Plusieurs facteurs rendent l’Inde a priori difficile à appréhender par les hommes d’affaires français : sa culture, bien sûr, mais aussi sa structure fédérale, une pratique juridique issue de la « common law » (très différente du droit latin), un système de taxation complexe, des administrations qui, comme dans beaucoup de pays en voie de développement, ont des lenteurs et des lourdeurs parfois déroutantes pour un Occidental. Voici les bases d’une première approche*.
S’implanter : le cadre général des affaires
1/ Le système juridique
L’Inde est un pays de « common law », mais le droit indien conserve ses spécificités liées à l’histoire et à la culture du pays. La constitution fédérale prévoit un partage des compétences législatives entre l’Union et les 28 États. Dans le domaine des affaires, la plupart des lois applicables, notamment en matière de contrats, de sociétés, d’impôts (sur le revenu et les sociétés) sont fédérales. En revanche, les lois concernant l’urbanisme, le droit immobilier, et les impôts locaux (stamp duty, droits d’accises) relèvent plutôt des États.
La constitution fédérale prévoit un seul ordre de juridictions qui statuent aussi bien sur les conflits relevant de la loi fédérale que des lois étatiques. La Cour suprême est la plus haute juridiction indienne. La banque centrale (Reserve Bank of India) et les autorités de régulation indépendantes telles que la Competition Commission, le Securities Exchange Board of India, la Telecom Regulatory Authority of India détiennent également des fonctions et des pouvoirs juridictionnels.
2/ Les investissements étrangers
Signataire du GATT depuis 1948 et membre de l’OMC dès sa création en 1995, l’Inde ne s’est ouverte aux investissements étrangers qu’à partir de 1991. La grande majorité des secteurs industriels sont ouverts aux investissements étrangers sans qu’une demande d’autorisation préalable soit exigée (« Automatic Route »). Dans ce cas, il conviendra de notifier l’agence régionale de la banque centrale indienne (RBI) dans un délai de 30 jours suivant la réception des fonds en Inde et de déposer une déclaration indiquant la nature de la participation de l’investisseur dans la société indienne.
En revanche, l’investissement étranger direct (IDE) n’est toujours pas autorisé dans certains secteurs et domaines d’activité, notamment :
• la vente au détail (multimarque) ;
• l’énergie nucléaire ;
• les professions immobilières ;
• l’industrie du tabac ;
• les loteries, jeux de hasard et casinos ;
• l’agriculture ;
• les secteurs d’activité réservés aux investissements publics.
Dans d’autres secteurs d’activité, les investisseurs étrangers doivent impérativement obtenir les autorisations préalables du Foreign Investment Promotion Board (FIPB), et se conformer aux contraintes relatives au plafonnement de leur participation, notamment dans :
• la vente au détail (monomarque) ;
• la défense ;
• le transport aérien (passagers et fret) ;
• le secteur bancaire ;
• l’assurance ;
• le raffinage ;
• les médias.
Important
Par une Press Note 1 de 2012 en date du 11 janvier 2012, le gouvernement indien a porté le seuil d’IDE autorisé dans la vente au détail monomarque de 51 % à 100 %, sous réserve que l’IDE respecte certaines conditions (notamment de sourcing).
Attention aux délais !
• Autorisations du FIBP : compter 6 semaines.
• Autorisation de la Reserve Bank of India : compter 8 à 12 semaines.
3/ Les structures d’implantation
Les investisseurs ont le choix entre plusieurs structures : bureaux de représentation, bureaux de gestion de projets, succursales et filiales.
Bureaux de représentation ou de liaison
Les bureaux de représentation n’ont pas la personnalité morale et ne sont que des émanations de leur société mère. Leur champ d’activité des bureaux de représentation est très restreint : ils ne peuvent pas s’engager dans des activités opérationnelles, émettre des factures ou encaisser des revenus. Le bureau de représentation est donc un centre de coûts qui est financé exclusivement par le siège de l’entreprise étrangère. Les activités autorisées des bureaux sont les suivantes :
• la représentation de la maison mère, de ses filiales et de ses sociétés affiliées ;
• la communication entre le siège de l’entreprise étrangère et l’Inde ;
• la promotion des importations et /ou des exportations à destination ou en provenance de l’Inde ;
• la promotion des collaborations financières et techniques entre les sociétés indiennes et les sociétés du groupe.
Les demandes d’ouverture de bureaux de représentation sont à adresser à la RBI via les banques indiennes autorisées.
Bureaux de gestion de projets
Les sociétés étrangères devant réaliser des projets en Inde dans le cadre de contrats conclus avec des sociétés ou entités indiennes peuvent ouvrir des bureaux de gestion de projet sans demande d’autorisation préalable à condition :
• que le projet soit financé par la remise de fonds en provenance de l’étranger ou
• que le projet soit financé par une agence d’investissement bilatérale ou multilatérale ou
• que le projet ait obtenu toutes les autorisations requises ou
• que la société ou l’entité indienne qui a attribué le marché ait obtenu un prêt à terme d’un établissement public financier ou d’une banque en Inde.
Il est toutefois nécessaire de notifier à la RBI l’ouverture d’un tel bureau.
Investissements : les administrations compétentes
Reserve Bank of India (pour les autorisations préalables dans les secteurs réglementés et les injections de capital et prêts intra-groupe).
