S’il est logique que de grands pays agricoles comme le Brésil ou les États-Unis passent devant la France dans les exportations agroalimentaires mondiales, on n’attend ni les Pays-Bas ni l’Allemagne sur ce terrain. Champions de la logistique et de la commercialisation, ces deux pays ont su cultiver leurs spécificités.
Quand, le 7 février dernier, Pierre Lellouche a dévoilé le déficit commercial de la France en 2011 (69,6 milliards d’euros) – moins grave selon le secrétaire d’État au Commerce extérieur que ce qu’il avait prévu pendant l’été (75 milliards) – il n’a pas manqué aussi de souligner l’excédent record de la filière agroalimentaire (11,9 milliards).
Une satisfaction sans doute. Mais depuis, d’autres chiffres sont tombés et notamment ceux du Brésil qui vient de ravir à la France le rang de quatrième exportateur mondial dans l’agroalimentaire. De façon concrète, les livraisons à l’étranger du Brésil sont passées de 47,43 milliards d’euros en 2010 à 57,04 milliards en 2011, pendant que celles de la France ne sont montées que de 49,1 milliards à 56,04 milliards. La France demeure, néanmoins, numéro quatre pour les exportations de produits transformés.
Que le plus grand pays de l’hémisphère sud (8,5 millions de km2) dépasse la France (670 922 km2) n’est pas, tout compte fait, une surprise. Le Brésil est l’un des premiers fournisseurs au monde de sucre, tabac, soja, millet, manioc, café, cacao, viande bovine, mais aussi d’éthanol, de haricots et d’agrumes. De même pour les États-Unis (9,6 millions de km2), première puissance économique de la planète, qui, au tournant du deuxième millénaire, a été la première nation agricole à ravir la première place à la France.
Une forte composante de réexportation
Plus étonnant en revanche – car on ne les attend pas a priori sur le terrain agricole et agroalimentaire – est que les Pays-Bas, puis l’Allemagne aient conquis les deuxième et troisième places, derrière les États-Unis. Il est vrai que l’Allemagne, également gros importateur de produits agroalimentaires, présente un important déficit commercial (13,6 milliards en 2011) dans ce secteur. Quant aux Pays-Bas, il compose une plateforme de réexportation très efficace, avec l’aéroport de Schiphol, près d’Amsterdam, et surtout le port de Rotterdam.
Lors d’une réunion au ministère de l’Agriculture, le 13 février, le Néerlandais George van der Hilst, conseil export à la Mission économique Ubifrance à Amsterdam, répondant au Moci, estimait que la réexportation concernait 30 à 40 % du total des produits agroalimentaires vendus à l’étranger. « Ces produits, précisait-il, prennent la direction du Royaume-Uni, des pays scandinaves, des États baltes et de la Russie. »
Des champions de la logistique
Dans l’acheminement des produits, de base ou transformés, la logistique joue un rôle considérable. Les Pays-Bas produisent des tomates, mais en exportent encore plus. Mieux, les prix des tomates exportées des Pays-Bas sont jusqu’à huit fois supérieurs à ceux des tomates produites sur place, ce qui laisse penser que les marges des commerçants néerlandais sur ces produits sont très élevées. Agrumes, jus d’orange et de pamplemousse, thé, café, cacao sont encore réexportées via le grand port néerlandais.
L’Allemagne utilise aussi parfaitement le port de Rotterdam. Le soja du Brésil ou des États-Unis parvenu sur place est ensuite acheminé jusqu’en Allemagne pour finalement rejoindre la France, l’Italie ou la Pologne. Le port de Hambourg est aussi une base logistique de premier plan pour les opérateurs outre-Rhin. À l’image de Bordeaux au XVIIIe siècle, la ville hanséatique est reliée aux régions tropicales. Ce n’est donc par un hasard si « 10 % du cacao produit dans le monde est transformé en chocolat en Allemagne, soit deux fois plus qu’en France », assure Philippe Vinçon, conseiller agricole au Service économique régional à Berlin. Ce dernier mentionne encore l’atout des aéroports. « Il y en a un très grand à Paris. L’Allemagne, État fédéral, en compte toute une série de dimension internationale, comme Berlin, Düsseldorf, Francfort, Munich ou encore Leipzig », détaille-t-il. Par ailleurs, « comme les Allemands produisent des gros volumes – à la différence des Français qui privilégient les biens chers – ils n’hésitent pas à investir dans la transformation et à se doter d’outils industriels développés et modernes », observe encore Philippe Vinçon.
Le « hard discount » tire la production de masse allemande
Ouverts sur l’extérieur, les Allemands travaillent aussi en « escadre ». Les discounters Aldi et Lidl, par exemple, vendent des produits allemands à l’étranger. « Ils ont commencé à s’implanter en France et s’étendent maintenant dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni et la Suisse », commente François Collache, directeur du secteur Vin à Sopexa.
Une illustration parfaite de cette stratégie de conquête est donnée par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, FranceAgriMer, qui a réalisé une étude comparative entre la France et l’Allemagne en 2010. « Les entrées de farine de blé tendre en provenance d’Allemagne ne cessent de progresser ces dernières années », écrivent les auteurs. Et de continuer, en imputant ce succès au « développement spectaculaire » des magasins de hard discount dans l’Hexagone (plus de 2 300 magasins Lidl et Aldi recensés en 2010 et plus de 50 ouvertures par an ces dernières années). D’après FranceAgriMer, « ces magasins offrent de la farine à prix cassés par rapport à ceux pratiqués par la concurrence française » et, « à l’inverse, la France perd des parts de marché en Allemagne ».
Quand ils s’implantent à l’étranger, les Carrefour ou autres grands distributeurs hexagonaux offrent, contrairement aux Allemands, une majorité de produits locaux. Il est vrai que Français et Allemands ne sont pas, de façon générale, sur les mêmes créneaux. Outre-Rhin, l’objectif est de fabriquer et de couvrir la planète des produits « sans goût et sans odeur ». C’est évidemment impensable dans la patrie de la gastronomie où, à côté de produits de base comme le blé (les produits des grandes cultures, en général), on commercialise des produits transformés très appréciés dans le monde, mais de luxe, comme le champagne, le cognac, ou les calissons d’Aix.
François Pargny
« On n’a pas vu venir les Allemands »
Dans une étude sur la « Compétitivité des filières des viandes blanches françaises dans le contexte de l’Union européenne », FranceAgriMer note que les Allemands ont su réduire leurs coûts salariaux et développer leurs investissements. L’enquête, parue en juillet 2011, poursuit avec le commentaire très étonnant d’un dirigeant de coopérative polyvalente dans l’Ouest de la France : « On n’a pas vu venir les Allemands. » Le délégué interministériel aux industries agroalimentaires, Philippe Rouault, cherchant à comprendre la perte de compétitivité de la France par rapport au voisin d’Outre-Rhin, a dressé une liste exhaustive des causes, comme le coût de main-d’œuvre plus élevée, les contraintes environnementales plus fortes lors de la construction de bâtiments ou encore les différences réglementaires en matière d’étiquetage. Ce que pointe surtout FranceAgriMer, c’est « la concentration sur le marché national » des opérateurs. En dehors de quelques-uns, les ventes sur les marchés européen, asiatique, africain ne seraient que « des créneaux secondaires ». Les Français auraient adopté un positionnement différent des autres Européens, « qui considèrent les marchés d’exportation comme de réelles possibilités de valorisation et non comme un simple dégagement de surplus ».
F. P.