Le Moci. Quelles sont les grandes tendances de la distribution en Allemagne ?
Ulrich Spaan. La première tendance, la plus importante, est la redistribution des parts de marché entre les différentes branches de la distribution. La seconde tendance, qui est émergente, est la montée en puissance de la vente en ligne. Un des phénomènes les plus marquants de ces dernières années est la baisse de la fréquentation des grands magasins, comme Kaufhof et Karstadt. Ces enseignes souffrent de la concurrence des grandes surfaces spécialisées dans l’électronique, le bricolage ou l’ameublement. Dans l’habillement également, les grandes marques ouvrent leurs propres magasins. Ainsi, le consommateur ne ressentit-il plus le besoin de se rendre dans un seul grand magasin réunissant une offre globale.
Le Moci. Est-ce que la vente en ligne peut déstabiliser certaines branches de la distribution allemande ?
U.S. Même si la vente en ligne progresse de 15 à 20 % par an, elle représente globalement encore peu, environ 8 % des ventes globales de la distribution. Elle est absente de l’alimentation et du bricolage, mais présente dans les chaussures ou les livres et surtout dans l’électronique, secteur dans lequel Amazon domine face à une myriade de petits acteurs. Déjà en difficulté avec Kaufhof et les hypermarchés Real, Metro, le premier groupe allemand de distribution, n’a pas non plus réussi à orienter suffisamment tôt ses enseignes de produits électroniques Saturn et Media Markt dans la vente en ligne. Les franchisés de Media Markt, en particulier, ne voulaient pas de la concurrence du e-commerce. En outre, Metro avait racheté Media Markt et Saturn et les anciens propriétaires étaient opposés à la stratégie générale de Métro pour ces deux marques. Résultat, Media Markt a été lancé trop tard dans la vente en ligne et chacun s’interroge sur son avenir, surtout depuis qu’il y a un an Metro a acquis la société d’e-commerce Redcoon.
Le Moci. Avec 149 m2 de rayonnages pour 100 habitants, l’Allemagne présenterait la plus forte densité commerciale en Europe. Quelle en est la principale conséquence ?
U.S. Les prix alimentaires sont les plus faibles d’Europe. Le hard discount se taille la part du lion, environ 40 % du marché. Les Aldi ou Lidl se sont beaucoup étendus, y compris dans de petits villages, et de nombreux centres commerciaux ont essaimé en Allemagne. Ce phénomène d’overstoring est aussi sensible dans d’autres domaines et des fermetures de magasins doivent être anticipées par tous les fournisseurs, surtout avec la montée de l’e-commerce. Comment, par exemple, peut-on concevoir qu’une ville comme Cologne accueille cinq magasins à l’enseigne H & M. Des centres commerciaux fermeront aussi.
Le Moci. Traditionnellement dans l’alimentation, les prix sont très bas. Est-ce que les « discounters » vont devoir revoir leurs prix à la hausse, en raison de l’augmentation des cours des matières premières agricoles ?
U.S. Oui, sans aucun doute. Le hard discount va évoluer, et peut-être très rapidement. Si Aldi et Lidl sont des groupes performants, les deux autres grands acteurs du secteur, Penny et Netto, filiales respectivement de Rewe et Edeka, souffrent de la pression sur les prix. Un certain nombre de leurs magasins devrait être fermés et la concurrence donc diminuer. Rewe et Edeka ont, toutefois, démontré leur capacité à rebondir, avec un modèle qui leur est propre : le magasin à leur enseigne, propriété d’un indépendant, qui possède ainsi la liberté d’aménager son magasin et de choisir ses assortiments. Dans la pratique, ces magasins s’approvisionnent largement auprès de leur centrale d’achats, mais ils se fournissent aussi en produits régionaux et ouvrent des sections de produits étrangers, italienne, française notamment. Une très belle illustration de ce modèle performant est pour moi le supermarché Edeka de Zurheide, au sud de Düsseldorf, un magasin bien achalandé, y compris en produits régionaux, et dont la présentation est très soignée.
Propos recueillis par François Pargny