Registrar of Companies
Reserve Bank of India (Central Office)
Central Office Building
Shahid Bhagat Singh Road
Mumbai 400 023
www.rbi.org.in
Foreign Investment Promotion Board (pour les autorisations préalables dans les secteurs réglementés)
Facilitation counter
Intercom-5123
Near Gate No.-9
North Block
New Delhi-110001
www.fipbindia.com
Succursales
Les sociétés actives dans les secteurs manufacturiers et commerciaux peuvent ouvrir des succursales en Inde. En règle générale, les succursales doivent exercer les mêmes activités que les sociétés auxquelles elles appartiennent. Toutefois, elles ne peuvent ni produire, ni vendre au détail. Leurs revenus sont assujettis à l’impôt en Inde.
Les activités autorisées des succursales sont les suivantes :
• représentation de la maison mère en Inde ;
• import/export ;
• services techniques ou de consultation ;
• promotion des collaborations financières et techniques entre les sociétés indiennes et les sociétés de groupe ;
• services informatiques et développement des logiciels ;
• services de support et d’assistance technique pour les produits des sociétés du groupe ;
• activité de recherche dans un secteur d’intérêt pour la société mère ;
• transports aériens et maritimes.
Filiales
La création, la gestion et la dissolution des sociétés de droit indien sont régies par les dispositions du Companies Act de 1956 qui prévoit deux types de sociétés par actions à responsabilité limitée, laprivate limited company et la public limited company. La private limited company (l’équivalent de la SARL de droit français) doit justifier d’un capital social d’au moins 100 000 INR (environ 1 500 euros). Le nombre des associés est restreint à 50 personnes et le transfert des titres est réglementé. La société ne peut être cotée en Bourse.
Par opposition, la public limited company(l’équivalent de la SA de droit français) peut ouvrir son capital au public et être cotée en Bourse. Le capital social minimum est de 500 000 INR (environ 8 000 euros). Les obligations relatives à la gestion de la société et au contrôle de ses comptes sont plus contraignantes que pour les private limited companies.
Les injections de capital et les prêts accordés par les sociétés étrangères à leurs partenaires commerciaux ou à leurs filiales indiennes et sociétés affiliées (emprunts commerciaux extérieurs) sont strictement encadrés par de la RBI (Master Circular on External Commercial Borrowings and Trade Credits No 9/2011-12 du 1 juillet 2011 émise par la RBI).
4/ La protection de la propriété intellectuelle
L’Inde est membre de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), et signataire de la convention de Paris, du traité de Budapest et du traité de Coopération en matière de brevets. Actuellement, le gouvernement indien envisage de signer le protocole relatif à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques, mais n’a donné aucune indication sur l’échéance.
Une personne ou entité juridique étrangère peut déposer ses brevets, marques, dessins et modèles en Inde, même en l’absence d’établissement dans le pays.
Les dessins et modèles sont protégés pour une durée de 10 ans.
À la demande du déposant, cette durée peut être étendue de 5 ans, à condition que la demande soit faite avant l’expiration de la période initiale de 10 ans.
Les coûts de dépôt des dessins sont relativement faibles : Les coûts de dépôt des dessins sont relativement faibles : 1 000 INR (environ 15 euros) pour une première demande, 2 000 INR (environ 30 euros) pour un renouvellement.
Les marques sont protégées pour une durée de 10 ans. La protection peut être renouvelée indéfiniment tous les 10 ans moyennant le paiement des frais de renouvellement. Les coûts de dépôt et de renouvellement des marques se situent entre 2 500 et 5 000 INR (entre 40 et 80 euros environ). Les brevets sont protégés pour une durée de 20 ans. Les coûts de dépôt des brevets varient entre 1 000 INR (environ 15 euros) pour les personnes physiques et 4 000 INR (environ 63 euros) pour les personnes morales.
5/ Le contentieux et l’arbitrage
L’article 13 du code de procédure civile indien prévoit qu’un jugement étranger doit être reconnu en Inde, à l’exception des hypothèse suivantes :
• jugement rendu par une juridiction incompétente ;
• jugement reposant sur une absence de base légale ;
• jugement fondé sur une mauvaise application des règles du droit international privé ;
• jugement frauduleux ;
• jugement contraire à la notion de justice ;
• jugement contraire au droit indien.
Le Code de procédure civile indien prévoit l’exequatur des jugements étrangers remplissant les conditions ci-dessus rendus dans les pays dits reciprocating territories en Inde, c’est-à-dire ayant conclu avec l’Inde une convention d’assistance judiciaire.
À défaut, comme dans le cas de décisions de justice françaises (un accord d’assistance judiciaire en matière civile a été signé par la France et l’Inde mais n’est pas entré en vigueur faute de ratification par les parlements des deux pays), le Code prévoit une action dite de « suit on judgement » : la partie qui souhaite faire valoir un jugement français doit, dans un délai de trois ans à compter de la date de ce dernier, initier une nouvelle action devant les tribunaux indiens.
Étant donné l’engorgement des tribunaux indiens, les parties (indiennes et étrangères) prévoient généralement le règlement des différends par le biais de l’arbitrage. Bien que l’Inde soit signataire de la Convention de New York de 1958 (sur la reconnaissance et l’exequatur des sentences arbitrales rendues à l’étranger), l’exequatur des sentences étrangères peut s’avérer longue, en raison des nombreuses actions dilatoires, insuffisamment réprimandées par les tribunaux.
Olivier Monange & Lisbeth Lanvers Shah
DS Avocats
* Cet article est une version actualisée, à fin février 2012, de la version publiée dans le « Guide business Inde 2011 », Le Moci n° 1888 du 14 avril 2011.