Le Moci. Les exportations allemandes commencent à baisser, la croissance économique s’essouffle et ne devrait pas dépasser 0,7 % cette année. Est-ce que la santé de l’économie allemande est menacée ?
Rolf Bürkl. Non, pas du tout. Les exportations allemandes ont affiché des performances exceptionnelles au premier semestre. C’est vrai qu’elles diminuent légèrement depuis, mais je ne suis pas inquiet pour cette année, même si, inévitablement, l’Allemagne sera touchée par la crise européenne et mondiale. Dans le passé, notre économie était conditionnée uniquement par l’export. Ce n’est plus le cas. La consommation est devenue le deuxième pilier de la croissance allemande. De fait, la consommation privée représente aujourd’hui 58 % du produit intérieur brut.
Le Moci. Comment expliquez-vous la montée de la consommation privée ?
R.B. La clé pour une consommation développée, c’est l’emploi. Or, le chômage en Allemagne est de 6,8 %, soit le taux le plus bas depuis la réunification. Avec l’Autriche, l’Allemagne est le seul Etat européen où le chômage a diminué pendant la crise. Le nombre de ses chômeurs est tombé de cinq millions en 2007 à moins de trois millions. C’est ce qu’on a appelé le miracle allemand, improprement car il n’y a pas eu de miracle, mais une politique de compétitivité menée par l’ancien chancelier Gerhard Schröder dans son Agenda 2010 pour créer de la flexibilité en réformant le marché du travail et le monde de l’entreprise. Les syndicats, les entreprises et le gouvernement ont parfaitement coopéré, les uns acceptant le gel des rémunérations et les autres renonçant aux licenciements. Pour conserver la main d’œuvre qualifiée dans les sociétés, un système de travail à temps partiel a été mis en place, l’Etat fédéral compensant en grande partie la perte de revenu pour les salariés. Le temps partiel a ainsi concerné 1,5 million de travailleurs. Enfin, le gouvernement a lancé un vaste plan de soutien à l’économie de quelque 50 milliards d’euros, qui comprenait, par exemple, une prime à la casse dont ont profité surtout les constructeurs de petits voitures, notamment français.
Le Moci. Les critiques en Europe à l’encontre d’une Allemagne égoïste vous apparaissent-elles justifiées ?
R.B. Oui et non. Les critiques sont en partie justifiées parce que dans le passé notre économie était uniquement concentrée sur les exportations. Les hausses de salaires étaient trop contenues, mais c’était le prix à payer pour la compétitivité de nos exportations. Mais aujourd’hui, c’est différent. Le marché allemand est porteur et stable. Et nous avons prouvé que le meilleur moyen qu’il s’améliore, c’est de diminuer le chômage. En outre, les salaires ont connu une hausse de 3,5 % entre 2011 et 2012, alors que l’inflation atteignait seulement 2,3 % en août dernier et devrait même descendre à 2 % en fin d’année. Emploi relativement élevé et salaires en hausse expliquent le regain de confiance de la population et donc des consommateurs. Comme les taux d’intérêt sont historiquement bas dans mon pays, les Allemands ne sont, de toute façon, pas incités à épargner. De plus, la confiance dans les marchés financiers n’étant pas restaurée, ils préfèrent aujourd’hui investir dans l’immobilier, dans la rénovation, en intégrant au passage de nouvelles sources d’énergie, plus économes et plus propres. Il n’y a aucun risque en cas d’éclatement de la zone euro et de poussée inflationniste. Le luxe se porte merveilleusement en Allemagne. A côté de l’immobilier, l’univers de la cuisine et l’électroménager affichent aussi une santé remarquable.
Le Moci. En raison du déclin démographique, il n’y aura bientôt plus assez de bras en Allemagne pour travailler…
R.B. De fait, par manque de main d’œuvre qualifiée, des entreprises doivent limiter leur production. Je connais un équipementier automobile près de Nuremberg qui recherche pas moins de 600 ingénieurs. C’est pourquoi il faut aider les femmes à s’intégrer au monde du travail. Et si l’État ne trouve pas de solution, alors les entreprises doivent proposer des garderies, des crèches.
Propos recueillis par François Pargny