer la position de l’autre, la curiosité sont des compétences professionnelles », soutient Laurent Batsch.
Les recruteurs sont friands de ces profils. C’est ce qu’observe Jérôme Caby, directeur général d’ICN Business School à Nancy. L’ICN propose, au sein de l’alliance Artem (Art, Technologie et Management) créée en 1999 avec l’Ecole des mines de Nancy et l’Ecole supérieure nationale d’art de Nancy, des ateliers à des groupes d’étudiants des trois établissements sur des thèmes comme l’innovation, l’e-business… « Si les recruteurs viennent nous voir, c’est aussi pour cela : ils recherchent des profils innovants, qui ont déjà l’habitude de travailler dans des environnements et au sein d’équipes pluridisciplinaires », souligne-t-il. C’est en effet en embauchant des profils capables d’innover, de lancer de nouveaux produits que les entreprises peuvent escompter gagner de nouveaux marchés en France et l’étranger.
Dans la quête d’excellence des établissements, les partenariats noués à l’étranger sont stratégiques. « Ils revêtent trois dimensions. Ils participent à l’internationalisation des cursus via des séjours universitaires. Ils contribuent à l’image de l’école car travailler avec des partenaires réputés dans leur pays et au-delà est une marque de reconnaissance. Ils permettent aussi de monter des projets que l’on ne pourrait faire seul comme l’Executive MBA proposé avec Mannheim, en Allemagne, dans lequel nous développons une approche bi-nationale du business », commente Gérard Guibilato, directeur des partenariats stratégiques et des relations internationales de l’Essec.
En cultivant les réseaux internationaux de son établissement, le directeur de l’IAE (Institut d’administration des entreprises) d’Aix-en-Provence, Patrick Rousseau, veille à offrir une visibilité nationale et internationale à ses diplômes. « Compte tenu de notre taille relativement limitée, nous sommes dans une logique de réseaux en France et à l’étranger. Cette démarche passe par les accréditations et les classements internationaux. Le système engendre un cercle vertueux : plus grande est votre reconnaissance internationale, meilleure est la qualité du partenaire », reconnaît-il. L’Essec compte 140 partenaires à travers le monde, qui n’ont pas tous le même poids, depuis ceux avec lesquels elle réalise de simples échanges d’étudiants, ceux avec qui elle conclut des accords d’échanges d’étudiants et de professeurs, de recherche et de formations communes et les partenaires stratégiques avec lesquels l’école bâtit sur le long terme.
C’est dans ce troisième cercle que l’Essec vient de fonder avec quatre universités étrangères – Mannheim en Allemagne, Tuck aux États-Unis, Keio au Japon et Fudan en Chine – un Council on Business and Society, sorte de think tank sur les questions économiques et sociales. « Il s’agit de travailler ensemble à approfondir des questions qui sont à l’interface entre le monde des affaires et la société en apportant une vision multilatérale sur des problèmes d’ordre planétaire, une vision que l’on souhaite porter à la connaissance des chefs d’entreprise, des leaders économiques et politiques lors de forums organisés annuellement », précise Gérard Guibilato.
Skema, à travers ses différents campus – Lille, Paris, Sophia-Antipolis, Casablanca au Maroc, Raleigh aux États-Unis et Suzhou en Chine –, tient également à cultiver l’approche multiculturelle des enjeux économiques et de l’entreprise de ses étudiants.
« Par le biais des cours multisites réalisés par visioconférences, les étudiants apprennent que les termes de management ou de crise n’ont pas la même signification sur tous les continents, ils peuvent comparer leur point de vue à ceux de leurs camarades d’autres nationalités », explique Alice Guilhon. Ces différents campus sont aussi un tremplin pour les étudiants qui souhaitent démarrer leur carrière à l’étranger. « Et quand, au bout de deux à trois ans, ils reviennent en France, ce qui est le cas de 30 % d’entre eux, leur expertise internationale irrigue les entreprises françaises qui les recrutent. Ces jeunes professionnels connaissent les marchés étrangers, maîtrisent la culture française, en un mot sont prêts à l’emploi », poursuit-elle. De son côté, l’EM Strasbourg, qui dispense un master franco-allemand, reçoit beaucoup de demandes d’entreprises comptant sur les compétences de ses diplômés pour se développer sur le marché allemand.
Gaëlle Ginibrière
Le classement de Shanghai a eu un effet « big bang » sur l’université
Lors de sa première publication en 2003, le classement de Shanghai a secoué le monde académique. Depuis, son évaluation annuelle de quelque 500 universités dans le monde fait la une des journaux et sa publication est toujours largement commentée par les universitaires, les étudiants ou leurs parents… Malgré les critiques dont il fait l’objet en France – critères privilégiant la taille des établissements ou les sciences « dures » –, ce classement est devenu une sorte de mètre étalon de l’enseignement supérieur. Avec un même objectif pour les universités ou les grandes écoles françaises : exister au plan international afin de disputer à leurs concurrentes les meilleurs étudiants nationaux et étrangers et assurer à leurs propres élèves une expertise internationale. Le classement de Shanghai, avec le gage de notoriété internationale qu’il offre, est même devenu l’un des buts visés par les politiques publiques cherchant à doter la France de campus universitaires compétitifs au plan mondial.
G. G.
Innovation et international : un mariage qui répond à la demande des entreprises
Le déploiement à l’international des établissements n’est pas qu’un marchepied pour les jeunes diplômés. À l’ICN, qui vient d’ouvrir son troisième bureau de représentation à l’étranger pour recruter les meilleurs étudiants, Jérôme Caby, son directeur général, le reconnaît volontiers : « Les PME, des délégations de la CCI peuvent s’appuyer sur notre représentant local lorsqu’elles souhaitent s’ouvrir de nouveaux marchés à l’étranger ». Les recruteurs bénéficient aussi de diplômés très à la pointe.
« L’innovation est d’abord fondée sur nos laboratoires de recherche », estime Isabelle Barth, directrice de l’EM de Strasbourg.
Jeune diplômée de Grenoble École de management, qui a fait du management de la technologie sa ligne directrice, Marie Descat vient d’être embauchée comme digital learning manager, une fonction à la croisée de la formation et des nouvelles technologies. « Ce profil que je me suis forgé grâce à l’école et à un apprentissage sur un projet 2.0 est peu répandu. Il a intéressé plusieurs entreprises qui lancent de nouveaux projets dans ce domaine », se réjouit-elle.
G. G.